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"17 Blocks" : la caméra de Davy Rothbart a capté la vie d'une famille afro-américaine pendant 20 ans

Le film documentaire de Davy Rothbart révèle les failles de la société américaine des vingt dernières années en même temps qu'il raconte une histoire familiale à la dramaturgie digne d'une tragédie grecque. 

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Emmanuel Sanford, "17 Blocks", de Davy Rothbart, 2020 (Sophie Dulac Distribution)

17 Blocks de Davy Rothbart plonge pendant deux décennies dans la vie d'une famille noire américaine, emblématique d'une frange sacrifiée de la société gangrenée par la violence. Un documentaire exceptionnel qui sort dans les salles en France le 9 juin 2021.

Le film s'ouvre sur un terrain de basket. C'est ici que le journaliste et réalisateur Davy Rothbart a rencontré en 1999 Smurf, 15 ans, et son petit frère Emmanuel, neuf ans. Le journaliste devient un ami de la famille, et commence à filmer la vie de Smurf et d'Emmanuel, celle de leur sœur Denice, 12 ans, et de leur mère Cheryl, accroc à la drogue, qui tente d'élever seule ses trois enfants dans une maison de ce quartier ultra violent du Sud-Est Washington DC, situé à seulement 17 "blocks" du Capitole.

Un film au long court

Le journaliste décide assez vite de confier son camescope portable le soir et pendant les week-ends à Emmanuel, qui filme à sa manière le quotidien de sa famille, et aussi la vie du quartier. "Intelligent, drôle et d’une curiosité insatiable", Emmanuel devient "comme un petit frère" pour Davy Rothbart.

"Nous parcourions le quartier, en filmant et discutant de la vie" raconte le journaliste, qui se met aussi à filmer et interviewer régulièrement Emmanuel, Smurf, Cheryl et Denice, la mère comme les enfants se laissant aller aux confidences devant la caméra de celui qu'ils considèrent petit à petit comme un membre de la famille. Davy Rothbart a pioché dans des milliers d'heures de rushes tournés sur deux décennies pour construire son film.

Cette installation dans la durée, mais pas seulement, donne à ce documentaire un caractère exceptionnel. La durée nous installe dans une proximité hypnotisante avec la famille Sanford. On est d'abord frappé par les images brutes, le regard d'enfant d'Emmanuel.

Des images qui bougent, qui captent une vie désordonnée, dans une maison sans dessus dessous. Des images qui montrent la déliquescence du foyer, la mère débordée victime de ses addictions, le grand frère qui décroche, bascule dans la délinquance, et un beau-père qui tente en vain d'aider. Des images qui montrent la violence de la rue. Des images qui donnent le tournis et envie de pleurer.

Une dramaturgie de tragédie grecque

Par contraste on est aussi frappé par la lumière qui émane d'Emmanuel. Sa constance, son intelligence, sa maturité. Un ange au milieu de l'enfer. L'enfant grandit et garde son cap pendant que Cheryl s'enfonce, que Smurf se défonce, que Denice tente de survivre. Emmanuel est devenu un beau jeune homme. Comme il l'avait dit enfant devant la caméra de Davy Rothbart, il a choisi la vie et la voie des études, et il a réussi. A vingt ans, il a une petite amie et l'avenir devant lui quand un événement dramatique vient sectionner d'un seul coup son envol.

Cette tragédie que l'on ne dévoilera pas, finit d'achever cette famille déjà complètement disloquée, mais permettra aussi, au-delà du chagrin, de sortir du gouffre de la violence et de la drogue, de cette spirale de l'échec dont on comprend les raisons quand Cheryl, à la toute fin, finit par lâcher son secret…

Au-delà de sa valeur documentaire, qui nous en dit beaucoup sur les dysfonctionnements et la violence de la société américaine, le film de Davy Rothbart a la force d'une tragédie grecque, une dramaturgie digne de la plus convaincante et émouvante fiction, avec des personnages d'une puissance et d'une profondeur bouleversantes.

"L’histoire des Sanford est, pour moi, non seulement un cri d’alarme mais aussi une puissante et inspirante histoire d’amour, de perte, de difficultés, de courage, de résilience et de rédemption. Plus que tout, 17 Blocks est une histoire d’amour – une famille faisant bloc derrière un deuil déchirant pour comprendre le lien qui les unit", confie le réalisateur, qui a créé avec les Sanford une organisation, Washington To Washington, pour permettre aux enfants des quartiers défavorisés d’aller visiter des parcs et forêts du pays. "Ces sorties ne peuvent pas guérir tous les traumatismes de ces enfants mais permettent d’élargir leurs horizons", souligne Davy Rothbart. 

Affiche du film "17 Blocks" de Davy Rothbart, 2020 (Film 17 Blocks)

La fiche :

Genre : Documentaire
Réalisateur : Davy Rothbart, en collaboration avec la famille Sanford-Durant : Cheryl, Smurf, Denice, Emmanuel, Justin
Pays : Etats-Unis
Durée : 1h35
Sortie : 9 juin 2021
Distributeur :  Sophie Dulac Distribution
Synopsis : En 1999, Emmanuel Sanford-Durant, 19 ans, et sa famille commencent à filmer leur quotidien dans le quartier le plus dangereux des États-Unis, juste à 17 pâtés de maison du Capitole. Ils n'ont pas arrêté de filmer depuis. Réalisé dans une unique collaboration avec le réalisateur et journaliste Davy Rothbart sur une période de deux décennies, "17 Blocks" nous éclaire sur la crise actuelle d'une nation à travers une saga familiale profondément personnelle, brute et émouvante.        

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