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"Cruel", portrait d'un tueur en série vu de l'intérieur

Réminiscence, résilience, souvenirs abreuvent souvent l’envie, le désir, le besoin d’un réalisateur de se confier pour partager, dans le meilleur des cas, une expérience universelle dans son premier film. Eric Cherrière, qui signe "Cruel", a remporté le Grand prix du Festival du Polar de Cognac en faisant le portrait d’un tueur en série hanté par l'enfance : rencontre d'un cinéaste avec son sujet.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
 Jean-Jacques Lelté dans "Cruel" d'Éric Cherrière
 (Aanna Films)

Abandonné

Froid. Froid comme la mort. Pierre Tardieu (Jean-Jacques Lelté, beau, banal et inquiétant sans l'être trop) n’est personne. Transparent, invisible, personne ne le voit ni le remarque. Il n’a aucun ami, pas de proches ni de famille, hormis son père, hémiplégique, sans parole, dont il s’occupe tant bien que mal, avec une aide à domicile. Travaillant par intérim, il n’a pas de collègues avec lesquels se lier. Pierre se réfugie dans de vieux films de famille, de vacances à la mer, où il voit sa mère, alors vivante (est-elle morte ? est-elle partie ?). Il se reconnait aussi dans ce garçonnet souriant qui voulait alors "avoir une fusée, être chevalier". Il ne le sera jamais.

Alors, à quoi bon ? Cette non-reconnaissance, n’exister pour personne, cette solitude, cet isolement poussent Pierre au meurtre. Au moins, là, face à sa victime, il vit pour quelqu’un qui voit en lui l’ultime personne sur Terre, celle qui va décider de son sort, de sa vie, de sa mort. Avant de les tuer, il les enferme dans une cave secrète, "là où grand-père cachait les Juifs pendant la guerre. Alors si la Gestapo n’a jamais trouvé la cachette, c’est pas les flics d’aujourd’hui qui la trouveront". Là, il existe, il devient important, selon un plan, des règles implacables qu’il s’est fixées : ne pas connaître sa victime, mais ses habitudes, ne jamais utiliser la même arme, ne pas différencier les hommes des femmes, ne jamais avoir de rapports sexuels…

Causes à effets

Jusqu’au jour, où il ne va plus respecter ces lois. Repérant sa prochaine victime, une liaison s’ébauche, son monde s’écroule, elle sera sa femme fatale. Eric Cherrière expose ce parcours en deux parties distinctes. D'abord, la motivation de Pierre, comme serial killer méticuleux, responsable de crimes innombrables, jamais inquiété, fondu dans la foule, prédateur implacable, sans passion, ni motif. Puis Pierre déstabilisé par le regard qu’on lui porte. Il abandonne alors ses règles, qui l’ont protégé. Il laisse des indices pour être arrêté, comme en quête de rédemption.

 Jean-Jacques Lelté dans "Cruel" d'Éric Cherrière
 (Aanna Films)

Le thème n’est pas nouveau, Scorsese et Ferrara s’en sont faits les plus fervents apôtres dans leurs films. Eric Cherrière se démarque d'eux par son approche observatrice, toute en retrait, sans empathie, mais sans véhémence pour autant, laissant le spectateur face à la seule exposition des faits et ce qu'il faut en déduire. "Cruel" ne tombe pas dans l’écueil d’une mise en scène démonstrative, à laquelle le sujet se prêtait. Les faits sont là, mais sans être montrés, hors champ, pas par censure, autocensure ou pudibonderie, mais parce qu’ils ne sont pas le sujet. C’est Pierre le sujet, et à travers lui l'équation entre des rapports sociaux biaisés et leurs conséquences. Terribles.

"Cruel" : l'affiche
 (Aanna Films)

LA FICHE

Thriller de Éric Cherrière (France), Avec : Jean-Jacques Lelté, Magali Moreau, Maurice Poli, Yves Afonso, Hans Meyer, Olivia Kerverdo, Matila Malliarakis, Richard Duval  - Durée : 1h48 - Sortie : 1er février 2017

Synopsis : Pierre Tardieu est travailleur intérimaire, dans une grande ville. Il vit dans une vieille maison avec son père, malade. Personne n’a conscience de son existence. Pierre est un tueur en série.

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