"C'est une histoire unique, dans un environnement hors normes, mais je pense que n’importe qui peut s’identifier à sa vie" : Sofia Coppola dévoile les coulisses de son nouveau film "Priscilla"
Deux ans à peine après la sortie d'Elvis, le biopic consacré au King signé du metteur en scène australien Baz Luhrmann, la réalisatrice américaine Sofia Coppola a choisi de raconter l'histoire du point de vue de celle qui fut l'amour de jeunesse et la seule épouse d'Elvis Presley.
Qui était Priscilla ? Qu'a-t-elle ressenti quand adolescente de 14 ans, elle a été propulsée dans un conte de fée où elle s'est vite sentie enfermée, jusqu'à ce qu'elle décide de tout quitter à l'âge de 26 ans pour trouver sa propre voie ? Quel était le vrai visage du King ? Que se passait-il dans l'envers du décor ? C'est ce que raconte par petites touches impressionnistes ce nouveau long-métrage atmosphérique de la réalisatrice de Marie-Antoinette, en salles le 3 janvier 2023.
À Paris pour présenter son nouveau long-métrage, Sofia Coppola, ample pull gris dans la fraîcheur de l'automne, livre à une poignée de journalistes réunis autour d'une table ronde les motivations, les défis, et les coulisses de son nouveau film.
"N’importe qui peut s’identifier à sa vie"
"J'ai été très émue par les Mémoires de Priscilla Presley", commence Sofia Coppola. "On ne sait jamais trop ce qui va nous toucher. C'est toujours une découverte", ajoute la réalisatrice qui a construit son scénario presque exclusivement à partir des éléments autobiographiques racontés par Priscilla Presley dans son livre Elvis and Me ("Elvis et moi"), paru en 1985. "C'est une histoire unique, dans un environnement totalement hors normes, mais je pense que n’importe qui peut s’identifier à sa vie, dans de nombreux aspects", note Sofia Coppola.
"Derrière le mythe, il y a de vraies personnes. Ce qui m’intéresse chez mes personnages, quels qu’ils soient, c’est leur humanité"
Sofia Coppolaréalisatrice
"Les étapes que l'on franchit pour grandir, pour savoir qui on est vraiment, et son chemin pour se trouver soi-même… C’est une histoire qui ressemble à l’histoire de tas d’autres femmes, particulièrement de femmes de la génération de ma mère", poursuit la réalisatrice qui confie avoir échangé avec cette dernière pour nourrir sa réflexion. "Je lui ai posé des questions sur la vie, et sur les choses que faisaient les filles à cette époque-là, dans les années 1950, 1960. Et plus tard, quand elle a vu le film, cela a donné lieu à des conversations très intéressantes".
"Mon but était de raconter une histoire à laquelle je m'identifiais, et dans laquelle j’espère d’autres personnes peuvent s'identifier. Pour moi, la connexion avec d'autres, c'est vraiment le but de l'art", souligne Sofia Coppola. "Je pense que j'ai appris quelque chose sur la génération de femmes qui m'a précédée. J’ai appris de cette expérience comment les choses ont changé et comment aussi, d’une certaine manière, les choses n'ont pas changé".
"Ce qui m’intéressait surtout, c’était l’expérience de Priscilla en tant que femme cherchant à trouver son identité."
"J'ai vraiment été impressionnée qu'elle soit partie, qu'elle l'ait quitté. Je pense que c'était vraiment difficile à cette époque, au début des années 1970, d'être une femme sans revenu et de quitter un homme puissant. C'était inhabituel à cette époque. C'était d'autant plus fort que toute sa vie était construite autour de lui".
"Elvis voulait tout diriger autour de lui, y compris Priscilla, qui devait être le reflet de ce qu’il voulait lui, de comment il voulait que les choses soient. Elle jouait donc un rôle et il lui a réellement fallu s’en libérer pour avoir sa propre identité.", raconte Sofia Coppola, qui également beaucoup échangé avec Priscilla Presley pour nourrir son film.
"Je crois que c'était important aussi de montrer la solitude de Priscilla, l'emprise et la violence aussi, parce que je crois que c'est une expérience partagée par de nombreuses femmes", estime Sofia Coppola, qui creuse avec ce nouveau long-métrage, son exploration de la condition féminine. "Je parle de ce que je connais, et naturellement, je m’identifie à des personnages féminins. Je pense que l’on peut apprendre beaucoup de l’histoire d’autres femmes", assure la réalisatrice.
"Ce qui m’intéressait surtout avec ce film, c’était l’expérience de Priscilla en tant que femme cherchant à trouver son identité, et plus largement de montrer la place des femmes dans cette époque-là. En fait, je suis toujours à la recherche d'histoires auxquelles on peut s'identifier, quelle que soit l’époque, et justement, je pense qu'il est intéressant de pouvoir se projeter dans des luttes, quelle que soit l’époque. C'est universel".
"Une autre facette d'Elvis"
"Quand j’ai appris que la Warner préparait un biopic sur Elvis, je me suis demandé si c’était finalement une bonne idée de faire mon film", confie la réalisatrice, "mais finalement, puisque le biopic de Baz Luhrmann était focalisé sur la carrière d’Elvis, je me suis dit que ce serait intéressant pour le public de voir un autre film sur l’histoire du King, mais du point de vue de Priscilla. Je me suis dit que cela ne serait pas redondant, mais au contraire que cela offrirait deux regards différents sur ce mythe américain".
"Mon but n'était pas de casser le mythe d'Elvis"
Sofia Coppolaréalisatrice
"Je pense qu’à travers le point de vue de Priscilla, on découvre une autre facette d’Elvis. Cela révèle le personnage privé derrière l'image publique, y compris le côté sombre du personnage. Je pense qu'il y a un côté sombre chez chacun. C'est donc intéressant de le donner à voir et cela permet aussi de comprendre ses frustrations en tant qu’artiste d’une manière différente".
"Je n'ai pas l'impression que mon film ait mis en colère les fans d'Elvis. Je ne pense pas lui avoir manqué de respect, mais je pense que Priscilla a le droit de faire entendre sa voix et son histoire. J'ai essayé de ne pas faire de lui un méchant, j'ai essayé de l'approcher avec sa sensibilité et en tant qu'homme, en tant qu’artiste parfois en difficulté".
"C’est un défi pour un acteur de jouer Elvis sans en faire une caricature"
Pour le casting, Sofia Coppola n'a pas choisi ses acteurs pour leur ressemblance avec Elvis ou Priscilla. "Je pense que c’est un défi pour un acteur de jouer Elvis sans en faire une caricature, ou une imitation, et de rester une personne réelle. Elvis est une figure si célèbre, il fallait donner l’illusion que c’était bien lui, faire en sorte qu’à aucun moment le spectateur ne soit distrait par l’idée que ce n’était pas lui", estime Sofia Coppola, qui a choisi l'acteur Jacob Elordi pour incarner Elvis dans son film.
"Il ne lui ressemble pas physiquement, mais il a travaillé sur la voix, sur la gestuelle, le langage du corps, avec un coach. Il a aussi travaillé sur le look, les costumes, il a énormément étudié le personnage d’Elvis en fait, mais il a ensuite dû oublier tout cela et le rendre humain", ajoute la réalisatrice.
"Pour Priscilla, c'était surtout important pour moi que ce soit la même actrice qui joue entre 14 et 29 ans. Et ça, c’était un vrai défi", rapporte Sofia Coppola.
"Quand j'ai rencontré Cailee Spaeny, elle avait tellement une tête de bébé, et en même temps, elle semblait mûre et réfléchie".
Sofia Coppolaréalisatrice
"J’ai été vraiment impressionnée ensuite en voyant le film, de voir comment elle avait été capable de faire des transitions si subtiles dans le temps, alors que nous avons tout filmé dans le désordre et très rapidement" confie Sofia Coppola. "Et en plus, elle vient du Missouri, elle a donc grandi et baigné dans le mythe d’Elvis".
"Même s'il y avait une différence de taille entre Elvis et Priscilla, Jacob Elordi est vraiment immense, et Cailee Spaeny vraiment petite, alors pour les filmer quand ils étaient tous les deux, c’était un peu compliqué. On a installé des plateformes", s'amuse la réalisatrice.
"J'aime recréer un monde"
Dans ce film, c'est aussi une peinture de l'Amérique des années 1950 et 1960 que dessine la réalisatrice américaine qui s'est amusée à reconstituer le glamour de Graceland, la mythique maison d'Elvis. "Quand j’ai lu le livre de Priscilla, je me suis dit qu’il y avait énormément de choses que l’on pouvait dire visuellement sur cette époque, et cela s’est avéré très intéressant de recréer ce monde", souligne la réalisatrice qui ajoute aimer quand elle va elle-même au cinéma "être plongée dans un monde totalement différent".
"Nous avions un excellent décorateur. Graceland a beaucoup changé depuis les années 1960, mais heureusement, il y a beaucoup de plans et de photos et nous avons donc pu reconstituer les lieux", explique-t-elle.
"Par contre, il n’y avait aucune photo de leur chambre, alors nous avons imaginé. Nous nous sommes appuyés sur d’autres éléments de Graceland. Par exemple, on sait qu'il collectionnait toutes ces grandes statues d'animaux et nous les avons introduites dans la chambre à coucher. Cela collait bien avec la manière dont Priscilla décrit dans le livre à quel point c'était intimidant d'aller dans sa chambre. Nous avons insisté sur ce côté intimidant en nous servant de notre imagination", explique la réalisatrice.
Pas une seule chanson d'Elvis dans le film
Aucune chanson du King ne figure dans le film. "Nous n'avons pas eu les droits, la succession ne nous a pas donné l'autorisation d'utiliser ses chansons", explique Sofia Coppola. Elle a donc réfléchi avec le groupe de son mari, Phoenix, sur la manière de contourner cette contrainte de taille. "Priscilla a vraiment une très bonne mémoire des détails, et elle se souvenait de la chanson qui passait quand elle a rencontré Elvis, elle le raconte dans ses Mémoires", souligne Sofia Coppola.
"Nous avons donc écouté Venus, cette chanson de Frankie Avalon, et en commençant à travailler sur la musique du film avec Phoenix, nous avons pensé en faire le thème de Priscilla. Le groupe a donc composé une version instrumentale de la chanson et écrit toute une série de versions différentes de Venus", explique la réalisatrice.
Le film se referme sur I Will Always Love You de Dolly Parton, une autre chanson "très importante pour Priscilla et Elvis", mais aussi pleine de sens pour Sofia Coppola, qui tenait à ce qu'elle illustre le départ de Priscilla de Graceland. "Priscilla m'a raconté que lorsqu'elle est partie, elle ne savait pas vraiment qui elle était. Elle ne connaissait même pas ses propres goûts parce que ses goûts étaient ceux d'Elvis", rapporte la réalisatrice. "Donc cette rupture, même si elle est douloureuse, parce qu'elle aime toujours Elvis et qu'il lui faut renoncer au rêve que représente Graceland, c'est aussi un départ vers une nouvelle vie où elle va pouvoir découvrir ses propres centres d'intérêt, et devenir celle qu'elle est vraiment", ajoute Sofia Coppola.
"J'imagine le bonheur que c'est de trouver sa propre voie pour quelqu’un qui n’avait pas pu être elle-même jusque-là, et je pense que cette chanson épouse parfaitement l'émotion de ce moment-là. Et puis Dolly Parton a refusé de vendre sa chanson à Elvis, elle en a gardé les droits. Donc pour moi, c'est aussi un symbole de force et d'indépendance", ajoute en souriant Sofia Coppola.
Priscilla a été "très émue" en voyant le film
La réalisatrice confie avoir eu quelques appréhensions pour réaliser ce biopic d'une personnalité toujours en vie. "C'était une plus grande responsabilité, parce qu'elle allait voir le film et donc, je devais respecter son opinion. C'était la première fois que je devais m'imposer un contrôle sur ce que je voulais faire en tant qu'artiste, et tenir compte d’une tierce personne et de ce qu’elle pouvait ressentir sur le sujet", explique-t-elle.
"Quand elle a vu le film pour la première fois, Priscilla était très émue et elle m'a dit que c'était sa vie. Elle a trouvé que Cailee Spaeny avait réussi à exprimer les émotions qu’elle avait ressenties à l'époque. J'étais vraiment soulagée parce que c’était très important pour moi qu'elle ait ce sentiment que ce portrait d'elle était fidèle, et que le film soit bien le reflet de son expérience", conclut Sofia Coppola.
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