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"Vice-Versa" sur M6 ce soir : pourquoi on peut voir des films d'animation quand on est un adulte

Article rédigé par Boris Jullien
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Riley, l'héroïne de "Vice-Versa", avec ses parents. (PIXAR / WALT DISNEY PICTURES FRANCE)

Et même quand on n'a pas d'enfants.

Sorti en juin 2015, un mois après sa présentation au festival de Cannes, Vice-Versa (diffusé dimanche 1er avril sur M6 à 21h) avait reçu un accueil critique et public plutôt positif : 4,7 sur 5 selon les notes de la presse compilées par Allociné, 4,3 aux yeux des spectateurs. Oscar, Golden Globe, Bafta... La production des studios Pixar avait été sacrée "meilleur film d'animation" à moultes reprises, et avait été vu en France par plus de 4 millions de spectateurs au cinéma. 

Mais le rédacteur en chef de la rubrique culture du Figaro, lui, n'avait semble-t-il pas adhéré à ce film d'animation, qui raconte les aventures des sentiments d'une petite fille, proche de l'adolescence, chamboulée par le déménagement de ses parents à San Francisco.

 

Ce message de François Aubel avait généré, le 29 juin 2015, des centaines de réactions sidérées sur Twitter. Car on peut tout à fait aller voir un film d'animation quand on est un adulte (et même quand on n'a pas d'enfants). Voici pourquoi.

Ils ne sont plus destinés uniquement aux enfants

A priori, Vice-Versa traite d'un thème pas très adapté aux enfants, la psychologie. Ainsi, le spectateur est plongé dans la tête de Riley, dont le comportement est régi par cinq émotions représentées par cinq personnages : la joie, la colère, le dégoût, la peur et la tristesse. En plaçant son récit au niveau de l'inconscient, de l'imaginaire et des rêves, Pete Docter, le réalisateur, propose quasiment une introduction à Sigmund Freud. Le film peut aussi aider les parents à comprendre les réactions de leur enfant (mais aussi les leurs, car on se retrouve parfois dans la tête du père et de la mère).

Depuis quelques années, les films d'animation et quelques dessins animés ont prouvé qu'ils ne s'adressaient plus qu'aux seuls enfants. Les Simpsons ou South Park ont développé dès la fin des années 1990 un humour immature, certes, mais loin d'être enfantin. Une certaine critique sociale de l'Amérique de George Bush se retrouve ainsi dans la série de Trey Parker et Matt Stone. Mais aussi dans celle de Matt Groening, comme lorsque Banksy avait réalisé un générique corrosif.

Mais c'est probablement Pixar qui a le plus cherché à conquérir un public plus large. Sous le vernis de films pour enfants, les studios fondés par Edwin Catmull et longtemps dirigés par John Lasseter ont donc écrit à chaque fois des scénarios à plusieurs niveaux de lecture (nous y reviendrons). "Les scénarios des films Pixar sont complexes, ils développent des thèmes plus 'adultes' en effet, qu’on peut associer au cinéma indépendant (dont Vice-Versa : que se passe-t-il dans nos têtes ? Voilà un pitch de film de Michel Gondry)", explique Lucie Merijeau, chercheuse à Paris III et auteure d’une thèse sur "le cinéma d’animation et son image", dans Les Inrockuptibles.

Pour plaire aux adultes, les films d'animation jouent aussi sur les références cinématographiques. Dans Toy Story 3, par exemple, un tyrannosaure poursuit Woody et Buzz l'Eclair, recréant ainsi une célèbre scène de Jurassic Park. Dans Shaun le mouton, produit par les studios Aardman, spécialistes des films en pâte à modeler, un fermier se retrouve avec les griffes de Wolverine. "Nous aimons dire que c’est un film pour adultes que les enfants peuvent venir voir, assurent les deux réalisateurs du film, Mark Burton et Richard Starzak, dans une interview à Konbini. Mais on ne fait pas consciemment des blagues pour adultes et des blagues pour enfants. On fait ce qui nous fait rire." Et le duo de citer Charlie Chaplin, Buster Keaton et Jacques Tati comme influences. Plutôt adultes comme références.

Ils sont souvent plus engagés que la plupart des autres films

En utilisant plusieurs niveaux de lecture, les films d'animation se permettent aussi de délivrer des messages plus subversifs. La Grande Aventure Lego, réalisée par Phil Lord et Christopher Miller, met ainsi en scène un méchant nommé Lord Business, et s'attaque en creux à l'idéologie capitaliste. Des mêmes auteurs, Tempête de boulettes géantes, lui, se moque de la malbouffe et de l'appétit américain, dans une scène où les personnages du film se gavent de hamburgers XXL, de pizzas et de crème glacée tombés du ciel.

Quand les enfants s'amusent de voir des tornades en spaghettis ou des averses de boulettes de viande, les parents sont susceptibles de voir le message subliminal du film : l'environnement, sous l'effet du développement des sociétés contemporaines, se détraque. 

L'écologie est d'ailleurs souvent au cœur de la morale des films d'animation. Dans Happy Feet, de George Miller (oui, l'auteur de Mad Max : Fury Road), les pingouins découvrent que le manque de poisson est dû à la pêche intensive de l'homme. De même, Lovelace s'étrangle à cause d'un déchet humain, un emballage de bières.

Autre exemple : Wall-E. Produit par Pixar, le film d'Andrew Stanton se déroule dans un futur dystopique sur une planète Terre transformée en dépotoir. Les humains qui ont survécu sont devenus obèses à force de progrès technologiques leur facilitant le quotidien.

Comme l'écrit assez justement le Huffington Post, "Wall-E n'a probablement pas été le Pixar le plus facile à vendre aux jeunes spectateurs (c'est la plupart du temps une méditation silencieuse sur la culture de consommation et le matérialisme humain…)".

Il est important de garder son âme d'enfant

Histoire de parler au public adulte qui va voir des films d'animation, ceux-ci en appellent aussi à la nostalgie. Dans Vice-Versa, par exemple, l'héroïne doit faire face à l'émergence d'idées noires dans son cerveau. Du coup, le spectateur assiste, forcément la larme à l'œil, à la perte de l'innocence de Riley, symbolisée par la chute dans le vide de "l'île des bêtises". Et tout l'enjeu du film est que la fillette retrouve sa joie de vivre, même si elle grandit.

L'importance, c'est donc de garder (un peu) son âme d'enfant. Dans La Grande Aventure Lego [attention spoiler], le grand méchant, joué par l'infantile Will Ferrell, se révèle être en fait un adulte tout-puissant qui ne veut plus jouer avec ses briques. Et le film de blâmer le passage à l'âge adulte, la victoire du sérieux sur l'amusement.

N'en déplaise à François Aubel, qui regrette une "infantilisation de la société""il n’y a aucun mal, petit ou grand, à se laisser toucher par des films d’animation, qui sont avant tout des récits complexes qui nous parlent et nous émeuvent, et nous aident à appréhender le monde", conclut Lucie Merijeau dans Les Inrocks.

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