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Septembre 2001, rencontre avec un géant du cinéma qui nous a quittés le 2 juillet : Michael Cimino

C’était en 2001, peu avant les attentats du 11 septembre. Michael Cimino ne tournait plus depuis « The sunchaser » (1996) et était à Paris pour la publication d’un livre, « Big Jane ». L’occasion d’une rencontre, longue, belle, sincère. Une cigarette vissée aux lèvres, il m’a parlé de l’écriture, du cinéma, de la ruée vers l’Ouest, du rêve américain et de tous ceux qui n’y participent pas.
Article rédigé par franceinfo - Lorenzo Ciavarini Azzi
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Michael Cimino le 6 septembre 2001, ici à Deauville.
 (ALAIN JOCARD / AFP)

Michael Cimino s'est éteint samedi, le 2 juillet. Retour sur une rencontre d'il y a quinze ans. C’était au début du mois de septembre 2001, quelques jours avant les attentats du 11. Michael Cimino était de passage à Paris, une ville qu’il aimait, où il se sentait bien. C’est en France qu’il a publié son roman, « Big Jane », dans la collection La Noire, chez Gallimard. Nous nous sommes rencontrés dans un salon de l’Hôtel Lutetia où il m’a accordé une interview pour « Des mots de minuit » (France 2). Pas de limite de temps pour la rencontre, bien loin des « press junkets » auxquels se livrent d’habitude les stars d’Hollywood. Etait-ce parce que Cimino était là comme écrivain et non pour la promotion d’un film ?

Michael Cimino le 6 septembre 2001 à Deauville, avant de recevoir un prix littéraire pour son livre "Big Jane",
 (ALAIN JOCARD / AFP)

J’ai plutôt le souvenir d’une grande disponibilité naturelle, d’un désir de parler clairement, précisément, en prenant justement le temps. Sérieux, et souriant. Seule exigence (même pas négociée, évidemment) : garder ses lunettes noires et pouvoir en griller une tout au long de l’entretien. Je garde cette jolie image d’un nuage de fumée l’enveloppant dans le décor rouge aux spots jaune du célèbre hôtel qui aujourd’hui fait peau neuve.

« Nous avons commis un grand génocide en nous déplaçant d’Est en Ouest »

« Big Jane » est une sorte de « road movie » littéraire faisant parcourir à une jeune femme quelque peu paumée les Etats-Unis d’Est en Ouest, en quête d’un lieu où « elle n’aurait pas le bourdon ». « Cette migration d’Est en Ouest est une tradition américaine », dit Michael Cimino : « L’Ouest, c’est la direction du soleil doré, du Pacifique, de l’espoir (…) c’est la ruée vers l’or, la possibilité de devenir autre chose, la possibilité de se transformer. Et à mesure qu’on se déplace d’Est en Ouest, l’horizon s’élargit et le paysage devient de plus en plus infini. L’espace devient si vaste qu’on ne peut plus l’appréhender ».

Cette route d’Est en Ouest, est aussi la rencontre avec les hommes, premiers desquels les Indiens, peuple auquel Cimino a consacré notamment un film, « The Sunchaser ». « J’ai une affinité particulière pour les Indiens d’Amérique », me dit-il, « car j’ai passé beaucoup de temps quand j’étais très jeune, dans le Dakota du Nord et du Sud et j’ai appris à connaître les Sioux en particulier. C’était les premiers Américains. Nous leur avons volé leur terre. Nous avons commis un grand génocide en nous déplaçant d’Est en Ouest ».

L’histoire américaine des années 1950

Autre sujet du livre, la guerre. Mais pas celle du Vietnam, qu’il a décrite avec violence et profondeur dans « Voyage au bout de l’enfer », avec notamment Robert De Niro et Christopher Walken, non, ici c’est la guerre celle de Corée. « C’était il y a 50 ans, et c’était le milieu du 20e siècle. Une guerre très courte et très meurtrière, la seule guerre que l’Amérique a perdue et la seule guerre pour laquelle il n’y a pas de monument aux Etats-Unis. (…) On a perdu autant d’hommes en deux ans en Corée qu’en quinze ans au Vietnam. Rien à voir avec MASH. 450 femmes ont servi en Corée. Les femmes ont enduré les mêmes souffrances, la même cruauté que les hommes », explique-t-il. Big jane, héroïne du livre, elle l’une d’elles.

L’histoire récente des Etats-Unis, sujet de fascination. Là il s’agit des années 1950 : « En partie à cause de la Guerre de Corée. Mais aussi parce que ces années signent le début d’un profond changement dans la culture américaine. C’est à cette époque que James Dean et Marylin Monroe ont commencé à devenir des mythes. C’est à ce moment que les femmes ont commencé à être ce qu’elles sont aujourd’hui. (…) Les artistes aujourd’hui sont devenus beaucoup plus puissants grâce à des gens comme Marylin Monroe ». Le saviez-vous ? « Marylin Monroe a été la première à recevoir un pourcentage sur la recette du film».

Michael Cimino : un artiste qui provoque, mais qui « ne dénigre pas l’Amérique »

L’écriture. Cimino était un vrai auteur. Quel que soit le support. « Je pensais avant d’écrire le livre qu’écrire un scénario, un roman, et une pièce étaient trois choses différentes, mais très vite je me suis aperçu que ce n’est pas vrai. Dans le sens où il doit y avoir un ressort dramatique. Quel que soit le faste d’une production théâtrale, quelle que soit la beauté des images d’un film, ou quelle que soit la somptuosité de la prose d’un roman, si les personnages ne nous touchent pas, ça ne nous touche pas et l’œuvre est un échec ». (…) « Je pense que le succès d’un livre se mesure à l’impact que les personnages ont sur nous. On se souvient d’Anna Karenine, de J. Gatsby… »

« Dans votre œuvre, vous démontez en partie le rêve américain », lui ai-je fait remarquer… « Ce que je fais c’est vous en montrer un aspect. « La porte du paradis », par exemple, est une histoire vraie, ça s’est réellement passé. Oui, ça entraîne des tragédies ! Mais les gens vont là-bas pour devenir ce qu’ils ne pouvaient être dans leur propre pays. Je ne dénigre pas le fait qu’on puisse réussir. Tout le monde ne réussit pas. Ceux qui vont à Hollywood ne deviennent pas tous des stars ! Tous les serveurs d’Hollywood ont leur triste histoire. Certains restent serveurs toute leur vie. Certains ne font jamais mieux que figurant, certains n’arrivent même pas à l’être. Le succès n’est pas automatique, par le simple fait d’aller là-bas. Il faut énormément d’énergie. Personne ne devient star – dans la chanson ou dans le cinéma, sans le vouloir et surtout sans le vouloir plus que tout au monde. Sans cette énergie, c’est impossible. Donc je ne dénigre pas l’Amérique, j’adore l’Amérique, c’est un pays super. Si ce n’étaiy pas le cas, je n’y vivrais pas ! »

Depuis ses débuts, dans ce pays on l’a souvent traité de tous les noms : de « traître à la nation », de marxiste, de fasciste, mais aussi de raciste. Michael Cimino n’en avait cure. « Vous aimez toujours l’Amérique ? » « Pour toujours et à jamais » avait-il conclu.

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