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Oscars 2017 : soirée très politique et palmarès qui s'ouvre aux minorités

L'erreur d'annonce sur l'Oscar du meilleur film a un peu occulté ce qui a fait de cette 89e édition des Oscars une cérémonie fortement marquée par la politique, autant dans les discours que dans le palmarès, qui affiche deux Oscars de meilleurs second rôle pour des acteurs noirs, Viola Davis et Mahershala Ali, qui est aussi le premier acteur musulman de l'histoire sacré aux Oscars.
Article rédigé par franceinfo - franceinfo Culture (avec AFP)
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Mahershala Ali, Emma Stone, Viola Davis et Casey Affleck
 (Frazer Harrison / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP )

Dès son ouverture, la cérémonie des Oscars 2017 s'est annoncée très politique : plusieurs personnalités nommées se sont présentées dimanche sur le tapis rouge avec un ruban bleu en solidarité avec l'organisation de défense des libertés ACLU.  

L'actrice Ruth Negga, nommée pour le meilleur second rôle féminin avec "Les Figures de l'ombre", portait notamment ce ruban, en soutien à l'association, qui a doublé le nombre de ses adhérents en trois mois. En réponse aux discours et aux premières mesures de Donald Trump, de nombreux Américains se sont tournés vers des associations de défense des droits de l'homme et de protection des minorités.

Nommé pour la meilleure chanson, écrite pour le film d'animation "Vaiana, la légende du bout du monde", Lin-Manuel Miranda arborait également le ruban, de même que sa mère, qui l'accompagnait sur le tapis rouge. Autres personnalités à soutenir ouvertement l'ACLU en ce début de soirée, le mannequin vedette Karlie Kloss et le réalisateur de "Moonlight" Barry Jenkins.

"Le client", meilleur film en langue étrangère

L'animateur Jimmy Kimmel a donné le "la" de cette soirée très politisée dès son monologue d'introduction: "Cette émission est regardée dans plus de 225 pays qui maintenant nous détestent", a-t-il déclaré, allusion à la politique anti-immigration du président Donald Trump.

Le "Client", une co-production française réalisée par l'Iranien Asghar Farhadi, a reçu l'Oscar du meilleur film en langue étrangère, la deuxième fois qu'un film de ce cinéaste est primé. Son absence n'en était que plus retentissante : il boycottait la cérémonie pour protester contre le décret migratoire du président Trump visant sept pays musulmans, dont le sien. Une ingénieure irano-américaine, Anousheh Ansari, a lu une déclaration en son nom dans laquelle il justifie son boycott par "respect pour mes concitoyens et ceux des autres six nations qui se sont vus manquer de respect par (cette mesure) inhumaine".
Le chef de la diplomatie iranienne Mohammad Javad Zarif a exprimé lundi sa "fierté" après l'attribution du meilleur film étranger au "Client" du réalisateur iranien Asghar Farhadi. "Fier de l'Oscar et de la position contre 'l'interdiction des musulmans' de la part des acteurs et de l'équipe du 'Client'", a écrit sur son compte Twitter M. Zarif quelque instants après l'attribution de cette récompense. "Les Iraniens ont représenté la culture et la civilisation depuis deux millénaires", a-t-il ajouté.
https://twitter.com/JZarif/status/836059730397315073
Pour adoucir l'ambiance, Jimmy Kimmel a fait parachuter des bonbons sur le parterre de stars du Dolby Theatre d'Hollywood. A propos d'Isabelle Huppert, l'une des favorites pour la statuette de meilleure actrice grâce à "Elle", il a plaisanté: "Nous n'avons pas vu votre film" (en français) mais "nous l'avons adoré, nous sommes heureux que l'agence de sécurité nationale vous ait laissée entrer".

Viola Davis, oscar du meilleur second rôle féminin et chantre de la diversité

Cette couleur politique s'est ensuite affirmée avec les annonces successives des récompenses, au cours d'une soirée marquée par une déferlante de messages anti-Trump.Deux acteurs noirs ont été primés, pour les seconds rôles, tournant temporairement la page de la polémique sur le manque de diversité à Hollywood. 
Viola Davis (Oscars 2017)
 (Mark RALSTON / AFP)
Viola Davis a été sacrée dimanche Oscar du meilleur second rôle pour sa performance d'épouse bafouée dans "Fences", une récompense de plus pour cette interprète virtuose. Elle est la première Afro-américaine nommée trois fois aux Oscars. "Vous savez il y a un endroit où tous les gens avec le plus grand potentiel sont rassemblés. Un seul endroit, au cimetière. Les gens me demandent toujours : 'Quel genre d'histoire veux-tu raconter Viola ?'  Et je dis : exhumez ces corps. Exhumez ces histoires. Les histoires de gens qui ont eu de grands rêves mais ne les ont jamais vus réalisés. Les gens qui sont tombés amoureux et ont perdu..."

Viola Davis est devenue une vedette internationale pour le personnage d'une domestique au coeur de l'Amérique sudiste et ségrégationniste dans "La Couleur des sentiments", qui lui avait valu une nomination aux Oscars en 2012.

"Peu importe que nous portions un uniforme de bonne ou une robe de soirée. Les gens me regardent et disent : 'L'actrice afro-américaine Viola Davis'. C'est dommage. Le problème dépasse largement (les thèmes de) 'La Couleur des sentiments'"

Viola Davis aux Oscars en 2012Née en Caroline du Sud dans une famille de six enfants, d'un père entraîneur de chevaux et d'une mère femme de chambre, ouvrière, et militante des droits civiques, elle a dit avoir vécu "dans une pauvreté abjecte et le dysfonctionnement" lors de son enfance. Après avoir acquis le goût du théâtre au lycée, elle décroche une bourse pour la prestigieuse Julliard School. 
Sa carrière démarre à Broadway et dans des séries policières et judiciaires avant des débuts sur grand écran dans "Hors d'atteinte" (1998) et "Traffic" (2000), deux drames de Steven Soderbergh, puis "Antwone Fisher" (2002), de Denzel Washington. On a pu la voir ensuite dans "Jeux de Pouvoir" avec Ben Affleck et "Mange, prie, aime" avec Julia Roberts, entre autres. L'an dernier, elle était apparue en agent du gouvernement américain dans le block-buster "Suicide Squad", et en agent du FBI dans "Hacker" en 2015. Elle devrait tourner prochainement avec Steve McQueen ("12 Years a Slave").

Mahershala Ali premier acteur musulman sacré aux Oscars

Mahershala Ali a décroché l'Oscar du meilleur second rôle dimanche pour son interprétation d'un trafiquant de drogue au grand coeur dans "Moonlight", et devient le premier acteur musulman à recevoir cette prestigieuse statuette.
 Mahershala Ali sacré aux Oscars
 (PASCAL LE SEGRETAIN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)
L'acteur caméléon de 43 ans, tout récent papa d'une petite fille née mercredi, joue aussi un mari idéal dans "Les figures de l'ombre", qui avait trois nominations dimanche. "Je veux remercier mes professeurs, tant d'excellents professeurs et une chose qu'ils n'ont pas arrêté de me dire constamment (...): ce n'est pas à propos de toi. C'est à propos des personnages. Tu es un serviteur, tu es au service de ces histoires et de ces personnages et j'ai vraiment de la chance d'avoir eu cette opportunité", a-t-il déclaré en venant recevoir son prix.

"Peu importe votre religion ou comment vous voyez la vie, comment vous priez Dieu. En tant qu'artiste votre travail reste le même, essayer de dire la vérité", a-t-il également dit après être descendu de la scène.

Mahershala Ali, Oscar du meilleur second rôle, Oscars 2017
Maershala Ali n'a pas manqué de remercier le reste des acteurs jouant à ses côté dans "Moonlight", et sa femme, qui a accouché mercredi et l'a soutenu tout au long de la saison des récompenses alors qu'elle en était à son troisième trimestre de grossesse.

Dans "Moonlight", de Barry Jenkins, qui a remporté l'Oscar du meilleur film, Mahershala Ali incarne Juan, dealer cubain qui se prend d'affection pour un petit garçon maltraité par sa mère droguée... et découvre qu'elle est l'une de ses clientes. Révélé au grand public pour son rôle de chef de cabinet de la Maison Blanche dans la série à succès de Netflix "House of Cards", il avait déclaré en recevant un prix du syndicat des acteurs d'Hollywood (SAG) le mois dernier que "Moonlight" illustrait "ce qui se passe lorsqu'on persécute les gens : ils se replient sur eux-mêmes".

Apprenant sa sélection, il avait déclaré : "J'espère que je n'ai pas été nommé parce que je suis noir" mais "pour mon travail". Né à Oakland, près de San Francisco en Californie, d'une mère ministre protestante et d'un père acteur, Mahershala (diminutif de Mahershalahashbaz) Gilmore a pris pour nom de famille Ali lorsqu'il s'est converti à l'islam en 1999. 

Face à la controverse générée par le décret migratoire du président américain Donald Trump, qui prévoyait l'interdiction d'entrée aux Etats-Unis aux ressortissants de sept pays musulmans avant d'être suspendu par les tribunaux, Ali a parlé des discriminations qu'il a subies. "J'ai été interpellé en voiture, on m'a demandé où était mon arme, si j'étais un maquereau, ma voiture a été démontée. Les musulmans vont ressentir qu'il y a cette nouvelle discrimination qu'ils n'avaient pas ressentie avant, mais ce n'est rien de nouveau pour nous".

Donald Trump omniprésent, sa politique raillée tout au long de la soirée

Bien que le présentateur des Oscars, Jimmy Kimmel, ait tenté dimanche d'évoquer Donald Trump sur le ton de l'humour, la cérémonie a vite été rattrapée par la gravité, et les messages de fraternité se sont succédés. Durant son monologue d'ouverture puis lors de nombre de ses interventions, l'animateur du talk show du soir "Jimmy Kimmel Live" a tourné autour du nouveau président, sans jamais l'attaquer de front.

"Nous sommes très accueillants envers les étrangers à Hollywood", a-t-il expliqué, un pied de nez au décret migratoire de Donald Trump, aujourd'hui suspendu. "Nous ne discriminons pas les gens selon leur pays d'origine", mais "en fonction de leur âge et de leur poids", a-t-il plaisanté, en référence notamment au manque de rôles proposés par Hollywood aux actrices d'âge mur.

Le présentateur a aussi évoqué le nouveau président des Etats-Unis en rendant hommage à Meryl Streep, nommée pour la vingtième fois aux Oscars pour son rôle dans "Florence Foster Jenkins". Lors de la cérémonie des Golden Globes, début janvier, l'actrice américaine avait mené une charge nourrie contre Donald Trump, appelant le monde du cinéma à faire acte de résistance contre la politique migratoire et les discours du président. Dès le lendemain, l'ancien promoteur immobilier avait contre-attaqué, estimant, dans un tweet, que Meryl Streep était "une des actrices les plus surcotées d'Hollywood". Dimanche, en ouverture, Jimmy Kimmel a demandé au public de rendre hommage à l'actrice de 67 ans, "très surcotée", par des "applaudissements totalement immérités".

Alors que la soirée approchait de son terme, Jimmy Kimmel s'est étonné que Donald Trump n'ait toujours pas tweeté pour réagir à ce qu'il venait de voir. Depuis son téléphone, il a posté le tweet "Hey DonaldTrump, vous êtes réveillé ?"
https://twitter.com/jimmykimmel/status/836060793783267328
Il a ensuite passé quelques instants à ausculter le compte Twitter du président, attendant une réponse, qui n'est pas venue. En quelques minutes, le message a été "liké" près de 300.000 fois.

Mais si l'animateur a tenté de jouer la carte de l'humour, beaucoup d'autres ont choisi de délivrer des messages plus graves à l'adresse du président des Etats-Unis. Dès les premières minutes, en recevant son prix pour le meilleur maquillage et la meilleure coiffure, dans le film "Suicide Squad", l'Italo-Britannique Alessandro Bertolazzi a lancé : "Ceci est pour tous les immigrés".
Le réalisateur Barry Jenkins (G) et l'auteur Tarell Alvin McCraney (D) aux Oscars 2017 pour "Moonlight"
 (Mark RALSTON / AFP)
Lors de la cérémonie, le réalisateur du film "Moonlight", Barry Jenkins, qui recevait le prix de la meilleure adaptation, a lancé un appel à tous ceux qui ont "l'impression qu'il n'y a pas de miroir pour" eux. "L'académie (des Oscars) vous soutient, l'ACLU vous soutient, nous vous soutenons, et durant les quatre prochaines années, nous ne vous oublierons pas", a-t-il clamé, évocation de la durée du mandat du président Trump.

La politique s'est immiscée jusque dans les spots publicitaires (Hyatt, Audible, et le quotidien New York Times) et la catégorie du meilleur film d'animation, qui a couronné le film "Zootopie". L'un des co-réalisateurs, Rich Moore, a salué les spectateurs qui, "partout dans le monde (...) apprécient ce film", qui évoque une "histoire dans laquelle la tolérance est plus forte que la peur de l'autre".

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