Cannes 2016 : "Ma Loute" de Bruno Dumont, une lutte des classes burlesque et sanglante
Les prolos et les grandes familles… Un autre Nordiste, Etienne Chatilliez, s'était essayé – avec le succès que l'on connaît – à confronter humoristiquement le peuple travailleur aux élites industrielles du Nord-Pas de Calais, pardon des Hauts de France désormais. Dans "La vie est un long fleuve tranquille", les Le Quesnoy et les Groseille vivaient un sacré choc culturel en se rencontrant. Chez Dumont, on passe le cran supérieur, en mode anthropophage !
Reportage P. Deschamps / G. Beaufils / J.P. Bosch / A. Gidon
Nous sommes donc en 1910, et la magnifique Baie de la Slack est baignée de soleil. Le fort d'Ambleteuse se découpe joliment dans la Manche, c'est l'été et les grands bourgeois de Lille-Roubaix-Tourcoing viennent reprendre possession de leurs résidences secondaires, splendides villas cachées dans les dunes. Celle des Van Peteghem est singulière, avec son improbable style-néo-égyptien. Tiens, les voilà justement qui arrivent, tout juste descendus de la traction avant, très occupés à constater l'état des glycines qui ont tellement poussé.
Sacrée famille : Fabrice Luchini, c'est André. Un peu bossu, démarche titubante, bacchantes et rouflaquettes, un phrasé indescriptible mixant l'ultra-snobisme et la débilité légère. Sa femme, c'est Isabelle (Valeria Bruni-Tedeschi), incarnation vivante de toutes les conventions de ce milieu bien pensant et si fermé sur lui-même. Un peu plus tard arrivera Aude (Juliette Binoche), la sœur d'André, hystérique, toujours au bord de la rupture. Drôle de famille décadente, percluse de secrets, à qui Bruno Dumont attribue un degré de consanguinité élevé… "Mais c'est pour les affaires" soufflette Luchini.
Avouons-le, Dumont n'est pas plus tendre avec le camp d'en face. Les pêcheurs de la baie. Des taiseux, et d'ailleurs ça vaut mieux. Quand ils parlent, ça beugle douloureusement. Depuis longtemps, les pêcheurs ont pris l'habitude de porter les bourgeois pour éviter qu'ils ne se mouillent en traversant la baie, moyennant quelques sous. Problème, quelques uns de ces riches estivants se mettent à disparaître cet été-là.
Et voilà deux flics invraisemblables qui débarquent de Calais, chapeaux melons et costumes noirs, sortes de Dupont et Dupond, sauf que l'un est tout fluet – l'assistant- et que l'autre – l'inspecteur – est une boule énorme, qui passe son temps à s'affaisser ou en descendre en roulade les dunes de la Côte d'Opale. L'enquête s'annonce sanglante, attention les yeux. Chez Dumont, la lutte des classes c'est du sérieux, même en mode comique.
Voilà un film qui ne laissera pas indifférent. Dans la veine de la série "P'tit Quinquin" diffusée sur Arte, le réalisateur nordiste a choisi de tourner un vrai film comique, "cinématographique et profondément drôle". Force est de constater qu'on rit énormément, en particulier au début, dans ce film délibérément surjoué, qui associe de grands talents professionnels à des amateurs recrutés sur place. "Ma Loute" est aussi un puits de lumière assez extraordinaire. Rarement, les plages du nord ont été si bien filmées, "l'hyper-définition" choisie par Dumont fait merveille.
La fiche
Comédie dramatique de Bruno Dumont – avec Fabrice Luchini, Juliette Binoche, Valeria Bruni Tedesch et Jean-Luc Vincent – Durée : 2h02 – Sortie : 13 mai 2016
Synopsis : Eté 1910, Baie de la Slack dans le Nord de la France. De mystérieuses disparitions mettent en émoi la région. L'improbable inspecteur Machin et son sagace Malfoy (mal)mènent l'enquête. Ils se retrouvent bien malgré eux, au cœur d'une étrange et dévorante histoire d'amour entre Ma Loute, fils ainé d'une famille de pêcheurs aux mœurs bien particulières et Billie de la famille Van Peteghem, riches bourgeois lillois décadents.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.