"Metropolis" redécouvert
Science-fiction
Si l’on excepte « Le Voyage dans la Lune » (1902) de Georges Méliès, « Metropolis » s’avère être le premier film de science-fiction dont l’influence fut déterminante, en dépassant celle d’« Aelita » (1924, Yakov Protazanov), pour installer définitivement le genre à l’écran.
L’œuvre du magicien de Montreuil, qui adapte très librement « De la Terre à la Lune » de Jules Verne et « Les Premiers hommes dans la Lune » de H. G. Wells, relève du cinéma primitif et est caractéristique de la veine féérique de son auteur. Exploité dans les baraques foraines, comme toutes les productions du temps, sa durée de 12 minutes était exceptionnelle à l’époque, sans parler de l’avant-garde de ses trucages.
Si « Aelita » influença sans doute Lang dans son choix de se tourner vers la science-fiction naissante, le film russe est clairement un film de propagande soviétique et vaut plus par ses décors et costumes constructivistes d’Alexandra Exter que par sa dramaturgie et mise en scène.
Science Wonder Stories
Dès 1910, le cinéma prend une voie différente, tant dans les sujets, la narration, la réalisation que la durée des films. Si les cinéastes font souvent appel au fantastique (fantômes, vampires, diables…) dont les thèmes relèvent du surnaturel, la science-fiction est rare et traitée sur un mode plus alchimique que technologique (« Frankenstein », Jekyll/Hyde, « Homonculus »…) jusqu’à « Aelita », puis le film de Lang.
Et pour cause ! Si cette terminologie apparaît pour la première fois en 1853, elle ne se popularise qu’à partir de 1929 dans l’éditorial de la revue américaine « Science Wonder Stories » sous la plume d’Hugo Gernsback à qui en est attribuée la paternité. Il faudra attendre 1950 pour que le terme arrive en France. Jules Verne et H. G. Wells sont les pères de la science-fiction littéraire, et Fritz Lang celui de son équivalent à l’écran
Caligari
Initiateur du cinéma expressionniste allemand, « Le Cabinet du docteur Caligari » de Robert Wienne sort en 1920. En rupture avec les canons esthétiques de l’époque, il s’émancipe de toute figuration réaliste, escamotée par de grandes toiles peintes abstraites et de carcasses obliques, qui traduisent le récit d’un déséquilibré mental.
Le sujet fantastique (un montreur de foire manipule un somnambule pour commettre des crimes) et le traitement de l’image feront école, notamment en Allemagne : « Nosferatu » (1922), « Faust, une légende allemande » (1926) de Murnau, « Docteur Mabuse » (1922), « Les Nibelungen » (1924), de Fritz Lang ; « Raskolnikoff » (1923) de Robert Wiene, « Le Cabinet des figures de cire » (1924), de Paul Leni…
Tous se retrouvent dans le giron expressionniste où dominent des sujets fantastiques et noirs, ainsi qu’une mise en images dramatisée par de forts contrastes. Ce dernier point doit être relativisé par le virage coloré de l’image en bleu, vert ou jaune, courant à l’époque, qui échappe parfois aux cinéastes, à l’initiative des distributeurs. Où se situe « Metropolis » dans ce contexte ?
Métropolis, film expressionniste ?
Le film ne relève pas du fantastique mais de la science-fiction, où la science et la technologie prennent le pas sur le surnaturel. Le traitement de l’image n’est pas fantasmagorique, mais réaliste. Lang s’attache à reconstituer un futur crédible par des effets spéciaux élaborés. Des arguments qui émancipent « Metropolis » d’un expressionisme caligaresque.
Des éléments attestent toutefois d’une revendication expressionniste, telle la salle des catacombes où se réunissent les ouvriers pour écouter Maria, avec ses croix déployées en éventail, les ombres qui se glissent dans les souterrains, les rues sombres, les diagonales de lumières et d’ombre sur les gratte-ciel…
L’imaginaire scientifique se voit teinté de magie dans la personnalité de Rotwang dont le laboratoire est agrémenté d’un pentacle (symbole occulte à cinq éléments). Scientifique, savant, donc identifié au progrès, il est rattaché au passé par la masure qu’il habite au milieu des immeubles qui l’entourent. Il apparaît plus sorcier que savant.
Sa création, un double robotique de Maria, renvoie à la légende juive du Golem, qui a fait l’objet de deux films allemands signés Paul Wegener en 1914 et 1920. Les deux créatures sèment la panique dans la ville. Mais Rotwang est aussi servi par l’électricité qu’alimente toute une technologie sophistiquée et dont les lumières renvoient aux toiles du mouvement plastique futuriste italien, contemporain du film, qui en est tout imprégné.
« Metropolis » est à la charnière de l’expressionnisme et la « Nouvelle objectivité », nouvelle tendance déterminante pour ce qu’il allait advenir du Cinéma. L’expressionnisme n’en aurait pas moins de beaux jours jusqu’aujourd’hui, toujours sous des sujets fantastiques et noirs (« M. le maudit », Hitchcock, Mario Bava, Dario Argento, Brian De Palma…)
Métropolis, film politique
Réalisé au cours de la République de Weimar (1919-1933), « Metropolis » émane d’un scénario original de Thea von Harbou, déduit du roman éponyme qu’elle publia dès 1926, pendant le tournage. Romancière, dramaturge et scénariste, son influence est considérable à l’époque.
Epouse de Fritz Lang depuis 1922, elle écrira tous ses films jusqu’en 1933, date à laquelle le réalisateur divorce et quitte l’Allemagne ; d’abord pour la France, puis les Etats-Unis, afin de fuir le nazisme. Thea von Harbou adhèrera, elle, au NSDAP (Parti national-socialiste ouvrier allemand) en 1940, autrement dit le Parti nazi. La femme de lettres n’a jamais caché ses sympathies pour le national-socialisme dès les années 20. Elles engendreront de forts désaccords entre le réalisateur et sa scénariste, notamment concernant « Metropolis ».
Le film voit la réconciliation entre la classe ouvrière et les élites au sommet d’une cathédrale, après la chute de Rotwang, catalyseur de la révolte et de tous les maux de la cité.
A l’image du nazisme naissant, Metropolis appuie son scénario sur une révolte ouvrière cataclysmique résolue par une troisième voie. La première mouture du NSDAP, le DAP, signifiait Parti ouvrier allemand. Mais il n’avait rien de marxiste, prônant non pas la chute du capital par la révolution prolétarienne, mais la fusion des classes sous l’égide nationaliste avec comme boucs émissaires les francs-maçons et les juifs. La première partie de l’équation se trouve dans la poignée de mains du maître de la vielle et le représentant des ouvriers. La seconde se vérifie dans la mort de Rotwang, dont le physique relève des stigmates antisémites de l’époque.
La cathédrale, symbole culturel européen unifié, renvoie à la nationalité. Aussi, la morale du film - la réunion du cerveau (les élites) avec le bras (les ouvriers), par le cœur (le nationalisme) - n’a jamais été acceptée par Lang, qui voyait dans ce médiateur un nazisme avançant sous cape et en pleine expansion en 1927. Si le message est sans doute moins perceptible aujourd’hui, il participe toutefois de ce qui allait advenir en Allemagne, et s’avère diablement prémonitoire.
Cette lecture n’avait pas échappé à Lang qui s’en est toujours départi. La montée du nazisme confirmant ses appréhensions, et prenant le large par rapport à son mariage, il s’exilera après son divorce avec Thea von Harbou dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933. Ce nazisme sous-jacent n’est plus guère lisible aujourd’hui, la subjuguante beauté du film prenant le dessus sur tout le reste.
Futur antérieur : au-delà de « Metropolis »
La vision de la ville futuriste qui donne son titre à « Metropolis » est d’un réalisme spectaculaire inédit, qui devait définitivement influencer toute l’imagerie de science-fiction, tant dans l’illustration que le cinéma, avec ses tours monumentales, ses autoroutes et trains suspendus, ses aérostats volant autour des immeubles…
Des images auxquelles Ridley Scott rend hommage dans « Blade Runner » (1982), « Le Cinquième élément » (1997, Luc Besson), ou Coruscant, la capitale de la République Galactique dans « Star Wars ». Le robot aux courbes féminines de « Metropolis » est de son côté la source d’inspiration du « droïde » 63PO qui pourrait en être son équivalent masculin dans la saga de George Lucas. La silhouette du robot de Lang assise auréolée de halos et d’arcs électriques, reste à jamais gravée au panthéon des plus célèbres images de cinéma jamais tournées.
Les savants effets spéciaux du film firent appel à des techniques inédites, a de complexes systèmes de miroirs, à l’exposition jusqu’à 30 fois répétées de la pellicule, où à l’animation de 2100 images, unité par unité, pour un plan de 10 secondes qui requirent huit jours de tournage…
« Metropolis » n’était en 1927 qu’une ultime superproduction, dont les premières remontent à « Cabiria » (1914), « Intolérance » (1916). La dernière en date, avant « Metropolis » n’était autre que « Les Nibulungen » (1926), du même Frtz Lang. L’échec originel de « Metropolis », confirme sa modernité, cristallisée dans le propos d’une œuvre, en avance sur son temps.
Enfin, allez voir « Metropolis » au cinéma pour en tirer toute l’évanescence épique, et enchaîner avec l’exposition qui lui est consacré à la Cinémathèque française. Une rare joie des yeux et de l’esprit. Indispensable.
Après le film, l’expo
L’exposition que consacre à « Metropolis » la Cinémathèque française jusqu’au 29 janvier prochain est d’autant plus appréciable quand le film est encore frais à l’esprit. Mise en scène en six salles thématiques (La cité des fils, La ville ouvrières, La ville haute, Le laboratoire de Rotwang, Les catacombes, La cathédrale), elle est ponctuée d’extraits qui permettent de situer les pièces exposées dans la continuité du film.
Celles-ci sont majoritairement constituées de magnifiques dessins de production d’Erich Kettelhut pour les décors et d’Aenne Willkomm pour les costumes, qui évoquent les aquarelles d’Erté. De nombreuses photos de tournage ponctuent le parcours, issues du fonds Lotte H. Eisner que cette première conservatrice de la Cinémathèque française lui légua.
Des caméras d’époque, des reproductions de costumes, des affiches, des journaux, des objets promotionnels, des pages du scénario original… évoquent le film. Le clou demeure la reproduction du robot par son créateur même, le sculpteur allemand Walter Schulze-Mittendorf, dont la cinémathèque est propriétaire depuis 1972. Sa mise en scène spectaculaire est comme le couronnement de ce voyage au cœur d’une œuvre visionnaire.
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