"Nope", de Jordan Peele, impressionnant blockbuster mi-science-fiction extraterrestre mi-safari californien
Pour son troisième long-métrage, le réalisateur et scénariste américain Jordan Peele glisse de l'horreur vers un western paranormal parfois effrayant, constamment surprenant, toujours engagé.
Un homme noir, son cheval blanc Ghost, face à l’immensité du désert californien. Exceptée la pollution lumineuse et musicale trop moderne d’une maisonnette en arrière-plan, le décor porterait (presque) encore la marque de santiags eastwoodiennes. Mais ni brute ni truand face au bon Otis Junior (OJ, interprété par Daniel Kaluuya). Plutôt un prédateur volant non identifié. Sans prévenir, son canasson Ghost saute la barrière, pour disparaître dans la nuit noire par un galop effréné. Les lumières et la musique s’évanouissent brusquement. Seuls des cris aigus lointains stimulent les sens. Jusqu’à cette danse menaçante d’une ombre circulaire dans les nuages. Les yeux d’OJ se perdent dans des cumulo-nimbus devenus une jungle effrayante. Il souffle : "qu’est-ce qu’un mauvais miracle ?"
Tout au long des 2h10 anxiogènes de Nope, en salle depuis le 10 août, le scénariste et réalisateur Jordan Peele change ses personnages en fourmis vulnérables face à une soucoupe mystérieuse et meurtrière. Sorti tout droit d’une autre dimension, cet objet volant non identifié aspire (et digère) humains et animaux, sous les regards pétrifiés d'OJ et de son expansive soeur Emerald Haywood (Keke Palmer). Quel est leur premier réflexe ? Recueillir une preuve vidéo de l’existence de cet être, afin de renflouer les finances de leur ranch de chevaux hollywoodiens. Ni vraiment dans l’horreur, ni totalement dans le thriller, l’auteur des inquiétants Get Out (2017) et Us (2019) plonge le spectateur dans un blockbuster de science-fiction haletant. En deux mots pour l’acteur Daniel Kaluuya, auprès du média Essence : "horreur-aventure".
Western, Spielberg, et animes japonais
Comme à chaque livraison de Jordan Peele, le mélange des genres et des tons accroche le spectateur pour ne plus le lâcher. Pour l’occasion, tout un cocktail de références a même été concocté. Le western classique est mêlé à une science-fiction à la Steven Spielberg, avec quelques notes de l’univers et l’imagerie de mangas comme Neon Genesis Evangelion. Sans pour autant que le troisième long-métrage de l’ex-humoriste américain devenu réalisateur n’en devienne verrouillé par ces clés de lecture.
La poignante palette d’émotions de Keke Palmer, la grandiloquence de Steven Yeun en shérif d’un parc d’attraction pour mini-cowboys, le "nope" ("ben non") récurrent d’un Daniel Kaluuya apathique… Grâce à une fresque de personnages très humains, le fond de l’intrigue garde un premier pied sur terre, pendant que le second s’envole vers le sensationnel. Car dans ce safari extraterrestre, Jordan Peele s’offre une nouveauté : le grand spectacle. Arrivé à la deuxième moitié du film, le réalisateur lâche les chevaux et s’offre une course-poursuite trépidante. Le tout en plein jour, une autre rupture avec ses créations précédentes plus nocturnes.
Une satire sur le monde du spectacle
Nope garde pourtant en lui les combats de son créateur. Derrière la créature foncièrement effrayante et ses documentaristes improvisés se glisse une métaphore incisive. "Le vrai méchant c'est notre addiction à l'attention et au spectacle, et l'incapacité qui en découle de pouvoir réagir en temps réel", a résumé Keke Palmer à l’AFP. Aussi, en conservant toujours un casting majoritairement afro-américain tout en s’éloignant du genre de l’horreur qui a fait sa renommée, Jordan Peele convoit un autre message.
Nous pouvons être les protagonistes non seulement d'un film d'horreur, mais aussi d'un film d'action, d'aventure, de comédie, etc.
Jordan PeeleEssence
"Nous pouvons être les protagonistes non seulement d'un film d'horreur, martèle-t-il pour Essence. Mais aussi d'un film d'action, d'aventure, de comédie, etc." Avec une preuve historique incrustée dans l’intrigue : Emerald et OJ se disent descendants de la première personne noire captée par caméra dans une séquence mouvante par Eadweard Muybridge en 1878. Un jockey à cheval, au nom depuis égaré dans les limbes du monde du spectacle.
La fiche
Genre : Épouvante-horreur, science-fiction
Réalisateur : Jordan Peele
Actrices et acteurs : Daniel Kaluuya, Keke Palmer, Steven Yeun
Pays : États-Unis
Durée : 2h10
Sortie : 10 août 2022
Distributeur : Universal Studios
Synopsis : Les habitants d’une vallée perdue du fin fond de la Californie sont témoins d’une découverte terrifiante à caractère surnaturel.
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