"Chouf", le regard hyperréaliste de Karim Dridi sur les gangs marseillais
Times There Are a Changin’
Auteur du scénario et réalisateur de "Chouf", Karim Dridi prend le parti d’exposer un cas d’école pour décrypter ce qui vaut à Marseille d’être vue comme une des villes les plus dangereuses de France. La singularité de la cité phocéenne est qu'elle connaît une pègre traditionnellement implantée depuis les années 30, comme il y a un milieu lyonnais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais comme disait Dylan, "Times There Are a Changin’", les temps changent. L’époque des Borsalinos et tractions a laissé place à celui des casquettes vissées sur le crâne et les scooters. Avec eux, la nature des trafics s’est transformée (moins de prostitution, plus de drogue), et une violence exponentielle, plus expéditive, meurtrière, s’est instaurée.La concurrence entre gangs est constante, mais les motivations ne sont sans doute plus les mêmes. Même si la notion de territoire demeure, les crimes de sang ne résultent pas d’un prétendu "code de l’honneur" qui régissait la vieille garde, mais le seul appât du gain. C’est pourtant bien la vengeance fraternelle, l’honneur de la famille, qui motive Sofiane (Sofiane Khammes) - rangé des voitures-, pour renouer avec le gang de sa cité d’origine, afin de retrouver l’assassin de son frère. En replongeant, il va pratiquer un double jeu en développant le business de ses ex-comparses, dans le but de mener son enquête. Sa stratégie va le conduire à la découverte des désillusions, des trahisons et autres travers qui régissent désormais son ancienne bande, où l’amitié, la complicité, l’entraide ont laissé place à la rentabilité.
La carte et le territoire
Sur cette trame classique, Karime Dridi met au jour ce qui se passe derrière les barres d’immeuble des quartiers nord de Marseille, où sont localisés les gangs. Sofiane est comme un guide avec lequel on explore les us et coutumes d’un milieu qu’il a connu mais ne reconnait plus. Dridi joue sur l’identification, tout est perçu de son point de vue, où l’innocence du reconverti prend le relais de celle du spectateur pour l’initier. L’apprentissage de la langue, du jargon local, comme il existait un argot propre à la pègre du passé, est essentiel au film. Le cinéaste développe le thème pour mieux toucher une jeunesse qui se reconnaîtra afin de la sensibiliser plus intimement au sujet. La musique de Jérôme Bensoussan et Chkrrr, n’y est pas non plus pour rien.Reportage : A. Bouleis, A. Lepinay, F. Reboul :
"Chouf", regarde, dit le titre. Une injonction qui interpelle autant le béotien que l’initié pour dévoiler ce qui se passe derrière l’égrainage régulier des règlements de comptes marseillais. Dans une démarche ouvertement didactique, Karim Dridi les cible tous, selon leur niveau d’initiation. Son style quasi documentaire participe de l’impact, avec des acteurs dans le ton, sans jamais négliger ni l’action ni la teneur dramatique, ni tomber dans le pathos. Efficace et éloquent, "Chouf" vaut non seulement d’être regardé, mais entendu.
Reportage : C. Laronce/M. Azor-Diawara/L. Crouzillac/O. Pergament
LA FICHE
Policier de Karim Dridi (France) - Avec : Sofian Khammes, Foued Nabba, Zine Darar, Oussama Abdul Aal, Foziwa Mohamed - Durée : 1h48 - Sortie: 5 octobre 2016
Interdit aux moins de 12 ans
Synopsis : Chouf, ça veut dire "regarde" en arabe. C'est le nom des guetteurs des réseaux de drogue de Marseille. Sofiane, 24 ans, brillant étudiant, intègre le business de son quartier après le meurtre de son frère, un caïd local. Pour retrouver les assassins, Sofiane est prêt à tout. Il abandonne famille, études et gravit rapidement les échelons. Aspiré par une violence qui le dépasse, Sofiane découvre la vérité et doit faire des choix.
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