"2001 : l'Odyssée de l'espace" ressort pour ses 50 ans : retour vers le futur
L’événement était d’importance au dernier Festival de Cannes, puisque "2001 : l'Odyssée de l'espace" était projeté dans son format originel, non pas en numérique, mais en pellicule 70 mm, tel qu’il a été tourné, soit le double du format standard, 35 mm. Il est distribué partout en France sous cette forme jusqu'au mardi 12 juin dans la seule salle équipée à Paris, L'Arlequin (6e) et en numérique 4K dans les autres, partout en France, à partir du mercredi 13 juin.
Cette restauration s’est opérée à l’initiative de Christopher Nolan ("The Dark Knight", "Interstellar", "Dunkerque"), cinéaste kubrickien s’il en est. L’idéal aurait été de projeter "2001" selon le procédé Cinérama pour lequel il fut conçu, mais aujourd’hui disparu, car trop lourd, supposant une projection simultanée de trois projecteurs pour reconstituer une seule et même image à l’écran. Avant "2001", seuls deux films en ont bénéficié : "La Conquête de l’Ouest" (1962) et "Un monde fou, fou, fou" (1963).
Mais la science-fiction n’a pas bonne presse car elle est encore considérée comme un genre mineur, infantile. Les années 60, avec la montée de la contre-culture aux Etats-Unis va changer la donne. Des films de science-fiction plus ambitieux voient le jour tel "Le Voyage fantastique" (1966) de Richard Fleisher. La même année que "2001", sort en 1968 "La Planète des singes" de Franklin J. Shaffner, film de SF où joue une star absolue qui le cautionne : Charlton Heston.
La Sentinelle
Quand en 1964 germe l’idée chez Kubrick de réaliser un film de science-fiction, c’est sur le conseil de Charles Caras, cadre du studio Columbia, que le cinéaste contacte l’écrivain de science-fiction, féru de science et de technologie, Arthur C. Clarke. Il lui propose d’écrire ensemble le scénario du "meilleur film de science-fiction jamais réalisé".Les romans de Clarke relèvent du sous genre de la SF qualifié de "Hard science", c’est-à-dire très descriptive sur un ton réaliste de nouvelles technologies, notamment adapté à l’exploration spatiale, délaissant toute fantaisie. Ce qui convient à Kubrick, lui aussi passionné de science et de technologie, fasciné par les machines qu’il qualifiera même d’"érotiques".Kubrick voulait axer le film sur une présence extraterrestre
L’écriture est de longue haleine, comme le seront toutes les étapes de la réalisation de ce qui s’appelle encore, non pas "2001 : l’Odyssée de l’espace", mais "Journey Beyond the Stars" (Voyage au-delà des étoiles). Kubrick veut axer le scénario sur une présence extraterrestre et un voyage spatial, ce qui convient au mieux à Clarke. Il est décidé de prendre comme base une nouvelle de l’auteur, "La Sentinelle", où des astronautes découvrent un artefact d’origine extraterrestre sur la Lune ayant pour but de signaler à ses créateurs que l’homme est parvenu à s’extraire de sa planète. Le sujet fera l’objet de toute une partie du film au final.Après 18 mois d’écriture commune à New York, demeurent de nombreuses zones d’ombre, notamment la fin encore inexistante. Mais le studio s’impatiente et fait pression pour que le tournage commence. C’est avec un scénario non finalisé que le premier tour de manivelle est donné le 29 décembre 1965. Etrange date pour débuter un tournage à la veille de la Saint-Sylvestre. Du début de l’écriture du scénario à la Première du film, se seront déroulés quatre ans.
Quatre années de travail harassant pour toutes les équipes impliquées, de recherches documentaires colossales, d’indécisions, de changement d’avis de la part de Kubrick, de conceptions d’effets spéciaux inédits…
Expérience visuelle
En prenant "La Sentinelle" comme base du scénario, Kubrick entrevoit le sens général de son film qui doit transmettre l’idée d’une humanité dont l’évolution est sous influence extérieure. Extraterrestre ou divine, ou les deux, là n’est pas la question. Vaste projet, narratif, philosophique, cinématographique.Le film s’ouvre sur "L’Aube de l’humanité" qui voit une tribu de primates au contact d’un curieux monolithe noir qui va lui insuffler le concept d’outil, pour chasser, et d’arme pour se défendre et conquérir. Puis en l’an 2001 le même "monolithe" est découvert sur la Lune par les hommes. Celui-ci envoie un message vers Jupiter. Une mission est alors envoyée vers la planète pour résoudre ce mystère. Dans le vaisseau, l’ordinateur qui le gère se rebelle contre l’équipage, seul l’un d’entre eux parvenant à survivre. Ce dernier se voit alors envoyé "au-delà des étoiles" pour régénérer l’humanité.
A sa sortie en 1968, "2001" a souvent été taxé d’incompréhensible, d’ennuyeux et de pompeux. De son côté, Kubrick a répondu dans la seule interview qu’il réserva à "Playboy" en 68, que son film relevait d’"Une expérience visuelle, dont l’interprétation était laissée libre à tout un chacun". Il ne se défausse pas en disant cela. Son désir de cinéaste est de faire participer le spectateur au film et non pas à le laisser passif, tout en lui en mettant plein la vue. Car question spectacle, le client en a pour son argent. Toujours aujourd’hui, le film reste d’une beauté sans égale et a extrêmement bien vieilli.
Sur ses 2h21 subsistent seulement 40 minutes de dialogues, et souvent des plus banals, formels, sans émotion ou explication. Tout est dans l’image. Tout est mystérieux dans "2001". Aussi, pour supplanter toute explication, Kubrick choisit le spectacle, inédit à l’époque, en visualisant deux voyages interplanétaires, l’un vers la Lune, l’autre vers Jupiter, avec le maximum de crédibilité possible. Il déroute encore en utilisant la valse de Johann Strauss pour accompagner un "ballet" entre une gigantesque station orbitale et une navette spatiale. Et ça marche !
Effets spéciaux
Pour parvenir à ses fins, Kubrick engage les meilleurs spécialistes en effets spéciaux, notamment Douglas Trumble qui doit trouver le moyen de visualiser le passage dit de la "Porte des étoiles" dans la dernière partie du film. Il interviendra finalement sur toutes les étapes de la conception des effets spéciaux, au coeur d’une kyrielle de techniciens. Le défi majeur est la construction d’une immense centrifugeuse grandeur nature figurant l’espace intérieur du Discovery où résident les astronautes embarqués vers Jupiter, pour rendre crédible l’absence d’apesanteur à l’intérieur du vaisseau. A chaque étape de sa réalisation, "2001" est un défi, un casse-tête. Le film coûtera au final 15 millions de dollars, un budget hors-norme pour l’époque, alors qu’aujourd’hui, le dernier Marvel a un budget de 300 millions de dollars. Autre temps, autres mœurs…Le film vaudra à Kubrick l’Oscar des effets spéciaux, ce qui est ridicule et bien réducteur au regard des autres ambitions du film. D’autant que s’il était derrière les techniciens comme réalisateur pour leur faire part de ses exigences, Kubrick n’est pas leur concepteur pas plus que l’exécutant de leur mise en œuvre.
Révolution
En 1968, il est indéniable que "2001" bouleverse les habitudes des spectateurs. On leur prédit une aventure spatiale, le film s’ouvre sur une tribu d’australopithèques perdue au fin-fond de l’Afrique. On lui annonce une odyssée, il a droit à un quasi documentaire sur un voyage vers la Lune, sans péripétie. Le périple vers Jupiter est mené par deux personnages sans épaisseur, froid, envers lesquels aucune empathie n’émane, rendant impossible toute identification. La révolte de l’ordinateur Hal 9000 reste inexpliqué… Quant à la fin sans aucun dialogue voyant le seul survivant de la mission atterrir dans une chambre XVIIIe siècle, puis se transformer en fœtus, elle laisse coi…Tout "2001" repose sur le non-dit, l’ellipse et le mystère. Mystère de l’origine de la vie, de l’humanité, de son évolution. Kubrick ne tente pas de répondre à des questions mais les pose en les visualisant sous une forme fictionnelle. Film ésotérique, film hermétique, "2001" n’en est pas moins d’une cohérence implacable. L’ellipse de l’os qui se transforme en vaisseau spatial dans la seule et même partie "L’Aube de l’humanité" signifie clairement que l’humanité, après des milliers d’années depuis ses origines australopithèques, en est toujours à ses début, gouvernée par l’outil/arme primordial. La musique du générique, "Ainsi parlait Zarathoustra" de Richard Strauss, que l’on retrouvera à la fin lors de l’apparition du fœtus, "l’enfant des étoiles ", place le film sous le signe du surhomme nietzschéen, qui entend le thème de l’évolution au cœur du film.
D’autres éléments restent énigmatiques. Pourquoi ce monolithe noir ? Le dérèglement inexpliqué de Hal 9000 ? Cette chambre Louis XVI au-delà des étoiles ?... Garder le mystère participe d’une forme narrative. Il fait partie de la vie, donc du film. Le mystère est un moteur de la narration et fait vivre le film après sa vision dans l’esprit du spectateur qui cherche toujours à interpréter, au lieu de lâcher prise. De laisser place à la poésie. C’est une des nombreuses révolutions de "2001 : l’Odyssée de l’espace ", qui font que le film de Stanley Kubrick fascine toujours et pour toujours, au-delà des étoiles.
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