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"Borgman" : traité de démonologie ordinaire par le réalisateur des "Habitants"
Le néerlandais Alex van Warmerdam avait été particulièrement remarqué pour son deuxième long métrage "Les Habitants" (1992), ressorti il y a peu en salles. Cinéaste de l'inquiétante étrangeté, Alex van Warmerdam distille un cinéma sans équivalent, tant dans ses sujets que ses mises en scène. Ce magnifique "Borgman", projeté en compétition au dernier Festival de Cannes, le confirme.
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Temps de lecture : 4min
De Alex Van Warmerdam (Pays-Bas), avec : Annet Malherbe, Eva van de Wijdeven, Pieter-Bas de Waard - 1h58 - Sortie : non déterminée
Synopsis : Suite à une traque, Camiel Borgman surgit dans les rues tranquilles d’une banlieue cossue, pour sonner à la porte d’une famille bourgeoise. Il se propose d'être leur jardinier, en occupant une cabane du parc, puis invite des congénères à le rejoindre, en devenant de plus en plus envahissant, voire menaçant. Qui est-il ? Un rêve, un démon, une allégorie, ou l’incarnation bien réelle de nos peurs ? La chute des anges
« Borgman » creuse encore plus ce qui construit le particularisme d’Alex van Warmerdam comme auteur véritablement à part de la production lambda. Il pourrait être identifié à un Apichatpong Weerasethakul (« Oncle Boonmee ») néerlandais, qui aurait troqué le contemplatif asiatique pour le surréalisme européen. « Les Habitants » traitait d’un imbroglio de voisinage, où chacun épie l’autre pour lui empoisonner la vie, sur un ton tout en référence à Tati et au surréalisme nordique. « Borgman » met à plat une même ignominie sur un mode métaphysique, avec un humour d’une rare noirceur.
Le carton introductif, « Ils descendirent du ciel parce qu’ils n’étaient pas assez nombreux sur Terre » renvoie à la chute des anges de l’Ancien testament. La référence évoque la peinture flamande du XVe siècle qui traita abondamment le sujet, et influença profondément le surréalisme, source majeur de van Warmerdam. S’ensuit une chasse menée par un prêtre dans les bois à la recherche de quelques créatures cachées sous le sol même de la forêt. Découvertes, elles s’avèrent des hommes hirsutes. Désignés comme issus du dessous de la terre, telluriques, ils viennent donc de l’Enfer. La suite le confirmera. Les poisons à l’oeuvre
A la tête de ces démons, Camiel, dont la phonétique de son prénom renvoie à la tradition biblique, comme un inverse du prophète Ezéchiel (Dieu rendra fort). Avec comme patronyme Borgman, il renvoie au Bogeyman anglo-saxon, notre croquemitaine national. Il conduit une phalange démoniaque qui a pour but de convertir par maints poisons de nouvelles recrues, se consacrant à répandre partout où il s’incruste la zizanie, la destruction et la mort. Alex van Warmerdam inscrit dans le quotidien cette machine de guerre à l’œuvre. Comme sa fonction de jardinier pour mieux s’incruster dans une famille. Dès lors, il s’évertue à détruire le parc fleuri, image d’un jardin d’Eden, réduit par ses soins à néant.
Le cinéaste créé des images d’une force inouïe, tel l’effondrement du sol sous lequel se cache Camiel, sa position accroupie sur le corps endormi de Marina – comme dans le tableau de Füssli « Le Cauchemar » - pour lui inspirer des songes qui la monteront contre son mari. Et cette trouvaille ahurissante des corps assassinés, disposés tête bêche au fond de l’eau renvoyant à « La Nuit du Chasseur » (1955) de Charles Laughton.
Métaphore sur l’avidité de l’homme, magnifiquement mis en images et en scène, « Borgman », a été totalement ignoré du palmarès à Cannes, ce qui n'est guère étonnant, vu son démarquage consensuel. Il aurait mérité au moins le Prix de la mise en scène, sinon le Grand prix, lui, remis au plus attendu "Inside Llewyn Davies" des frères Coen. Pour sa beauté fantasmagorique, son script dément et son sens pénétrant, "Borgman" vaut vraiment le déplacement.. Avis que partageaient nombre de festivaliers cannois à l’issue de sa projection.
Synopsis : Suite à une traque, Camiel Borgman surgit dans les rues tranquilles d’une banlieue cossue, pour sonner à la porte d’une famille bourgeoise. Il se propose d'être leur jardinier, en occupant une cabane du parc, puis invite des congénères à le rejoindre, en devenant de plus en plus envahissant, voire menaçant. Qui est-il ? Un rêve, un démon, une allégorie, ou l’incarnation bien réelle de nos peurs ? La chute des anges
« Borgman » creuse encore plus ce qui construit le particularisme d’Alex van Warmerdam comme auteur véritablement à part de la production lambda. Il pourrait être identifié à un Apichatpong Weerasethakul (« Oncle Boonmee ») néerlandais, qui aurait troqué le contemplatif asiatique pour le surréalisme européen. « Les Habitants » traitait d’un imbroglio de voisinage, où chacun épie l’autre pour lui empoisonner la vie, sur un ton tout en référence à Tati et au surréalisme nordique. « Borgman » met à plat une même ignominie sur un mode métaphysique, avec un humour d’une rare noirceur.
Le carton introductif, « Ils descendirent du ciel parce qu’ils n’étaient pas assez nombreux sur Terre » renvoie à la chute des anges de l’Ancien testament. La référence évoque la peinture flamande du XVe siècle qui traita abondamment le sujet, et influença profondément le surréalisme, source majeur de van Warmerdam. S’ensuit une chasse menée par un prêtre dans les bois à la recherche de quelques créatures cachées sous le sol même de la forêt. Découvertes, elles s’avèrent des hommes hirsutes. Désignés comme issus du dessous de la terre, telluriques, ils viennent donc de l’Enfer. La suite le confirmera. Les poisons à l’oeuvre
A la tête de ces démons, Camiel, dont la phonétique de son prénom renvoie à la tradition biblique, comme un inverse du prophète Ezéchiel (Dieu rendra fort). Avec comme patronyme Borgman, il renvoie au Bogeyman anglo-saxon, notre croquemitaine national. Il conduit une phalange démoniaque qui a pour but de convertir par maints poisons de nouvelles recrues, se consacrant à répandre partout où il s’incruste la zizanie, la destruction et la mort. Alex van Warmerdam inscrit dans le quotidien cette machine de guerre à l’œuvre. Comme sa fonction de jardinier pour mieux s’incruster dans une famille. Dès lors, il s’évertue à détruire le parc fleuri, image d’un jardin d’Eden, réduit par ses soins à néant.
Le cinéaste créé des images d’une force inouïe, tel l’effondrement du sol sous lequel se cache Camiel, sa position accroupie sur le corps endormi de Marina – comme dans le tableau de Füssli « Le Cauchemar » - pour lui inspirer des songes qui la monteront contre son mari. Et cette trouvaille ahurissante des corps assassinés, disposés tête bêche au fond de l’eau renvoyant à « La Nuit du Chasseur » (1955) de Charles Laughton.
Métaphore sur l’avidité de l’homme, magnifiquement mis en images et en scène, « Borgman », a été totalement ignoré du palmarès à Cannes, ce qui n'est guère étonnant, vu son démarquage consensuel. Il aurait mérité au moins le Prix de la mise en scène, sinon le Grand prix, lui, remis au plus attendu "Inside Llewyn Davies" des frères Coen. Pour sa beauté fantasmagorique, son script dément et son sens pénétrant, "Borgman" vaut vraiment le déplacement.. Avis que partageaient nombre de festivaliers cannois à l’issue de sa projection.
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