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Maurice Pialat à la Cinémathèque : du peintre au cinéaste
A l’occasion du dixième anniversaire de la disparition de Maurice Pialat, en janvier 2003, la Cinémathèque organise une magnifique exposition évoquant sa première vocation de peintre et son parcours de cinéaste, jusqu’au 7 juillet. La rétrospective de tous ses films se déroule, elle, jusqu’au 4 mars.
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Maurice Pialat peintre
La première vocation de peintre de Maurice Pialat n’est pratiquement connue que de ses proches, même si des expositions plus ou moins confidentielles ont déjà eu lieu. Celle de la Cinémathèque donne à cet œuvre une dimension et un retentissement plus ample, en s’offrant comme un possible et très tentant décryptage des correspondances du plasticien au cinéaste. Pialat, éternel insatisfait, doit se retourner dans sa tombe de voir ainsi sur les cimaises son œuvre peint. Exécutées entre les années 1942-46, donc pour une bonne partie en pleine guerre, ses toiles et dessins résultent d’un travail effectué en marge de son enseignement suivi aux Arts Décoratifs de Paris. Visiblement inspirées, elles n’en dénotent pas moins les caractéristiques d’une œuvre en cours, encore en gestation, mais pleine de promesses et enthousiaste. Des sources ?
Face à ces toiles et dessins, la tentation première est d’y déceler des sources d’inspiration ou des correspondances avec d’autres artistes. Les plus grandes toiles, exécutées à l’huile, se consacrent à des figures humaines, avec en ouverture de l’exposition un très bel autoportrait de Pialat jeune, dans une tonalité éteinte et une touche abrasée, rugueuse, révélatrice d’une personnalité torturée, comme interrogative, existentialiste, ce qui correspond à l’époque. Une patte que l’on retrouve ailleurs et qui n’est pas sans évoquer Soutine.
Un sujet de prédilection ressort de l’ensemble : l’enfance. Plusieurs toiles renvoient par leur traitement à un désenchantement vécu : des figures inarticulées, déséquilibrées, ou cet « enfant ivre », écroulé sur un fauteuil, une bouteille posée sur un guéridon, à côté. Le sujet paysagiste est également omniprésent. Il privilégie des lieux indistincts, des déserts urbains, comme des friches industrielles, des berges au confluent de barges et de ponts métalliques, d’où s’échappe une mélancolie grisâtre, ponctué d’éclats. La technique au couteau, l’entourage des aplats, n’est pas sans rappeler son contemporain Nicolas de Staël. Mais les sujets, les éclats renverraient aussi à un Vlaminck. Aussi, ces grisailles sobrement colorées s’opposent à d’autres paysages, plus solaires, éclatant de couleurs, sous influence impressionniste et évocatrices d’un Cézanne. Etonnant de voir se rencontrer dans cette peinture, les deux facettes du futur cinéaste : une rugosité du traitement du réel et la joie lumineuse d’en rendre compte par l’art.
Maurice Pialat cinéaste
Renonçant à une carrière de peintre, sans doute pour le plus grand malheur de la peinture, Maurice Pialat se retrouve en pleine vache maigre, au sortir de la guerre. Il pratique différents petits boulots, visiteur médical, commercial chez Olivetti… Son passage au cinéma reste mystérieux, comme l’homme d’ailleurs. Avec des collègues de chez Olivetti il réalise un burlesque où il tient le rôle principal. Puis, ami de Claude Berri, il réalise avec lui des courts-métrages, part à Istanbul où il filme une série sur la ville. Puis, c’est « L’Amour existe », un court métrage sur la banlieue parisienne, où l’on retrouve des motifs issus de sa période de peintre. Le film est couronné du Prix Louis Delluc en 1960, à la Mostra de Venise en 1961 et du Prix Louis Lumière en 1961. Autobiographie romanesque
Le thème de l’enfance, détectable dans sa peinture est le sujet de son premier long métrage, « L’enfance nue » (1967), sur le placement chez une famille d’accueil d’un garçon de 10 ans, difficile et turbulent. Pialat reviendra à plusieurs reprises sur ce thème, notamment dans « La Maison des bois » (1970), série télévisée, sur le placement d’un enfant en 1915, dont le père est parti sur le front, chez une famille à la campagne. « Passe ton bac d’abord » traite de l’adolescence chez un groupe de jeune et enfin « Le Garçu », son dernier film où il joue le rôle principal, traite des rapports d’un père sur le point de mourir avec son jeune fils, interprété par Antoine, son propre fils.
Le cinéma de Pialat a beaucoup à voir avec l’autobiographie, mais aussi celle de sa première compagne, Arlette Langman, monteuse et scénariste de ses premiers films. Il transfigure alors cette relation houleuse dans un romanesque cinématographique inouï, visible dans « Nous ne vieillirons pas ensemble » (1972), avec Marlène Jobert et Jean Yann, « A nos amours » (1983) pour lequel il découvre une jeune comédienne qui n’en n’est pas encore une : Sandrine Bonnaire. Pialat n'hésite pas à se faire acteur, ce qu'il a été avant d'être réalisateur, et se révèle à chaque fois excellent dans ses rôles, alors qu'il excelle d'autre part dans la direction d'acteurs, en leur demandant de vivre l'expérience plus que de l'interpréter. De succès publics et critiques ("Police"), Pialat passe aussi par des échecs ("Passe ton bac d'abord", "La Gueule ouverte"), ce qui lui inspire une certaine rancune envers la critique. Jusqu’en 1987, où il reçoit des mains d’Yves Montant et de Catherine Deneuve la Palme d’or à Cannes pour « Sous le soleil de Satan », sous les hués du parterre cannois, en lançant le poing levé : « Si vous ne m’aimez pas, je ne vous aime pas non-plus ! ». Le film reste peut-être son chef-d’œuvre avec ses deux acteurs fétiches : Gérard Depardieu et Sandrine Bonnaire. Toute la filmographie de Maurice Pialat mériterait d’être citée, notamment « Loulou » avec Depardieu et Huppert, « La Gueule ouverte », où il évoque la mort de sa mère, « Police », son plus grand succès, « Van Gogh », où le cinéaste rejoint le peintre, sous un jour intime : la boucle est bouclée.
Manifeste
Maurice Pialat, fils d’Auvergnats, n’est à la tête que de dix longs métrages. Mais quels films ! A la visite de l’exposition ressort l’envie de les (re)voir tous. Cinéaste très français s’il en est, c’est pourtant chez un Américain que nous avons trouvé comme une sorte de manifeste qui pourrait résumer toute la démarche du cinéaste, dans le choix de ses sujets, de ses mises en scène et de sa direction d’acteurs. Cet artiste, qualifié de bougon, sinon de colérique, perfectionniste, mais aussi tendre et amoureux de la vie, se révèle extrêmement touchant, bouleversant de par sa vie et son métier d'artiste.
La première vocation de peintre de Maurice Pialat n’est pratiquement connue que de ses proches, même si des expositions plus ou moins confidentielles ont déjà eu lieu. Celle de la Cinémathèque donne à cet œuvre une dimension et un retentissement plus ample, en s’offrant comme un possible et très tentant décryptage des correspondances du plasticien au cinéaste. Pialat, éternel insatisfait, doit se retourner dans sa tombe de voir ainsi sur les cimaises son œuvre peint. Exécutées entre les années 1942-46, donc pour une bonne partie en pleine guerre, ses toiles et dessins résultent d’un travail effectué en marge de son enseignement suivi aux Arts Décoratifs de Paris. Visiblement inspirées, elles n’en dénotent pas moins les caractéristiques d’une œuvre en cours, encore en gestation, mais pleine de promesses et enthousiaste. Des sources ?
Face à ces toiles et dessins, la tentation première est d’y déceler des sources d’inspiration ou des correspondances avec d’autres artistes. Les plus grandes toiles, exécutées à l’huile, se consacrent à des figures humaines, avec en ouverture de l’exposition un très bel autoportrait de Pialat jeune, dans une tonalité éteinte et une touche abrasée, rugueuse, révélatrice d’une personnalité torturée, comme interrogative, existentialiste, ce qui correspond à l’époque. Une patte que l’on retrouve ailleurs et qui n’est pas sans évoquer Soutine.
Un sujet de prédilection ressort de l’ensemble : l’enfance. Plusieurs toiles renvoient par leur traitement à un désenchantement vécu : des figures inarticulées, déséquilibrées, ou cet « enfant ivre », écroulé sur un fauteuil, une bouteille posée sur un guéridon, à côté. Le sujet paysagiste est également omniprésent. Il privilégie des lieux indistincts, des déserts urbains, comme des friches industrielles, des berges au confluent de barges et de ponts métalliques, d’où s’échappe une mélancolie grisâtre, ponctué d’éclats. La technique au couteau, l’entourage des aplats, n’est pas sans rappeler son contemporain Nicolas de Staël. Mais les sujets, les éclats renverraient aussi à un Vlaminck. Aussi, ces grisailles sobrement colorées s’opposent à d’autres paysages, plus solaires, éclatant de couleurs, sous influence impressionniste et évocatrices d’un Cézanne. Etonnant de voir se rencontrer dans cette peinture, les deux facettes du futur cinéaste : une rugosité du traitement du réel et la joie lumineuse d’en rendre compte par l’art.
Maurice Pialat cinéaste
Renonçant à une carrière de peintre, sans doute pour le plus grand malheur de la peinture, Maurice Pialat se retrouve en pleine vache maigre, au sortir de la guerre. Il pratique différents petits boulots, visiteur médical, commercial chez Olivetti… Son passage au cinéma reste mystérieux, comme l’homme d’ailleurs. Avec des collègues de chez Olivetti il réalise un burlesque où il tient le rôle principal. Puis, ami de Claude Berri, il réalise avec lui des courts-métrages, part à Istanbul où il filme une série sur la ville. Puis, c’est « L’Amour existe », un court métrage sur la banlieue parisienne, où l’on retrouve des motifs issus de sa période de peintre. Le film est couronné du Prix Louis Delluc en 1960, à la Mostra de Venise en 1961 et du Prix Louis Lumière en 1961. Autobiographie romanesque
Le thème de l’enfance, détectable dans sa peinture est le sujet de son premier long métrage, « L’enfance nue » (1967), sur le placement chez une famille d’accueil d’un garçon de 10 ans, difficile et turbulent. Pialat reviendra à plusieurs reprises sur ce thème, notamment dans « La Maison des bois » (1970), série télévisée, sur le placement d’un enfant en 1915, dont le père est parti sur le front, chez une famille à la campagne. « Passe ton bac d’abord » traite de l’adolescence chez un groupe de jeune et enfin « Le Garçu », son dernier film où il joue le rôle principal, traite des rapports d’un père sur le point de mourir avec son jeune fils, interprété par Antoine, son propre fils.
Le cinéma de Pialat a beaucoup à voir avec l’autobiographie, mais aussi celle de sa première compagne, Arlette Langman, monteuse et scénariste de ses premiers films. Il transfigure alors cette relation houleuse dans un romanesque cinématographique inouï, visible dans « Nous ne vieillirons pas ensemble » (1972), avec Marlène Jobert et Jean Yann, « A nos amours » (1983) pour lequel il découvre une jeune comédienne qui n’en n’est pas encore une : Sandrine Bonnaire. Pialat n'hésite pas à se faire acteur, ce qu'il a été avant d'être réalisateur, et se révèle à chaque fois excellent dans ses rôles, alors qu'il excelle d'autre part dans la direction d'acteurs, en leur demandant de vivre l'expérience plus que de l'interpréter. De succès publics et critiques ("Police"), Pialat passe aussi par des échecs ("Passe ton bac d'abord", "La Gueule ouverte"), ce qui lui inspire une certaine rancune envers la critique. Jusqu’en 1987, où il reçoit des mains d’Yves Montant et de Catherine Deneuve la Palme d’or à Cannes pour « Sous le soleil de Satan », sous les hués du parterre cannois, en lançant le poing levé : « Si vous ne m’aimez pas, je ne vous aime pas non-plus ! ». Le film reste peut-être son chef-d’œuvre avec ses deux acteurs fétiches : Gérard Depardieu et Sandrine Bonnaire. Toute la filmographie de Maurice Pialat mériterait d’être citée, notamment « Loulou » avec Depardieu et Huppert, « La Gueule ouverte », où il évoque la mort de sa mère, « Police », son plus grand succès, « Van Gogh », où le cinéaste rejoint le peintre, sous un jour intime : la boucle est bouclée.
Manifeste
Maurice Pialat, fils d’Auvergnats, n’est à la tête que de dix longs métrages. Mais quels films ! A la visite de l’exposition ressort l’envie de les (re)voir tous. Cinéaste très français s’il en est, c’est pourtant chez un Américain que nous avons trouvé comme une sorte de manifeste qui pourrait résumer toute la démarche du cinéaste, dans le choix de ses sujets, de ses mises en scène et de sa direction d’acteurs. Cet artiste, qualifié de bougon, sinon de colérique, perfectionniste, mais aussi tendre et amoureux de la vie, se révèle extrêmement touchant, bouleversant de par sa vie et son métier d'artiste.
Cette citation est extraite d’une des rares prises de parole relayées par la presse de Tod Browning, le réalisateur de « Freaks », en 1920. « Montrez la vie à l’écran pour l’amour de la vie et ne faites pas de l’art pour l’amour de l’art (…) La valeur de toute forme d’art dramatique se trouve dans son exactitude à dépeindre des personnages vrais, exécutant des gestes vrais et disant des choses vraies. (…) Que le spectateur regarde la vie à travers un trou de serrure. Mais ce n’est pas un regard de voyeur que je souhaite. Je ne crois pas qu’il faille montrer des choses « osées » pour faire un film. Il faut montrer au spectateur des gens vrais qui ne se savent pas observés. Le rôle d’un metteur en scène, une fois qu’il a trouvé les comédiens qui seront exactement ses personnages qu’ils doivent incarner, est de leur faire oublier qu’ils jouent la comédie. Ils doivent oublier qu’ils jouent et vivre. Le metteur en scène remplit son office en se joignant à eux et en vivant l’histoire. »
Pialat n’aurait pas mieux dit : verbatim.
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