"Colette" : le biopic très british d’une écrivaine des plus françaises
Le bon moment
On a tendance à l’oublier, mais les premiers romans de Colette, la série des "Claudine", étaient signés de son mari Willy (Henry Gauthier-Villars), habitué des "écrivains fantômes". Prisme intéressant pour décoder le personnage, l’écrivaine et l’époque. En 1893, Gabrielle Sidonie Colette épouse sans dote Willy, de 14 ans son aîné, pseudo écrivain mondain. Il l’introduit dans son cercle parisien, mais la revue qu’il dirige périclite et, sentant le talent de plume de sa femme, lui suggère d’écrire un roman qu’il signera. C’est un triomphe : la série des "Claudine" devient un phénomène de société. Libres d’esprit, lui multiplie les maîtresses et elle les conquêtes féminines. Jusqu’au jour où Gabrielle décide de devenir Colette.Entendre tout ce paysage très français parler anglais cornera aux oreilles de plus d’un, même si les comédiens (Keira Knightley, Dominic West) sont parfaits. Les langues et le cinéma font souvent mauvais ménage et c’est une convention qu’il faut accepter si l’on veut ne pas passer à côté du film qui a d’autres qualités. Comme l'évocation historique, art dans lequel les Britanniques sont passés maîtres, ici la reconstitution de la Belle Epoque parisienne.
Les scénaristes ont vite compris que le meilleur moyen d’écrire un biopic était de se concentrer sur une période de la vie de leur sujet, plutôt qu’en retracer l’exhaustivité. Tout repose sur le bon moment. Le choix de Wash Westmoreland, qui réalise et cosigne le scénario, est bien minuté, s’agissant du moment où la "campagnarde" Gabrielle Sidonie devient Colette, adulée du tout Paris.
Colette contemporaine
Mais Colette n’existe pas encore. Gabrielle demeure dans l’ombre de son mari Willy, mondain jusqu’au bout des ongles, séducteur, cynique, frôlant le fat, mais non dénué de sentiments. Le film en réussit plus le portrait que celui de son héroïne, en partie grâce à la très belle performance de Dominic West. Il fait penser à George Sanders en Lord Henry (Harry) du "Portrait de Dorian Gray" (Albert Lewin, 1945) d’après Oscar Wilde.Cet usage du talent de son épouse par un homme pour forger un succès était aussi le sujet de "Big Eyes" (2015) de Tim Burton, biopic sur le couple Keane, dont le mari signait les toiles vendues à prix d’or de sa femme Margaret. On retrouve un sujet semblable dans "Mary Shelley" (Haifa Al-Mansour, 2018), l’auteure de "Frankenstein" (1818) qui, à la demande des éditeurs, dut publier son roman sous le nom de son mari, le poète Shelley, mais, lui, sans son accord.
Concernant Colette, le préjudice (réparé lors du divorce) claironne aujourd’hui dans le débat persistant et justifié sur la place des femmes dans la société française et dans le monde. Colette était de plus bisexuelle et ses apparitions sur scène, étant aussi comédienne et danseuse, firent scandale. Tout ce qui fait et fera Colette est donc rassemblé en ces années 1893-1906, certes édulcorées sous une belle forme classique, mais l’esprit est là.
LA FICHE
Pays : Etats-Unis / Grande-Bretagne
Avec : Keira Knightley, Dominic West, Eleanor Tomlinson, Denise Gough, Fiona Shaw, Robert Pugh
Durée : 1h52
Synopsis :1893. Malgré leurs quatorze ans d’écart, Gabrielle Sidonie Colette, jeune fille à l’esprit rebelle, épouse Willy, écrivain aussi égocentrique que séducteur. Grâce à ses relations, elle découvre le milieu artistique parisien qui stimule sa propre créativité. Sachant repérer les talents mieux que quiconque, Willy autorise Colette à écrire – à condition qu’il signe ses romans à sa place. Suite au triomphe de la série des Claudine, il ne tarde d’ailleurs pas à devenir célèbre. Pourtant, tandis que les infidélités de Willy pèsent sur le couple, Colette souffre de plus en plus de ne pas être reconnue pour son œuvre…
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