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Reda Kateb, éloge de la simplicité

Il a été interne, taulard ou rappeur psychopathe. Reda Kateb est cette fois chauffeur de taxi dans "Arrêtez-moi là" de Gilles Bannier, sorti mercredi en salles. Un mec comme un autre que la justice va broyer. Rencontre avec un acteur qui refuse de "s'empêcher".
Article rédigé par franceinfo
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  (Boris Courret)

Reda Kateb arrive avec son chien, Polo, un petit caniche cabochard qui se traîne quelques pas derrière lui. Ils se sont rencontrés sur le tournage de son dernier film "Arrêtez-moi là", le premier long métrage de Gilles Bannier. Il y campe le rôle de Samson, un type lambda qui voit, du jour au lendemain, sa vie s'écrouler. Un mec qui fuyait pourtant les emmerdements et devenu chauffeur de taxi à Nice comme ça, sans trop se poser de questions. Simplement parce qu'il aimait plutôt bien conduire. Un mec que la machine judiciaire, implacable, impavide, va broyer. "J'aime quand le cinéma rend justice aux gens simples. Quand le scénariste parvient à trouver une originalité à des gens de la vie de tous les jours, qu'on peut croiser dans la rue."

 
"Une affection pour le réel"

C'est dans une ruelle du XVIe, à deux pas de la maison de la Radio, que nous avons retrouvé l'acteur. Manteau sombre, chapeau en laine bas sur le front, personne ne le remet. Le petit bar où devait avoir lieu l'interview affiche porte close. Celui d'en face, "bien trop guindé". C'est donc un peu plus loin qu'il nous conduit, dans un modeste bistrot aux chaises couinantes. Reda Kateb ressemble aux personnages qu'il incarne.
 
Dans "Qui Vive", un autre premier film où il partageait l'affiche avec Adèle Exarchopoulos, il était un trentenaire qui se battait comme il pouvait pour devenir infirmier. Un mec tendre, simple, réfléchi, jusqu'à ce que son passé le rattrape. "Ce qui me tient à cœur, c'est d'être crédible dans ce type de rôle. J'ai une véritable affection pour le réel et cette apparence de simplicité", souffle-t-il, la pression qu'il vient de commander à la main.
 
Dans "Hippocrate", sorte de récit initiatique sur fond de chronique sociale, il campait le rôle d'un interne prenant sous son aile un jeune carabin (Vincent Lacoste) et l'accompagnait dans son chemin vers la maturité. Un rôle touchant qui lui a valu le César du meilleur second rôle en 2015.

Gueule

Des personnages socialement acceptables ou vertueux, bien loin de ceux qu'il a pu jouer à ses débuts. Car Reda Kateb, c'est une gueule. Une gueule à part dans le cinéma français. Une gueule qui raconte quelque chose. Sur laquelle on peut mettre des histoires. Une dureté dans le regard. À faire pâlir. Mais une douceur qui point au moindre sourire. Une gueule aussi qui l'a parfois desservi. Surtout quand il passait des castings, il y a quelques années. À l'époque, le cinéma recherche des visages plus lisses, plus laiteux.
 
Cette gueule qui lui a sans doute permis, au début de sa carrière, d'enchaîner les rôles de voyou. Aziz, le rappeur trafiquant et psychopathe de la saison 2 d'"Engrenages". Jordi, le taulard gitan du film multi-césarisé de Jacques Audiard, "Un Prophète". Ou Nader, truand à l'ancienne dans la saison 3 de "Mafiosa". Mais jouer les loubards, il en a eu un peu marre. "Après 'Un prophète', on me proposait uniquement des rôles de petit caïd. Les projets ne me plaisaient pas vraiment. Et pendant cette période, je les refusais tous." Sa filmographie en est la preuve. Être cantonné à quoi que ce soit, très peu pour lui. Reda Kateb est de ceux qui refusent de "s'empêcher", comme l'écrivait Camus. "J'aime jouer sur différentes cordes. J'aime me surprendre. Être comédien, c'est l'occasion de pouvoir endosser tous les déguisements." Raison pour laquelle il assure que si un scénario lui plaît, il n'hésitera pas une seconde à camper à nouveau le rôle d'un voyou.


"Faire des choix pour de bonnes raisons"

Il sera d'ailleurs Nasser, un jeune homme qui vient de sortir de prison dans "Mon nom à Pigalle", aux côtés de Slimane Dazi, autre "acteur à gueule audiarisé". Un film qui contera l'histoire de deux frères qui se déchirent pour un établissement de nuit. Le premier long métrage d'Hamé et Ekoué, membres de La Rumeur, pour un Reda Kateb qui les enchaîne.
 
"Ce sont des expériences excitantes où il y a toujours comme une sorte de fièvre", confie l'acteur de 38 ans. "Mais je ne choisis jamais un film pour rendre service à un petit jeune ou par copinage. Quand un scénario m'intéresse, que je parviens à m'entrevoir dans chacune des scènes, je fonce. C'est une affaire de subjectivité, mais j'essaie de faire des choix pour de bonnes raisons." Raconter une histoire forte, défendre un personnage. Voilà ce qui le porte. "J'ai trop d'amour pour ce métier pour accepter des projets uniquement pour la gloire."

Matière mouvante

Le métier, il l'apprend petit. À 3-4 ans, il suit déjà son père en tournée, le comédien Malek Kateb et assiste aux représentations de sa troupe. Dès l'âge de 8 ans, il le rejoint sur scène. "J'ai tout de suite su que c'est ce que je voulais faire." Une vie sur la route, chaque soir dans un lieu différent. Et il va l'aimer cette vie de saltimbanque. Cette vie pas trop sérieuse. "On galérait mais on était libre. On jouait, on se déguisait. On se fichait de la reconnaissance. L'important, c'était surtout de faire une belle représentation. Qu'il y ait ce moment de partage avec le public." Le théâtre, c'est son école. Cette école de l'humilité, de l'exigence. Peut-être y reviendra-t-il. Mais là encore, "il attend le bon projet".
  (Boris Courret)
Une époque qui lui inspirera son premier court métrage, "Pitchoune", présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2015. L'histoire de deux frères spécialisés dans les animations pour enfants. L'occasion pour l'acteur de s'écrire un rôle différent de ceux qu'on lui proposait et de réaliser comme il aime tourner. "On reconsidérait tout en permanence. J'ai pensé ce film comme une matière mouvante. Rien n'était figé. Et je suis satisfait du résultat, pas parce que je pense avoir réalisé un chef-d'œuvre, mais parce que j'ai le sentiment d'avoir été compris."
 
Au cinéma, il pense son jeu comme un mouvement. Un échange avec le réalisateur. "Une balle qui circule de l'un à l'autre. Pas fait pour être parfait mais pour être vivant." Voilà ce que l'expérience lui a appris. Essayer des choses. Taper à côté, parfois, mais se dire que ce n'est pas grave. "Je ne suis pas là pour exécuter poliment ce qu'on me demande, mais pour retrouver la respiration de la vie." Faire tomber le masque.
 
Un peu comme un Gabin, qu'il admire. Laisser voir l'humain derrière ses rôles, et "ne jamais se prendre trop au sérieux", conclut-il en finissant sa pression, pour repartir comme il est arrivé, à pied, avec Polo. Calmement. Simplement. 

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