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Pour ou contre "Hitchcock", avec Anthony Hopkins ?

Un réalisateur débutant s'attaque à un monument du cinéma. Bel hommage ou blasphème ?

Article rédigé par Léo Pajon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
"Hitchcock", de Sacha Gervasi, avec Anthony Hopkins, en salles le 6 février 2013. (SUZANNE TENNER)

A la première de la Mort aux trousses, un reporter interpelle Alfred Hitchcock : "Vous avez 60 ans, vous êtes au sommet de votre art, est-ce que vous ne devriez pas raccrocher ?" Le réalisateur, visiblement troublé, reste muet. Sa réponse, ce sera Psychose, un film réalisé en une trentaine de jours avec un budget rachitique, considéré aujourd'hui comme le chef-d'œuvre du maître de l'angoisse. Hitchcock, du réalisateur Sacha Gervasi, qui sort mercredi 6 février, brosse le portrait de l’icône au moment du tournage. Une période difficile : le grand Alfred doit louvoyer avec la censure, affronter les producteurs et se rabibocher avec sa femme.

Pour : un Hopkins mutant et des friandises pour cinéphiles

Dès la scène d'ouverture, les amateurs retrouvent leurs marques : un Hitchcock pince-sans-rire vient nous saluer, face caméra. L'astuce rappelle évidemment ses apparitions dans les séries télévisées Alfred Hitchcock présente. Mais les références au roi du caméo (voir ici une vidéo qui compile ses apparitions à l’écran) ne s’arrêtent pas là. La caméra reproduit par exemple "l'effet Vertigo" (expliqué ici par Le Monde). Utilisé dans Vertigo mais également dans Psychose, cet effet crée une perte de repères profondément déstabilisante. Le réalisateur reluque aussi les stars dans leur vestiaire par un petit trou dans un mur, exactement comme le prédateur de Psychose. Gervasi pousse le clin d'œil jusqu'au dessin des lettres, fendues, utilisées pour l’affiche d’Hitchcock, qui ont été reprises sur celles du thriller emblématique.

Ce film à la sauce Hitchcock s'appuie sur un casting aux petits oignons. Scarlett Johansson qui interprète Janet Leigh, est tout à fait convaincante en blonde platine ultra-glamour, et Helen Mirren, dans le rôle de la femme d’Hitchcock, donne le change en épouse délaissée. Mais c'est surtout la métamorphose d'Anthony Hopkins qui laisse baba. L'acteur semble avoir pris un bon quintal pour se mettre dans la peau distendue du maître du suspens. Deux heures de maquillage chaque matin, un faux ventre, des couches de latex superposées pour reproduire un impressionnant double menton… le résultat est saisissant.

C'est la réincarnation du maître qui s'impose de tout son poids, surprend par ses répliques teintées d'humour noir, déambule d'un pas lourd de sa villa aux studios.

Hitchcock a le mérite de lever le voile en montrant un génie aux prises avec la machine à broyer hollywoodienne. Contournant les embûches, le réalisateur va créer un chef-d'œuvre (qui a fait depuis l’objet de nombreuses suites et remakes, dont l’un signé par Gus Van Sant) particulièrement rentable : il rapporte 15 millions de dollars (11 millions d'euros) sur le seul territoire américain. Et ce en faisant fi des suggestions des producteurs et au prix d'âpres négociations avec la censure.  

Contre : la théorie un peu fumeuse d'un Hitchcock schizophrène

Adaptation à l'écran du livre Alfred Hitchcock and the Making of Psycho de Stephen Rebello, le film de Sacha Gervasi prend en fait beaucoup de libertés avec l'ouvrage. Alors que le livre se concentre, comme son titre l’indique, sur la difficile réalisation de Psychose, le long métrage se perd en chemins de traverse : portrait d'un génie, critique d'Hollywood, il évoque aussi l'intimité du couple Hitchcock et leur romance contrariée.

C’est courir trop de lièvres à la fois. Surtout quand, en sus, le réalisateur tente un portrait psychologique maladroit du personnage principal. Boulimique, alcoolique, voyeur impénitent, le pauvre Hitchcock se retrouve affublé de toutes les tares. Le génie est tellement obsédé par son film qu'il a des hallucinations et finit par être hanté par le serial killer Ed Gein (voir son portrait sur ce site spécialisé) qui a inspiré l'histoire de Psychose. Ed Gein se change en double maléfique d'Hitchcock, psychopathe en puissance. D'où le postulat un peu lourdaud sur lequel repose le film : le talent d'Hitchcock à raconter des histoires effrayantes est en fait lié à sa propre folie.

L'idée n'est pas très convaincante. D'abord parce que Hitchcock s'est moins imposé par ses perversions que par ses trouvailles cinématographiques (qui manquent cruellement à ce film à la réalisation assez paresseuse). Ensuite parce que l'artiste a jalousement protégé sa vie privée. Il n'existe aucun témoignage confortant la thèse d'un réalisateur fou. Difficile d’imaginer le cinéaste, bourgeois installé, redécorer sa maison comme Ed Gein avec des peaux humaines…

Faut-il y aller ?

Pourquoi pas. Malgré un portrait biscornu d'Hitchcock en schizophrène, le film ravira les amateurs qui retrouveront le génie en os et en chair.

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