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Cannes 2016. "Paterson", le poème filmé de Jim Jarmusch

Dixième venue à Cannes pour le réalisateur américain Jim Jarmusch qui nous livre une balade délicate et fantaisiste sur le quotidien d’un conducteur de bus poète de Paterson. Un film sublime, candidat déclaré à la Palme d’or.
Article rédigé par franceinfo
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Adam Driver dans "Paterson"

Il s’appelle Paterson, vit à Paterson, est le conducteur du bus du centre de Paterson et admire William Carlos William, pour son ouvrage, "Paterson". Il a une petite amie, Laura. Un chien, Marvin. Et dès qu’il a un peu de temps, écrit quelques poèmes, pas forcément flamboyants. Voilà ce qu’il a fallu à Jim Jarmusch pour nous livrer une œuvre d’une finesse et d’une délicatesse infinies. Une balade pleine de fantaisie qu’il situe dans cette ville ouvrière du New Jersey, pourtant ennuyeuse à mourir.
 
Lundi. 6h15. Réglé comme une horloge, Paterson (Adam Driver, récemment aperçu dans "Star Wars 7"), se réveille dans un lit juste à sa taille, aux côtés d’une Laura (magnifique Golshifteh Farahani) encore toute ensommeillée, en incarnation de la douceur. Un silence. Assourdissant. Un plan fixe sur la commode. Puis sur la chaise de leur chambre où sont apposés, méticuleusement pliés, les vêtements d’aujourd’hui. Tout est à sa place. Marvin aussi, sur le canapé. Il se réveille lentement.
 

"Nous avions plein d’allumettes à la maison"

Paterson se lève, va dans la cuisine. Mange ses céréales. Puis fixe une boîte d’allumettes. "Nous avions plein d’allumettes à la maison. Nous les gardons toujours à portée de main", se répète-t-il, sur le chemin du boulot. "Nous avions plein d’allumettes à la maison. Nous les gardons toujours à portée de main. Nos préférées : Ohio Blue Tip… celles qui allument la cigarette de la femme que tu aimes pour la première fois", écrit Paterson, sur son carnet secret. Jusqu’à ce que son patron vienne l’interrompre : "Prêt à prendre la route, Paterson ?"
 
Et le voilà parti, accompagné de la musique envoûtante de Sqürl, écoutant la conversation de deux gamins assis à quelques sièges et parcourant sa ville gorgée de lumière. Il fait sa pause devant les chutes de la rivière de Passaic pour écrire un peu et manger un des ces cookies farfelus préparés par Laura. Puis il rentre à la maison. La retrouve. Elle s’est occupée. A fait d’autres cookies, une tarte pas franchement digeste, de la peinture. Et veut maintenant réaliser son rêve, devenir chanteuse de country.
Golshifteh Farahani et Adam Driver dans "Paterson"
 (Mary Cybulski)


Concurrence

Laura est fantasque. Un peu tarée même. Mais elle rayonnante. Marvin, le bouledogue anglais grogneur, pense la même chose. Paterson et lui n’ont pas les rapports habituels d’un maître et de son chien. Ils sont concurrents. Ils se narguent. Et quand ils sortent, pour que Paterson aille boire sa bière quotidienne, c’est un peu Marvin qui le tient en laisse.
 
Mardi. 6h15. La même rengaine, puis tous les jours de la semaine. Avec son lot de rencontres plus ou moins habituelles. Son patron qui a plus ou moins de choses à lui dire. Le barman qu’il voit tous les soirs lui raconter l’histoire de la ville de Paterson. Cet ancien couple dont l’homme est encore transi, au contraire de sa bien-aimée, ces jumeaux qu’ils n’arrêtent pas de croiser et Laura qui a chaque jour, une nouvelle lubie. Chacun une histoire. Chacune racontant celle de la ville. Comme si Jarmusch avait voulu mettre en film le recueil poétique de William Carlos William. L’écrivain y suivait le cours métaphorique de la rivière Passaic en offrant le portait composite d’une ville à travers ses paysages immédiats ou ses scènes contemporaines. C’est un peu ce que fait le cinéaste.
 

Exaltation

Sauf que ce n’est plus le cours de la rivière que l’on suit mais celui du personnage de Paterson, jusqu’à ce qu’un petit tracas du quotidien vienne perturber les rouages de cette machine implacable.
 
Il y a incontestablement chez ce Jarmusch là, Caméra d’or en 1984 pour "Stranger than paradise", conte drolatique sur la découverte lente et douloureuse de la Floride par Eva et Willie, quelque chose de John Ford. Quelque chose de son "Vers sa destinée" (1939), où il dressait le portrait d’un employé d’une petite échoppe du fin fond de l’Illinois décidant d’aller à Springfield pour se lancer dans une carrière d’avocat. Une histoire d’une simplicité abyssale, en tout cas à ce stade. Celle des débuts d’Abraham Lincoln. Et il parvenait, déjà, à lui donner une force incroyable.
 
Jarmush sublime lui aussi la banalité du quotidien de ses héros. Il l’exalte. À un point tel, qu’à la fin de la journée, on a hâte de rentrer à la maison et de retrouver les cookies, Marvin et Laura.

LA FICHE

Film de Jim Jarmusch - Avec Adam Driver et Golshifteh Farahani. Durée : 1h53.

Synopsis : Paterson vit à Paterson, New Jersey, cette ville des poètes - de William Carlos Williams à Allan Ginsberg aujourd’hui en décrépitude. Chauffeur de bus d’une trentaine d’années, il mène une vie réglée aux côtés de Laura, qui multiplie projets et expériences avec enthousiasme et de Marvin, bouledogue anglais. Chaque jour, Paterson écrit des poèmes sur un carnet secret qui ne le quitte pas…

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