"Au nom de la terre", premier film déchirant d'Edouard Bergeon, fils de paysan, sur le monde agricole
Un film fort et sensible qui dit, à travers l'histoire tragique d'une famille, toute la détresse du monde paysan d'aujourd'hui.
Au nom de la terre, en salles le 25 septembre, est le premier long-métrage d'Edouard Bergeon. Réalisateur de documentaires (Les fils de la terre, 2012), il est lui-même fils de paysan. En 1999, son père Christian s'est donné la mort. Ce film est inspiré de son histoire familiale, et lui rend hommage.
Le film s'ouvre sur la terre. Un champ et ses sillons, sombres, minutieusement tracés. Au loin, une silhouette, celle d'un homme qui plonge avec rage ses pieds dans le sol. Cet homme, c'est Pierre Jarjeau (Guillaume Canet), agriculteur.
Flashback. Pierre, 25 ans revient des Etats-Unis, où il a fait un stage dans une ferme du Wyoming. Heureux de retrouver sa fiancée, Claire (Veerle Baetens), il est bien décidé à reprendre la ferme familiale. Mais il faudra l'acheter. Un rendez-vous formel avec le notaire, on trinque autour de la table de la salle à manger familiale et l'affaire est faite, la ferme est à lui. "L'important, c'est que ça reste dans la famille", conclut le père (Rufus).
La spirale infernale
On retrouve Pierre quelques années plus tard, à la fin des années 90. Marié et père de deux enfants, il a du mal à joindre les deux bouts. Il a bien Mehdi (Samir Guesmi), son ouvrier agricole, et sa femme, Claire, qui s'occupe de la comptabilité, en plus d'un travail salarié en ville. Son fils, Thomas (Anthony Bajon), donne lui aussi un coup de main de temps en temps à son père. Mais le travail à la ferme est rude, et la rentabilité modeste.
Pierre s'est lancé dans l'élevage de biquettes, et s'est endetté. Son père, installé dans son coquet pavillon depuis qu'il a pris sa retraite, regarde d'un mauvais œil sa gestion de la ferme, et ne lève pas le petit doigt pour l'aider. La banque ne le soutient plus, mais lui propose un nouveau prêt à condition qu'il accepte d'investir dans un élevage de poulets industriels. Un grand hangar tout neuf, équipé, des poussins livrés avec leur nourriture, le tout automatisé et la vente assurée quand le poulet est à maturité. Pierre, acculé, se laisse convaincre et reprend espoir…
Des jours heureux à l'agonie
En France, deux agriculteurs se suicident tous les jours. Dix mille exploitations disparaissent chaque année. Derrière ces chiffres, des familles, des hommes, des femmes, des enfants. C'est de cela que rend compte ce premier film : les difficultés et des paradoxes du monde agricole aujourd'hui. "C'est toute la perversité du système", souligne Edouard Bergeon dans la présentation de son film. "Pierre n'est pas un mégalo ! Mais autant la banque refuse de lui accorder un peu de trésorerie, autant elle se montre disposée à le suivre, et le pousse même, sur des projets pharaoniques parce que la Chambre d'agriculture et la Coopérative sont derrière".
On suit la lente et inexorable dégringolade de Pierre, qui use sa santé physique et morale pour tenter de faire vivre son exploitation, et sa famille. Le film montre la fierté d'appartenir à une terre, la vie quotidienne, tous ces petits moments de bonheur partagés malgré la rudesse du travail à la ferme : les matchs de foot et le tour de France à la télé, les fêtes de village, les baignades improvisées dans une piscine bricolée avec de la bâche et des meules de foin, la joie des moissons. Des moments qui finissent par se noyer dans l'océan des soucis. Ce film porte aussi un regard sur la transmission, sur les relations entre les générations, délicates dans un monde où l'on ne s'épanche pas facilement.
Le temps de la terre
Les comédiens servent avec sincérité ce film engagé. Guillaume Canet adopte la posture, la gestuelle du paysan avec justesse, même s'il est un peu moins convainquant lorsqu'il sombre dans la dépression. Tous les acteurs qui l'entourent, Veerle Baetens, Rufus (extra en vieux paysan intraitable et buté), Samir Guesmi, sont bouleversants, et particulièrement Anthony Bajon (Ours d'argent du meilleur acteur à la Berlinale 2018 pour son rôle dans La prière, de Cédric Kahn), très émouvant ici dans son interprétation de l'adolescent impuissant face au désespoir de son père.
Si ce film pouvait éveiller la conscience de nos concitoyens, ce serait formidable
Edouard Bergeon, réalisateur
La réalisation est sobre, avec de très beaux plans larges et fixes, en cinémaScope façon western, de la campagne, et aussi des plans plus serrés, qui capturent les corps à l'ouvrage, la joie et la souffrance. La caméra prend son temps, le temps de la terre. On regrette un peu l'omniprésence de la musique, qui casse parfois l'émotion suscitée par la justesse des comédiens et une mise en scène sans emphase. On est pris malgré tout aux tripes par cette tragédie qui dit à travers l'histoire d'une famille, toutes celles, tues, de milliers d'agriculteurs dans la détresse.
La fiche
Genre : drame
Réalisateur : Edouard Bergeon
Acteurs : Guillaume Canet, Veerle Baetens, Anthony Bajon, Samir Guesmi
Pays : France
Durée : 1h 43min
Sortie : 25 septembre 2019
Distributeur : Diaphana Distribution
Synopsis : Pierre a 25 ans quand il rentre du Wyoming pour retrouver Claire sa fiancée et reprendre la ferme familiale. Vingt ans plus tard, l'exploitation s’est agrandie, la famille aussi. C’est le temps des jours heureux, du moins au début… Les dettes s’accumulent et Pierre s’épuise au travail. Malgré l’amour de sa femme et ses enfants, il sombre peu à peu… Construit comme une saga familiale, et d’après la propre histoire du réalisateur, le film porte un regard humain sur l’évolution du monde agricole de ces 40 dernières années.
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