Le géant du cinéma Alain Resnais est mort
"Il était en train de préparer, avec moi, un autre film dont il avait écrit le premier scénario", a indiqué Jean-Louis Livi, qui avait produit ses trois derniers films.
Auteur de vingt long métrages, Resnais avait dernièrement été mis à l'honneur au 64e édition du Festival du film de Berlin pour son dernier film "Aimer, boire et chanter".
Récit, Nathalie Hayter
Né en 1922 à Vannes, ce fils de pharmacien se passionne pour la littérature et commence à tourner à 12 ans, avec une caméra Kodak offerte par son père, faisant son premier court-métrage, "Fantômas", à 13 ans.
Il rêve d'être libraire, et aussi comédien (il s'inscrit au Cours Simon en 1940). Finalement, il se tourne vers le cinéma et fait partie de la première promotion de l'IDHEC (ancien nom de la Femis) en 1943. Il débute comme monteur avant de se tourner vers la réalisation.
Il fait d’abord des petits films en 16 mm, comme "Schéma d’une identification" (1946) avec Gérard Philipe. Puis des documentaires sur l’art ("Van Gogh", "Les statues meurent aussi"). Il est remarqué en 1955 avec "Nuit et brouillard", un moyen métrage sur les camps nazis, où il imprime déjà un style très personnel. Une exploration des liens entre littérature et image
Le ton met en lumière l’effrayante banalité de ces lieux de la mort. "Toute la force du film réside dans le ton adopté par les auteurs : une douceur terrifiante. On sort de là ravagé, confus et pas très content de soi", écrivait à sa sortie François Truffaut, alors critique aux Cahiers du cinéma. Le commentaire, écrit par Jean Cayrol, lui-même rescapé des camps, était lu par Michel Bouquet.
Toute sa vie, il travaillera avec des écrivains, explorant les liens entre image et écriture. Cet as du montage puise aussi dans la bande dessinée, dont il est un fan. Mais également dans la culture populaire au sens large, cherchant pendant des années, en vain, à adapter les aventures de Harry Dickson, d'après les romans de Jean Ray, mais dont il tirera un recueil de photos, aujourd'hui introuvable,
"Hiroshima mon amour", un film tournant
Il est contemporain de la Nouvelle vague après la guerre mais il est plutôt proche de Chris Marker ou Agnès Varda. Il collabore par ailleurs avec les auteurs du Nouveau roman, comme Alain Robbe-Grillet et Marguerite Duras.
Son premier long métrage, "Hiroshima mon amour" (1959) a fait date dans l'histoire du cinéma. Il est sorti la même année que "A bout de souffle" de Jean-Luc Godard et "Les 400 coups" de François Truffaut.
Inspiré d'un texte de Marguerite Duras, "Hiroshima mon amour" annonce ce que seront ses films ultérieurs : une histoire dans l'histoire, une chronologie déconstruite, un usage subtil du rythme narratif, selon qu'on évoque la tragédie nucléaire ou la passion amoureuse. Louis Malle avait dit à l'époque que ce film avait "fait faire un bond au cinéma".
Comme "L'année dernière à Marienbad" (1961, écrit avec Robbe-Grillet), il se caractérise par un récit éclaté et une poésie qui surprend le public et la critique. Un cinéma cérébral puis plus populaire
Ses films tournent souvent autour du thème de la mémoire ("L’Année dernière à Marienbad", 1961, "Muriel", 1964, "Providence", 1977).
Resnais était perçu à ses débuts comme un réalisateur cérébral, avec ses réflexions sur la guerre, l'incompréhension et la mort. Mais il fait aussi du cinéma populaire, avec Jean-Paul Belmondo dans le rôle de Stavisky (1974), ose une incursion dans la science-fiction ("Je t’aime, je t’aime", 1968) ou s’inspire du théâtre de boulevard ("Mélo", 1986). Il fait des films musicaux : "On connaît la chanson" (1997), où il utilise des succès de la variété, ou "Pas sur la bouche" (2003), une opérette. Il s'inspire des thèses du biologiste Henri Laborit ("Mon oncle d'Amérique", 1980), renouvelant constamment son inspiration. Dussollier, Arditi, Azéma, trois acteurs fétiches
A partir de 1980, il fait invariablement appel à trois acteurs, André Dussollier, Pierre Arditi et Sabine Azéma, sa muse, ces deux derniers interprétant seuls les onze personnages de "Smoking-No Smoking" (1993). Il est toujours novateur dans la forme, imaginant là une histoire à options.
Loin du nouveau roman, il travaille désormais avec des auteurs plus grand public comme le couple Bacri-Jaoui.
Après un film sur les problèmes de couple, "Coeurs", Lion d’argent de la mise en scène à Venise en 2006, il était revenu à la légèreté avec "Les Herbes folles". "Un film est quelque chose sur lequel on ne réfléchit pas mais qui doit vous entraîner. Je laisse pousser les films comme des herbes folles", avait-il expliqué à Cannes.
Son dernier opus, présenté au Festival de Berlin début février, "Aimer, boire et chanter", est une fantaisie entre théâtre, cinéma et bande dessinée. "J'ai essayé de réaliser ce que Raymond Queneau appelait dans ‘La Saint-Glinglin’ "labrouchecoutaille," une sorte de ratatouille, en cassant les barrières entre cinéma et théâtre pour gagner en liberté", disait son auteur.
Une carrière abondamment récompensée
Alain Resnais a reçu d’innombrables prix, le premier, en 1950, étant un Oscar du meilleur court métrage pour "Van Gogh", un film de 20 minutes sur le peintre. Entre autres, il a eu trois César du meilleur film et deux du meilleur réalisateur, l’Ours d’argent pour "On connaît la chanson" (1998) et l’ensemble de sa carrière, le Lion d’argent pour Cœurs et un prix exceptionnel du jury du festival de Cannes en 2009 pour "Les Herbes folles" et l’ensemble de son œuvre.
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