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Lou de Laâge, pudeur mutine

Sur grand écran, voilà cinq ans qu'elle irradie. Après de multiples rôles de jeunes premières, elle jouait, enfin, dans un rôle sombre, intense et déchirant de médecin au lendemain de la Seconde guerre mondiale dans "Les Innocentes" d'Anne Fontaine en février dernier. Nous avions alors rencontré la jeune actrice qui vient de remporter, ce lundi, le prix Romy Schneider.
Article rédigé par franceinfo
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Lou de Laâge le 2 février à Paris
 (Boris Courret/Culturebox)

Une limousine patiente devant l'entrée. Derrière, plusieurs taxis s'amoncellent attendant d'embarquer les clients richissimes de l'hôtel. Nous sommes au Lancaster, palace parisien cinq étoiles situé à quelques pas des Champs-Élysées. À l'intérieur, dans le salon Berri, une grande pièce à la déco XVIIIe se trouvant juste derrière l'accueil, Lou de Laâge enchaîne les interviews. Coupe garçonne, jean délavé et basket usée. Elle détonne un peu dans sa chaise style Louis XV.
 
L'actrice de 25 ans fait la promotion de son nouveau film, "Les Innocentes" d'Anne Fontaine. Elle y campe le rôle de Mathilde Beaulieu. Une jeune interne travaillant en Pologne à la Croix-Rouge française et qui découvrira, dans un couvent, trente religieuses coupées du monde. Trente religieuses avec leur secret. Leur blessure. Violées par des soldats soviétiques pendant la Seconde Guerre mondiale, cinq d'entre elles sont enceintes. Mathilde devra les accoucher et garder le silence pour que la réputation du couvent reste intacte.


Retenue

Une histoire tragique. Une histoire vraie. Et un rôle poignant pour une Lou de Laâge tout bonnement sublime. Sublime de mesure. De retenue. De pudeur. Sa beauté sauvage enfouie derrière le masque blafard et impavide du médecin. Et qui quitte enfin ce personnage de midinette auquel elle nous avait un peu habitué. "Je n'ai pas fait que ça quand même", tonne-t-elle, l'air mutin. "Mais c'est vrai que le film d'Anne Fontaine tombe au bon moment. Je trouvais ça plutôt intéressant d'aller découvrir autre chose. Un contexte différent. J'aime aller dans des endroits qui nous apprennent quelque chose. Le film Respire m'avait déjà un peu fait cet effet".

2014. Lou de Laâge joue dans une minuscule salle de théâtre parisienne. Mélanie Laurent est là. Et la veut pour son nouveau film. Elle y sera Sarah, rôle qui lui vaudra une nomination pour le César du meilleur espoir l'année suivante. Lolita frivole et émancipée dont l'arrivée dans une classe de terminale bouleversera la vie de Charlie (Joséphine Japy), plus effacée, qui subira l'ascendant de cette jolie effrontée. Son sadisme. Ses manipulations. "J'étais au théâtre et je me m'y sentais bien. Mais quand Mélanie m'a proposé ce rôle, je n'ai pas hésité une seconde. J'ai tout de suite aimé ce scénario. Jouer une perverse narcissique, c'était une première. J'aime aller dans ces endroits où il y a une part d'inconnu". Mais comment se prépare-t-on pour un tel rôle ? Quelle part d'elle-même peut-il bien y avoir chez cette jeune fille névrosée ? Face à ces questions, l'actrice restera mutique. Pudique.
  (Boris Courret/Culturebox)


Belle énamourée

Entre Mélanie Laurent et elle, il n'y a d'ailleurs guère eu besoin de parler. Ça a d'abord été physique. La réalisatrice l'a confié. Si elle a choisi Lou, c'était surtout "pour faire émerger le diable derrière cette petite tête d'ange". Ses grands yeux océan dans lesquels on se noierait volontiers. Ses lèvres rouge sang qu'elle a pulpeuses et qui lui ont valu sa première publicité pour une marque de rouge à lèvres en 2009. Ensuite, tout s'enchaîne. À la télévision d'abord. "1788… et demi" ( 2010), sorte de série historique un peu loufoque diffusée sur France 3. Et puis, très vite, au cinéma, où elle accumule les petits rôles de jeune première. "J'aime regarder les filles" en 2011, de Frédéric Louf où elle partageait l'affiche avec un autre espoir désormais césarisé, Pierre Niney. On y suivait cette jeunesse parisienne du début des années 80, tout juste avant l'élection de Mitterrand. Elle y était Gabrielle, fille de bonne famille au charme éblouissant et qui faisait tourner la tête au jeune Primo, fils de petits commerçant de province fraîchement débarqué dans la capitale. Il y a aussi eu "Nino", la même année. Variation autour de l'adolescence de Nino Ferré où elle était, encore, la belle énamourée.
 
Deux ans plus tard, elle tourne déjà avec quelques grands noms. Daniel Auteuil, Guillaume Canet ou Marina Hands dans le "Jappeloup" de Christian Duguay. Drame un peu boursouflé autour de la relation entre un cheval et un homme, qui abandonnait une prometteuse carrière d'avocat pour se consacrer entièrement à sa passion, le saut d'obstacle. Et une performance sibylline pour une Lou de Laâge jouant le rôle un peu effacé de la groom. Nomination au césar du meilleur espoir, malgré tout. Mais elle l'assure, pour l'instant, elle ne regrette rien. "Je ne suis pas passéiste. Ce qui est derrière est derrière. Surtout, je trouve que j'ai plutôt eu de la chance. Le cinéma m'est tombé dessus comme ça, un peu par hasard. Je ne vais pas commencer maintenant à regretter quoi que ce soit".

"Entre les deux, mon cœur balance"

Car c'est le théâtre, son premier amour. Avant qu'elle ne le partage. Elle n'a que 10 ans quand elle monte sur les planches avec une compagnie d'enfants de son âge. "On préparait une pièce au début de l'année et on partait la présenter à travers la France", confie-t-elle. 18 ans, l'âge du grand départ. Elle quitte Bordeaux pour tenter sa chance à Paris. Elle fera Claude Mathieu, une école de théâtre dans un 18e arrondissement qu'elle ne quittera plus. Mais il faut encore payer tout ça. "Au départ, c'était un peu la galère. Alors je me suis inscrite dans une agence de publicité pour comédiens juste pour l'argent. Je voulais bien faire quelques pubs mais qu'elles ne se voient pas trop". Raté. Elle est vite repérée, passe des castings et démarre au cinéma, sans l'avoir réellement cherché. "Tout s'est passé avant que je fasse la démarche. Moi, je voulais faire du théâtre. Le cinéma, je n'y avais jamais rêvé. Jamais pensé".
  (Boris Courret/Culturebox)

Sur les planches, elle y était d'ailleurs il y a encore quelques mois avec "Danser à Lughnasa" de Brian Friel, mis en scène par Didier Long. L'histoire des cinq sœurs Mundy, isolées du monde dans une maison familiale de la campagne irlandaise, au cœur de l'été 1936.
 
Au même moment sortait "L'attente" avec Juliette Binoche. Deux femmes, une mère et une petite amie portant le deuil d'un jeune homme, dans les grands salons d'une ancienne villa sicilienne. Entre 6e et 7e art, Lou refuse de choisir. "Le théâtre, c'est ma première passion. Mais je trouve que c'est une grande chance de pouvoir faire les deux. J'essaie d'apporter la finesse du cinéma au théâtre et la liberté du théâtre au cinéma. Faire que l'un se nourrisse de l'autre".
 
L'avenir, elle ne se l'imagine pas. Pas encore. Ne le planifie pas. "J'irai là où me proposera d'aller. Là où ça me plaira, sans rien calculer. Je profite, tout simplement. C'est un métier où tout peut s'arrêter aussi vite que ça a commencé".

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