"Un caméléon", "un acteur gigantesque", "un homme charmant" : le monde du cinéma rend hommage à Michel Piccoli
Ceux qui ont côtoyé ou simplement admiré Michel Piccoli lui rendent un hommage appuyé, après l'annonce de son décès à l'âge de 94 ans.
"Michel Piccoli était un acteur gigantesque, un homme charmant, c'est triste", a réagi sur franceinfo ce lundi 18 mai le réalisateur Bertrand Blier, après l’annonce du décès de l’acteur à l’âge de 94 ans mardi 12 mai. Bertrand Blier salue tout particulièrement le rôle de Michel Piccoli dans Le Mépris, de Jean-Luc Godard : "Il a marqué tout le monde", explique-t-il. Il dit se souvenir de quelqu'un qui a pris beaucoup de risques : "Il aimait l'humour, se mettre en péril et le spectacle aussi". Bertrand Blier explique ainsi garder le souvenir d’un "acteur disponible, très souple". "Il avait une diction merveilleuse, il ne faisait pas l'acteur, il était naturel", raconte le réalisateur.
"Si les plus grands" comme Godard, Sautet, Hitchcock, Buñuel vont chercher Michel Piccoli pour leurs films, "c’est parce que c’est un caméléon, il peut tout incarner. Les salauds, les voyous, les types bien, les bourgeois, les prolétaires", estime quant à lui sur franceinfo le journaliste et réalisateur Philippe Labro. Un "compas très large" qui s’explique par son travail, selon Philippe Labro.
Il fait partie de la génération des Marielle, Rochefort, Noiret. Des gens qui ont travaillé, lu leurs textes et compris ce qu’était le métier d’acteur.
Philippe Labroà franceinfo
Parmi ces réalisateurs, Alfred Hitchcock : s’il va le chercher, "ce n’est pas par hasard non plus", ajoute Philippe Labro. Comme Philippe Noiret, Michel Piccoli a "quelque chose de très français", "un charme". "Ce qu’il y avait chez Michel, c’est une faculté de silence, quand il vous regarde, avec une sorte de faux sourire sur ses lèvres. Il avait aussi une très bonne voix. Toutes les capacités sont là, le registre est là."
"Il ne jouait pas, il était le personnage"
"Il ne grimaçait pas, ne jouait pas mais était le personnage", se souvient l’écrivain, scénariste et metteur en scène Jean-Claude Carrière. "C'est ça qui est toujours surprenant chez un grand acteur", a-t-il ajouté en se remémorant le tournage d’un film du cinéaste espagnol Luis Buñuel. "J’ai connu Piccoli avec Buñuel. Piccoli avait cette faculté extraordinaire d'entrer dans un personnage, c’est ce qu'on appelle le déclic", raconte Jean-Claude Carrière.
"Il avait accepté de jouer dans un film de Buñuel une scène de dix minutes dans laquelle il incarnait un ministre. Il arrive et il commence à parler avec lui et les techniciens sur le plateau. Buñuel, dans un coin, me dit 'Regardez Michel, c'est un ministre'. Et c'était vrai, il y avait quelque chose dans son attitude qui indiquait déjà le ministre. Il avait ça. Il avait cette qualité en plus."
Jean-Claude Carrière a aussi rendu hommage à la personnalité qu'était Michel Piccoli : "Au sommet de sa gloire, il y a une quinzaine d'années, je l'ai rencontré dans le métro. Piccoli était dans le métro, tranquille. Tout le monde évidemment le reconnaissait mais pour lui ça ne faisait rien. C'était pas du tout quelqu'un de snob, entiché de lui-même, de prétentieux. Absolument pas. Son rêve était de se faire oublier."
"Il avait du talent, de l'humour, et il aimait mes fesses"
C'est par un communiqué que Brigitte Bardot a quant à elle réagi, après l'annonce de la mort de Michel Piccoli, son partenaire dans Le Mépris, mythique film de Jean-Luc Godard. "Il avait du talent, de l'humour, et il aimait mes fesses. Nous avons interprété Le Mépris, mais partagé une grande estime réciproque" ajoute "BB". "Les derniers embruns de la 'Nouvelle vague' l'ont emporté me laissant seule sur la plage abandonnée", conclut-elle.
Les deux acteurs ont tourné ensemble l'une des scènes mythiques du cinéma. En ouverture du Mépris, Bardot, allongée nue sur un lit, énumère les parties de son corps sous le regard amoureux de Piccoli pour un dialogue inoubliable, sur une musique de Georges Delerue: "Tu vois mon derrière dans la glace ? - Oui. Tu les trouves jolies mes fesses ? - Oui, très." Le Mépris qui révélera Michel Piccoli au grand public en 1963, raconte la désagrégation du couple, à l'occasion d'un tournage en Italie sur lequel travaille le personnage interprété par Piccoli, un scénariste.
"Peut-être le plus grand"
"Michel c'était un grand, peut-être le plus grand", estime le réalisateur franco-grec Costa-Gavras, au sujet de Michel Piccoli, qu'il avait dirigé en 1965 dans Compartiment tueurs avec Yves Montant et Jean-Louis Trintignant. "Il y avait deux grands acteurs au cinéma et au théâtre français, mais surtout au cinéma, c'est Piccoli et Depardieu. Ce sont les plus grands depuis un demi-siècle", ajoute-t-il.
"Il m'a appris à aimer les acteurs, poursuit le réalisateur, et à considérer que les acteurs sont les vrais collaborateurs du metteur en scène car ce sont eux qui portent le personnage aux spectateurs. Pour Compartiment tueurs, il a changé son personnage, son visage, il a presque changé sa vie quotidienne en faisant ce rôle."
Un géant accessible
"Il était d’une modestie royale", raconte l'actrice et chanteuse Jane Birkin, qui a également dirigé Michel Piccoli dans son film "Boxes" en 2007. Elle se souvient du jour où Michel Piccoli lui a proposé de jouer son père dans ce long-métrage : "J’étais dans ma cuisine tard le soir. Le téléphone a sonné et c’était Michel. Je lui ai dit que j’étais en train de retravailler sur mon scénario ne sachant pas quel acteur allait jouer mon père. Il m’a dit : 'Pourquoi tu m’as pas demandé?' C’était tellement inattendu. Je lui ai répondu que je pensais qu’il était occupé. C’était sa disponibilité, son accessibilité."
Elle décrit un homme attachant au "contact franc et direct" qui n’avait pas "d’agent de cinéma ni de théâtre" pour choisir ses projets. "Il choisissait sa carrière avec les personnes très connues mais en étant toujours accessible aux premiers films et aux idées des autres", se souvient Jane Birkin qui a joué dans plusieurs films à ses côtés.
Celle qui a été aussi sa voisine à Paris se souvient que Michel Piccoli faisait rire ses enfants quand il jouait le personnage de conte Baba Yaga "parce que jouer était pour lui comme un jeu d’enfant".
Un talent aussi sur les planches
Quand il n'était pas sous l'œil de la caméra, Michel Piccoli exerçait son talent sur les planches de théâtre. "C’était un homme qui ne jouait pas", se souvient le metteur en scène Bernard Murat. "On avait l’impression qu’il écrivait les rôles qu’il jouait", se remémore celui qui a dirigé Michel Piccoli dans La Jalousie en 2001, une pièce de théâtre de Sacha Guitry.
C'était quelqu'un qui venait du théâtre et qui savait ce que le théâtre lui avait appris. Il avait besoin de retrouver les planches. Voilà, c'était ça Michel. C'était cette envie de fréquenter la littérature par les moyens du théâtre.
Bernard Muratà franceinfo
Bernard Murat se souvient aussi de Michel Piccoli comme quelqu'un qui "riait beaucoup" et qui "était très drôle". Mais le metteur en scène, acteur et réalisateur français se remémore aussi un perfectionniste et éternel insatisfait. "Il a fait une petite crise pendant les répétitions" de La Jalousie, se souvient Bernard Murat.
"Un jour, alors qu'il était merveilleux, il avait l'impression de ne pas y arriver. Il s'est enfermé dans sa loge parce qu’il était en colère contre lui-même. J'ai forcé sa porte et je me suis assis. Il m‘a dit : 'Assied toi. Il faut que je te parle'. Et là, il m'a raconté sa vie d'acteur et en me disant qu’à chaque fois il doute, à chaque fois c'est le cœur qui s'arrache au travail. Enfin, c'était quelqu'un d'une grande intensité, d’une intensité merveilleuse."
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