"Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu ?" est-il un film raciste ?
La comédie de Philippe de Chauveron, qui cartonne actuellement dans les salles, accumule les clichés sur les religions et l'intégration des minorités.
Après Bienvenue chez les Ch’tis (en 2008) et Intouchables (en 2011-2012), le cinéma français a peut-être trouvé son nouveau champion du box-office. Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? aura sans doute atteint les 5 millions de téléspectateurs ce week-end, et peut espérer faire "sept à dix millions d’entrées", selon la Fédération nationale des cinémas français sur RTL.fr.
La comédie de Philippe de Chauveron (le réalisateur de L'élève Ducobu) raconte l’histoire de la famille Verneuil dont les parents, un couple de "catholiques gaullistes", ont du mal à accepter leurs quatre gendres : un juif, un Arabe, un Chinois et un Noir, tous des Français. Pendant les réunions de famille, les préjugés touchant aux origines ou à la religion fusent.
Depuis sa sortie le 16 avril, malgré son succès, le film divise les spectateurs. "Il nous prouve que la comédie française n'est pas totalement morte", écrit un spectateur sur Allociné, tandis qu'un autre fustige "les clichés racistes maladroitement justifiés par une prétendue dédramatisation de la xénophobie". Alors que certains critiques y voient une bonne manière de tordre le cou à toutes sortes d'idées reçues, d'autres imaginent que le film produit l'effet inverse. Alors, est-ce un bon remède au racisme ou un simple concentré de clichés ?
Oui, tous les clichés racistes sont réunis
"On ne s’était pas autant poilé depuis Intouchables", selon Evangeline Barbaroux, la chroniqueuse cinéma de LCI. Dans la veine du carton de 2011 avec Omar Sy et François Cluzet, Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? ressasse les thèmes des minorités, de l’origine culturelle et de la religion pour faire rire. A croire que le sujet, en France, plaît et attire les spectateurs.
Le film de Philippe de Chauveron aborde la question de l'intégration sans aucun détour. Les personnages, des "Noichs", des "Feujs" et des "Rebeus", sont tous des caricatures du milieu culturel ou religieux auxquels ils appartiennent, et tous les traits dont s’emparent volontiers les blagues racistes sont étoffés au maximum. David Benichou, Ségolène Verneuil ou Tchao Ling sont les membres de cette "famille Benetton", comme l'appelle un des voisins des Verneuil. Aucun cliché raciste n’est oublié : "les Arabes sont des barbares", "les Chinois ne font aucun effort pour aller vers les autres", les Noirs sont des "machines" avec les filles.
Non, car le film porte un message de tolérance
Le message de ce film est clair : le racisme est une absurdité qui pousse par exemple Claude Verneuil (incarné par Christian Clavier) à confondre couleur de peau et nationalité : "Pas un Français sur les trottoirs de Barbès", observe-t-il. Toutes les situations dans lesquelles se trouvent les personnages sont propices à des saillies racistes, au point que l’effet d’accumulation parvient à porter le message de tolérance évident du film. Et toutes les religions représentées dans le film, toutes les communautés, en prennent pour leur grade… y compris les catholiques que sont les Verneuil, méprisés par le père de la famille Koffi, débarquée de Côte d’Ivoire.
A en croire les rires dans la salle de cinéma, le film agit comme un exutoire. Le racisme est poussé à son paroxysme, au point que le film ne puisse être taxé de soutenir cette idéologie. Catholiques avec un gendre juif, un couple de parents, interrogé par francetv info à la fin de la séance, confirme que "sans être raciste, le film retranscrit parfaitement les situations dans lesquelles on peut se retrouver". L'effet cathartique est assuré, "parce que les traits sont grossis", dit le couple. L’accumulation de clichés dans le scénario est assumée : comme le dit Charles, l’un des gendres, "heureusement que vous n’avez que quatre filles… Sinon la cinquième aurait épousé un Rom".
Oui et non : la vraie question du racisme est contournée
Dans le Parisien, Najat Vallaud-Belkacem, ministre du Droit des femmes, de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, souligne que ce film "ne met personne en accusation". C’est peut-être, justement, ce qui fait dire à de nombreux critiques que Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? est "consensuel", comme Jean-Baptiste Morain, journaliste aux Inrockuptibles. Trop consensuel ?
En ne s’attaquant pas à toute l’immigration, mais seulement à l’immigration choisie (les gendres, parmi lesquels un avocat et un banquier, sont tous issus de milieux aisés), le réalisateur n'évoque pas toute la question du racisme. "De là à penser qu’il n’y a de bonne immigration que choisie, il n’y a qu’un pas que M. Verneuil semble être à deux doigts de vouloir nous faire partager", écrit Franck Nouchi dans Le Monde.
Les clichés perdent de leur poids, même si les bons sentiments permettent au film de terminer sur une image positive, celle de l’ouverture vers l’autre. "On est en 2013, le monde a changé, il faut être tolérant, ouvert sur le monde", dit Marie Verneuil (incarnée par Chantal Lauby) à son mari.
"Derrière le message de tolérance qu’il entend délivrer – vive la différence, vive les mariages mixtes – se profile pourtant quelque chose de plus ambigu, une manière, certes comique mais tout de même, de vouloir banaliser sinon le racisme, du moins les propos racistes", résume Franck Nouchi. Le film ne semble pas assumer pleinement une critique frontale du racisme. Finalement, il pousse plutôt à en rester au constat de Rachid, l’un des gendres : "On a tous un petit côté raciste, dans le fond…" Dans le film, en effet, les idées racistes restent de simples préjugés, loin de toute violence et même plutôt humanisés, toujours doublés de regrets de la part des personnages. De quoi déculpabiliser les racistes ?
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