"Célébration" : dans l’intimité d’un Yves Saint Laurent en fin de carrière
Le film d’Olivier Meyrou dresse le portrait d’un monde finissant, celui d’une des plus grandes maisons de couture parisienne où le couturier est alors encore aux commandes. C’est un volet de la vie d’Yves Saint Laurent jamais abordé jusqu'alors. Un documentaire intime, émouvant mais aussi dérangeant, car il montre un homme qui sombre lentement, signant ainsi la fin d'une époque.
Ce ne sont pas les années de jeunesse ou le temps de la gloire que le réalisateur montre : le documentaire a été tourné entre 1998 et 2001. Moins d'un an après, en janvier 2002, Yves Saint Laurent annonce qu’il met fin à sa carrière.
Yves Saint Laurent mutique, Pierre Bergé le verbe fort
Dans ce documentaire, on découvre à quel point le couple Yves Saint-Laurent/Pierre Bergé est soudé : d’un côté, un homme fatigué, usé, pour qui la création devient une souffrance. Enfermé dans son monde, à l’abri des regards, Yves Saint Laurent dessine ses croquis entouré par ceux qui l’ont toujours soutenu, couturières, assistants et modèles. Assis à son bureau, crayon à la main, il hésite, peine à dessiner et parle peu. Il semble ailleurs.Dans l’ombre du maître, un homme d’affaire attentif, au service de l’artiste qu’il aime. Pierre Bergé sait qu’Yves Saint Laurent se détache de ce quotidien qui lui pèse, alors en coulisses il gère tout. Sa présence est constante, sa parole forte. C’est un homme de pouvoir prêt à tout pour défendre le monde qu’il a créé. Il est sa béquille à chaque instant du quotidien. Tout le long du film, on le voit tisser dans l'ombre les futures célébrations vouées à transformer l’icône en mythe.
Tranches de vie
Ce documentaire n’est pas un panorama de l’œuvre - même si on assiste inévitablement au travail de création et à des moments précédant un défilé. Ce sont de brèves tranches de vie, filmées au bureau, à l’atelier, ou en extérieur.Ici tout tourne autour du travail. Quand Yves Saint Laurent n’est pas reclus dans son atelier, il assiste aux essayages, parle peu, fait la moue mais sa façon de bouger, de se comporter, est éclairante. Ses gestes sont lents, mais une énergie irradie de lui. Toute la maison vit à son rythme : lorsque les couturières s’approchent du studio où travaille le maître, elles parlent à voix basse. L'instant est solennel, le calme régne. Il ne faut en aucun cas briser le cocon dans lequel le couturier s'est réfugié.
Olivier Meyrou distille pourtant un peu de lumière dans ce documentaire. Dans l’interview avec Janie Samet à New York, tournée en noir et blanc, on assiste à un face-à-face étrange avec la journaliste : le couturier y raconte son isolement, ses angoisses et affirme avoir changé, avoir décidé d’être heureux. Peut-on le croire quand Pierre Bergé déclare : "Il faut le laisser dans son monde à lui. Il ne faut pas le réveiller".
Des célébrations pour transformer l'icône en mythe
Parmi le moments forts : le défilé de trois cents modèles imaginé par Yves Saint Laurent en juillet 1998 pour la finale de la Coupe du Monde de Football au Stade de France. Neuf cents personnes sont sollicitées pour organiser cet événement de quinze minutes. C’est au travers du regard des petites mains que cet événement est relaté : les couturières de l'atelier contemplent sur le téléviseur les vêtements couture sur lesquels elles ont travaillé et en sont fières. Le travail toujours, le travail à l'honneur.Et toujours, en fil rouge, Pierre Bergé qui organise dans l’ombre la fin de carrière du couturier. Le film s'achève avec la cérémonie de remise d'une récompense couronnant sa carrière à New-York en 2000. Prochaine étape, ici suggérée, l'arrêt de la carrière d'Yves Saint Laurent.
Reportage : S. Gorny / T. Guéry / G. Gheorghita / S. Lacombe
Janvier 2002, YSL tourne une page sur 40 ans de carrière
En effet, un an après ce tournage, en janvier 2002, Yves Saint Laurent annonce qu’il met fin à sa carrière : "Je suis très fier que les femmes du monde entier portent des tailleurs-pantalons, des smokings, des cabans, des trench-coats. Je me dis que j’ai créé la garde-robe de la femme contemporaine, que j’ai participé à la transformation de mon époque. (…) Je veux remercier les femmes qui ont porté mes vêtements, les célèbres et les inconnues, qui m’ont été fidèles et qui m’ont causé tant de joies. […] J’ai choisi aujourd’hui de dire adieu à ce métier que j’ai tant aimé. (…) Je veux vous remercier, vous qui êtes ici et ceux qui n’y sont pas, d’avoir été fidèles aux rendez-vous que je vous ai donnés depuis tant d’années. De m’avoir soutenu, compris, aimé. Je ne vous oublierai pas". A la fin de ce même mois de janvier, un défilé retraçant 40 ans de carrière est organisé au Centre Pompidou.QUESTIONS A OLIVIER MEYROU
Comment avez-vous eu l’idée de ce film ?
J’ai rencontré l’univers Saint Laurent en réalisant Zelda un documentaire sur la directrice de la marque YSL aux Etats-Unis, Connie Uzzo une femme hors convention. C’est suite à une projection de ce film que nous avons tissé des liens avec Pierre Bergé et qu’est née cette idée de film sur l’intimité de la maison de couture (…) Je suis resté deux ans en immersion dans cette maison et j’ai rencontré une galerie de personnages : Yves Saint Laurent, Pierre Bergé, Monette, Loulou de la Falaise, Nina, Betty Catroux, Madame Colette, Monsieur Jean-Pierre, Katoucha, Dominique Deroche (…) Tous mes films sont essentiellement des portraits. Et là il y en avait beaucoup. Et d’ailleurs, je ne filme que les gens que j’aime, car je ne peux pas passer deux, trois années de ma vie avec des gens que je n’aime pas.
Pourquoi le noir & blanc et la couleur ?
Nous avons donc choisi de tourner en pellicule (Super 16), en couleur et en noir et blanc. Le noir et blanc évoquait le personnage qui avait déjà pris place dans notre histoire collective. Le filmer en noir et blanc, quand tous les autres étaient filmés en couleur, renforçait aussi le fait qu’il était absent, qu’il vivait dans une autre dimension. La couleur quant à elle créait un effet de proximité, d’empathie, avec l’homme fragile qu’Yves Saint Laurent était au moment du tournage. Si j’ai davantage filmé Pierre Bergé en couleur c’est qu’il était pleinement dans la vie, il était avide de nouvelles rencontres, ouvert au monde.
Pourquoi ce film en 2018 ?
Autant nous avons eu une liberté totale lors du tournage durant trois ans entre 1998 et 2001, autant je me suis rendu compte, une fois le film terminé, que nous n’avions pas, Pierre Bergé et moi, la même idée de ce qu’est un documentaire. Le film raconte une fin marquée par la déchéance physique, ce moment où la création devient presque impossible. Il est difficile de voir le monde que l’on a créé s’éteindre. C’est très violent. Je pense que Pierre Bergé n’était pas prêt en 2002 à se confronter à cela. Parfois, je me demande s’il ne m’a pas laissé tourner ces images en se disant qu’elles seraient nécessaires ultérieurement. Lorsqu’il a vu le film à l’automne 2015, il l’a beaucoup aimé il me semble, et fait en sorte que désormais le film soit vu. Il fallait sans doute que le temps passe.
LA FICHE
Réalisateur : Olivier Meyrou
Pays : France
Acteurs : Yves Saint Laurent, Pierre Bergé, Loulou de la Falaise
Sortie : 14 novembre 2018
Synopsis: A l’abri des regards, Yves Saint Laurent dessine ses derniers croquis entouré par ceux qui l’ont toujours soutenu, couturières, assistants, modèles. Il s’apprête à quitter un monde dont il est maintenant détaché. Dans les coulisses Pierre Bergé orchestre une succession de célébrations vouées à transformer l’icône en mythe. Le film d’Olivier Meyrou capte ces derniers instants et tresse le portrait inédit d’un monde finissant.
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