Le Festival du film policier de Beaune salue le Printemps arabe
C’est rapidement apparu comme allant de soi : "Le Caire Confidentiel" serait le film du festival. C’est pourtant par ailleurs un grand cru qui a été servi sur ces quatre jours. Les huit films en compétition étaient de haut niveau et les lauréats méritent tous, vraiment, leur reconnaissance, tant la sélection était de belle facture.
Grand prix : "Le Caire Confidentiel" (Suède/Danemark/Allemagne) du suédois Tarik Saleh - (sortie le 12 juillet)
Au Caire quelques jours avant le printemps égyptien. Un commissaire corrompu mène l'enquête sur un meurtre où un proche du président Moubarak est impliqué. La grande qualité du film repose sur son écriture qui crédibilise le changement de comportement de ce flic "ripou", à la lumière des événements. Sa révolution intérieure rencontre celle du peuple égyptien contre un pouvoir dénaturé. Il est de plus servi par l’interprétation sans faille de Fares Fares, star égyptienne qui va sans nul doute percer avec ce film en Europe.
Prix du jury : Ex-aequo : "La colère d’un homme patient" (Espagne) de Raul Arévalo
"Cold Hell" (Autriche/Allemagne) de l’Autrichien Stefan Ruzowitzky
Egalement Prix de la Critique, "La Colère d’un homme patient" est le premier film de l’acteur principal de "La Isla Minima" (Alberto Rodriguez, 2015), Raul Arévalo. Il a reçu quatre Goya (les César espagnols) : Meilleur film, Meilleur premier film, Meilleur scénario et Meilleur acteur dans un second rôle (Louis Callejo). Un homme sans relief se venge des braqueurs qui ont tué sa fiancée lors du vol d’une bijouterie. Tourné caméra portée, en scope, photographié au plus proche des visages, le film est à la fois un drame humain et un thriller contemporain qui emprunte pour beaucoup aux codes du western, en hommage à Sergio Leone.
Prix Spécial Police (remis par un jury de membres de la police française) : "The Limehouse Golem" (Grande-Bretagne) du Franco-américain Juan Carlos Médina
"The Limehouse Golem", nous entraîne dans le Londres de 1880, où sévit un serial killer, surnommé le Golem, huit ans avant Jack L’Eventreur. L’inspecteur Kildare mène une enquête difficile sur la mort d’un auteur dramatique dont l'épouse, artiste de music-hall, est accusée de l’avoir empoisonné. Ses confessions mènent Kildare sur la piste du mystérieux Golem.... Très différent du reste de la sélection, s’agissant d’un film d’époque, son réalisateur Juan Carlos Médina donne plusieurs niveaux de lecture, sortant des chemins balisés des films sur Jack L’Eventreur, tout en en respectant les codes. Avec ses scènes de crimes effroyables, sa reconstitution au cordeau d’un Londres en pleine révolution industrielle, sa misère dominante, tout en traitant en sous-texte le processus de création artistique. Le cinéaste confie être fasciné par "la création du monstre", Londres, en pleine mutation à cette époque, en étant une incarnation. Le film impressionne par la sophistication de sa mise en scène, d’une beauté visuelle éblouissante, porté par des acteurs britanniques de premier plan : le vétéran et fabuleux Bill Nighy, ainsi que la toute jeune Olivia Cooke, que l’on verra dans le prochain Steven Spielberg ("Ready Player One"), et dont on reparlera sans doute possible.Les professionnels de la Police française ont remis leur Prix à "Limouhouse Golem" pour la grande finesse de la reconstitution historique du "premier Scotland Yard", au cœur de l’intrigue. La présidente du jury, Danielle Thiéry (Commissaire divisionnaire honoraire) a justifié cette reconnaissance comme la démonstration qu’une telle évocation poussée du réel pouvait être mise au service d’une grande œuvre d’imagination.
Prix Sang neuf (remis pour un premier film) : "Que Dios nos Perdone" (Espagne) de Rodrigo Sorogoyen.
À Madrid, durant l’été 2011. La crise économique ébranle la société et provoque la naissance du mouvement social 15-M, celui des Indignés. De surcroît, des milliers de pèlerins débarquent dans la capitale espagnole pour y accueillir le Pape. C’est dans ce contexte que les policiers Alfaro et Velarde ont pour mission d’arrêter de manière “discrète” un assassin présumé. Mais la pression exercée et la course contre la montre engagée leur feront prendre conscience d’une terrible vérité : dans quelle mesure sont-ils si différents du criminel qu’ils poursuivent ?
Dernier verre
Cette 9e cuvée du polar à Beaune s’est révélée un très bon cru. C’est vrai pour le vin, et la région Franche-Comté-Bourgogne sait de quoi elle parle : il y a des années avec et des années sans. C’est pareil pour tout festival de cinéma. Cette année, de l’avis de tous, c’était une année avec.La Belgique, l’Autriche, l’Espagne, la Grande-Bretagne, la Suède, la Hongrie, étaient présentes à Beaune, mais pas un film français ou américain, sauf en coproduction. Une hégémonie européenne donc qui ne voit pas non plus de réalisateur de l’hexagone ou étatsunien aux commandes. Curieux pour les deux plus importants producteurs de films au monde, coutumiers du polar. de surcroit. Erreur de casting : Juan Carlos Médina qui a la double nationalité (franco-américaine), en plus d'origines espagnoles, qui signe un film britannique. Déterminer la nationalité d'un film est de plus en plus caduque depuis des années en raison du système de coproduction, preuve supplémentaire que le cinéma est universel.
Cette prédominance européenne dans la sélection a permis de donner un coup de projecteur sur des sensibilités moins courantes, avec des films atypiques, tous talentueux et souvent surprenants. En attendant l’année prochaine.
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