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Pour ou contre "L’Ecume des jours", de Michel Gondry ?

Le monsieur bricolage du cinéma rencontre Boris Vian. Face-à-face génial ou collision fatale ?

Article rédigé par Léo Pajon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Il neige des plumes sur Audrey Tautou et Romain Duris. Normal, on est dans un film de Michel Gondry. (STUDIOCANAL)

Gondry qui adapte Vian… On pouvait espérer le meilleur et craindre le pire de ce choc des Titans de l’imaginaire. L’introduction du film se veut rassurante. Dans un immense atelier, des dizaines de dactylos, assis en rang d’oignons, écrivent le manuscrit de L’Ecume des jours tandis que le texte est lu en voix off. Le message du réalisateur est clair : il veut rester fidèle à l’ouvrage. Et l’histoire qui est racontée prend effectivement peu de libertés avec le roman de Vian. Un jeune et riche oisif, Colin, s’éprend de la belle Chloé (sorte d’incarnation du blues de Duke Ellington). Mais la jeune femme tombe malade : une fleur grandit dans ses poumons. Et bientôt, le rêve éveillé des amoureux prend des allures de cauchemar. Le film est-il aussi fantastique que le livre ?

Contre : un peu trop d’idées

Expérimentateur de génie, Michel Gondry a d’abord imposé son univers bricolé via ses clips, notamment pour la chanteuse islandaise Björk (comme cette mise en abyme pour le titre Bachelorette). Il a peaufiné son image de professeur Nimbus de la caméra avec des films bourrés de trucages (La science des rêves ; Soyez sympas, rembobinez). Le problème, c’est qu’avec ce nouveau long métrage, la virtuosité vire à l’épate. Comme pour s’affirmer en Méliès des temps modernes, le réalisateur en fait beaucoup niveau effets spéciaux, et peut-être un peu trop.

Le début du film est un déluge d’idées difficiles à digérer. Dans la cuisine de Colin, une anguille en mousse sort d’un robinet, et réalise une course folle, animée image par image (la technique du "stop motion" était déjà utilisée dans le clip en Lego de Fell in Love with a Girl, des White Stripes). Le chef Jules Gouffé (Alain Chabat) apparaît dans des pastilles vidéos encastrées dans la cuisinière. Et sur la table (montée sur patins à roulettes) les plats sont un mélange de photos de vraie victuaille et de tissu. Le tout en quelques minutes seulement… Bref, les astuces de Gondry pour rendre l’onirisme de Vian sont parfois géniales, mais il y en a trop, trop rapidement.

L’autre petit souci est lié au casting, certes réjouissant (Gad Elmaleh joue Chick, le fan de Jean-Sol Partre ; Omar Sy est Nicolas, cuistot et ami de Colin…) mais pas très surprenant pour les rôles titres. Avec l’interprétation enjouée d’Audrey Tautou, c’est Amélie Poulain qui débarque chez Vian. Et Romain Duris en amoureux passionné rappelle L’Arnacœur. Gondry est sans doute meilleur en Géo Trouvetou de l’image qu’en directeur d’acteurs.

Pour : une rêverie trépidante et émouvante

Malgré ces petits défauts, on vous encourage vraiment à aller voir cette merveille d’inventivité. D’abord parce qu’en un petit quart d’heure, Gondry réussit à installer son univers et chamboule le réel. Les objets prennent vie : la sonnette de Colin est une sorte d’insecte qui rampe sur les murs, des chaussures sauvages s’agitent et sautillent comme des chiens qui piaffent… C’est tout l’appartement du jeune homme qui bientôt, à l’unisson de Chloé, devient malade et se flétrit, rapetissant inexorablement. Le réalisateur a aussi su rester fidèle aux idées du romancier. Le "pianocktail", ce piano dispensant des cocktails plus ou moins aromatisés en fonction de la mélodie jouée, correspond tout à fait à l’image que peut s’en faire le lecteur.

Personnages et objets évoluent dans un univers rétro-futuriste indéterminé qui contribuent à désorienter le spectateur. L’atmosphère générale tient à la fois du Saint-Germain-des-Prés des années 1940 avec sa bande son entre swing et jazz, ses décors Art déco, mais fait aussi des incursions dans les seventies et le Paris d’aujourd’hui. Les Parisiens retrouveront d’ailleurs des lieux connus mais transfigurés. Des plumes neigent sur la Petite ceinture, et les amoureux s’envolent au-dessus des Halles (en travaux) dans un nuage tiré par une grue.

Si les trouvailles expérimentales de Gondry lui permettent de créer un petit bijou surréaliste, c’est en mettant ses trucs de côté qu'il touche à la grâce. Au fur et à mesure que le bonheur de Chloé et Colin s’étiole, la pellicule passe de la couleur au noir et blanc. Et l’émotion s’invite dans des images devenues brutalement sobres. Bizarrement, c’est avec de simples gros plans sur le visage de ses comédiens, des séquences où presque rien ne se passe, que le réalisateur transmet le plus d’émotion.

Faut-il y aller ?

Oui ! Même si les gadgets de Gondry désarçonnent au début, on finit émerveillé par cette adaptation. Le film français le plus réjouissant depuis la rentrée.

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