"Django" : rencontre avec Reda Kateb, Cécile de France et Etienne Comar
"Django" suit Django Reinhardt en 1943, à Paris, alors qu’il est la coqueluche des Parisiens et des Allemands qui occupent la France. Chaque soir il fait vibrer le tout Paris aux Folies Bergères avec sa musique swing alors qu’en Europe, ses frères tziganes sont pourchassés et massacrés. Lorsque la propagande allemande veut l’envoyer à Berlin pour une série de concerts, il sent le danger et décide de s’évader en Suisse aidé par une de ses admiratrices, Louise de Klerk. Pour passer la frontière, il se rend à Thonon-les-Bains, sur les bords du lac Léman, avec sa femme enceinte, Naguine, et sa mère Negros.
Reda Kateb (Django) : Je ne le connaissais pas très bien, mais j’avais celle d’un immense musicien bien sûr, j’ai écouté ses morceaux. Mais j’avais aussi celle du film de Woody Allen (ndlr : « Accords et désaccords, 2000) avec Sean Penn qui joue du jazz Manouche et rêve de ressembler à Django. J’avais beaucoup aimé ce film. Concernant Django, lui-même, je me suis fondé sur très peu d’éléments, mais j’ai été vite fasciné en regardant des photos. On le voit avec sa clope, sa petite moustache, son regard perçant ; un regard dans lequel vous entrez, dur mais doux aussi, léger et grave en même temps qui traduit le début de plein d’histoires.
J’ai toujours aimé la culture tzigane aussi, proche de la poésie, du moment présent, de la non accumulation des choses, du fait de traverser la vie en sachant laisser des choses derrière soi et continuer la route. Je me suis toujours senti proche de cela. Et puis j’aime la musique, j’en écoute beaucoup, et j’avais très envie un jour de pouvoir lier mes passions pour le cinéma et la musique. C’est pour toutes ces raisons que ce rôle était un cadeau pour moi.
Culturebox : Vous n’êtes ni Tzigane, ni musicien, n’avez, à priori, aucun lien avec la Seconde Guerre mondiale, et pourtant avant-même que le film ne sorte, on vous a fortement identifié au rôle de Django Reinhardt. Comment est-ce que vous l’expliquez ?
Reda Kateb : Je ne suis pas Tzigane, mais je me suis toujours senti très proche de cette culture. Déjà, à l’époque où j’étais projectionniste, j’avais projeté « Gadjo Dilo » (ndlr : de Tony Gatlif, 1998) et je me suis senti très proche du rôle tenu par Romain Duris qui va chez ces gens-là et qui vont l’adopter fraternellement et l’accepter.
Je ne suis pas musicien professionnel mais il ne se passe pas une journée où je n’écoute pas de la musique au casque. Dès que j’aurai fini avec vous, je vais mettre un casque dans ma voiture ou en marchant, parce que la musique me ressource, accompagne ma vie en permanence. Quant à la Seconde Guerre mondiale, je n’ai pas aucun rapport avec elle, parce que mon grand-père, venu de Tchécoslovaquie pour travailler dans les mines en France, a été Résistant. Donc toutes ces choses-là, ce sont des petits ponts, ce ne sont pas des ponts directs, mais des ponts transversaux qui font que ce n’est pas si étranger pour moi. Par contre, je pense que je suis très, très différent de la flamboyance et du spectaculaire d’un personnage comme Django et, en même temps, je porte mes propres contradictions, ce qui fait que je comprenais bien les siennes.
Culturebox (à Etienne Comar, réalisateur) : Pour vous, le choix de Reda, c’était une évidence ?
Etienne Comar : Oui, ça été assez spontané. En écrivant le scénario, je pensais à Reda. Il y aurait pu y avoir d’autres acteurs possibles, mais finalement, entre mon goût pour son jeu, pour son talent, pour sa personnalité, à la fois douce, mais en même temps très vive, cela a fait qu’une fois le scénario terminé, je l’ai envoyé à Reda. Cela été une rencontre simple et qui a vite fonctionné. Les enjeux, il les connaissait et c’est vrai qu’on avait une idée l’un et l’autre dans laquelle on s’est vite reconnus. Car c’était à la fois un challenge pour moi de réaliser un premier film et c’était aussi un challenge pour Reda de s’attaquer un peu pour la première fois, à un rôle un peu fort, au-delà de ses autres personnages, même s’il les a joués avec talent. Nous étions un peu main dans la main, épaule contre épaule, coude à coude. On s’est dit, qu’on allait mener ce combat ensemble, on avait les mêmes appréhensions, tant vis-à-vis de la communauté tzigane, que de la communauté des musiciens aussi, envers lesquels il fallait être totalement crédibles. Pour tout cela c’était une forme d’évidence.
Culturebox (à Cécile de France - Louise) : Votre personnage est le seul du film à être fictif. Est-ce que cela créé une différence dans votre approche du jeu, en tant qu’actrice, de se retrouver dans un rôle imaginaire au milieu de personnages qui ont réellement existé ?
Cécile de France : Très vite j’ai été aspirée par le plaisir que j’éprouve à créer un personnage et en même temps, on s’est inspiré de Lee Miller (ndlr : muse de Man Ray). Je pense qu’Etienne (ndlr : Comar) s’est dit, on ne va pas la laisser dans le vide, patauger, à essayer de s’accrocher à quelque chose qui n’existe pas. Il a eu l’intelligence de me faire connaître Lee Miller, qui était la muse de Man Ray, une femme fascinante, féministe avant l’heure, libre, indépendante. Louise va utiliser cette même liberté justement pour sauver la vie de cet artiste qu’elle admire passionnément, humainement, mais aussi artistiquement. On a eu la possibilité de vraiment se baser sur la vie mais aussi sur le mystère, l’ambigüité, le trouble, la faille qu’il y a chez cette femme. Cela m’a beaucoup aidé. Ensuite, on s’est aussi inspiré des tableaux de Hopper, des héroïnes des films noirs de l’époque, comme Lauren Bacall par exemple. Et quand on construisait avec Pascaline Chavanne (ndlr : costumière) la garde-robe de Louise, c’était agréable d’avoir sur les murs des photos de ces femmes, d’avoir ces images, on était vraiment dans l’iconographie. Pour moi fabriquer Louise a été vraiment passionnant. Je ne me suis pas vraiment posé de questions en fait, j’étais nourri en tous cas de ce que me donnait Etienne. Je fais toujours confiance à mon réalisateur. Une fois que je m’engage, une fois que j’ai réfléchi, mûri la question, et que j’ai dit ‘oui’, je ne pose plus de question, ce qui est facile, mais aussi agréable. Je me suis réellement laissé guidée par Etienne. Je me suis fondu dans ce qu’il avait en tête et dans celle de Christophe Beaucarne qui était à la caméra. J’étais tout comme Lee Miller qui était la muse de Man Ray, moi j’étais un peu leur muse et ça c’était un grand kif.
Culturebox (à Etienne Comar) : Dans votre film, il y a une continuité entre la musique et la dramaturgie très réussie, ce n’est pas du placage, vous ne vous êtes pas dit, ‘je fais un film sur Django Reinardt’, il va falloir mettre de la musique. Il n’y a pas de musique off, tous les morceaux sont développés, joués à l’écran, comment avez-vous conçu cette harmonie ?
E. C. : C’était vraiment le pari du film, un des principes que je m’étais donné dès le début. Si on faisait un film musical, il fallait vraiment que la musique serve l’action et surtout l’émotion des personnages. C'est-à-dire qu’elle ne soit pas de l’illustration, ou du remplissage parce qu’on fait un film sur untel, mais qu’elle donne à chaque fois des clés. Pour décrire un personnage, comme dans le concert qui ouvre le film, on a toute la palette de Django, on le découvre. Mais cela est aussi valable quand il montre son caractère lors de répétition, où tout d’un coup, il peut s’emporter, ou bien ailleurs, sa musique devient très ironique, quand elle entre dans le cadre d’une bagarre… C’était l’occasion de développer toutes les possibilités qu’offre la musique. J’avais aussi en tête que ce film soit un voyage musical, et j’avais aussi en tête de ne pas en mettre trop, c'est-à-dire d’avoir les morceaux au bon moment, mais aussi d’oublier la musique à d’autres. C'est-à-dire que tout d’un coup, on est dans vie, on est dans ce qui se passe, et puis, on revient à la musique. Ce que j’ai voulu, c’est que quand elle apparaît, cela donne du relief. Ce sont ces nuances là que j’aime, comme j’aime ces nuances dans la musique de Django, on passe de choses plus expressives, à d’autres plus méditatives. Le summum étant, entre guillemets, quand l’on découvre, à la fin, cette œuvre symphonique (« Requiem ») qu’il a écrite, et en partie disparue. Elle résulte d’un cheminement intérieur, d’une réflexion personnelle, du moins plus que la musique qu’il joue devant un grand public, où là il est plus dans une démonstration, même si c’étaient aussi des musiques de sa composition. Celles-là, il les joue presque pour les offrir, alors que l’autre, c’est une musique plus mélancolique, plus intériorisée, une expression très différente de ce que l’on connaît de lui.
Culturebox : Oui, c’est une musique que l’on ne connaît pas ou à peine de Django Reinhardt.
E. C. : Enfin, il y a aussi beaucoup de ses compositions de jazz qui sont très mélancoliques, mais celle-là est très peu connue. Même moi quand je me suis intéressé à ce sujet, à cette période, quand j’ai vu qu’il avait composé ça à la sortie de la guerre, je me suis dit, mais c’est exactement ce que je cherche. C'est-à-dire qu’on arrive au moment où finalement il exprime ce qu’il a envie d’exprimer à travers sa musique. C'est-à-dire, sa résistance à lui. C’est ça, d’avoir composé cette chose-là à ce moment-là. Mais c’est une pièce qui a été remaniée pour le film, car une partie de la partition a été perdue.
Culturebox (à Cécile de France) : Louise apparaît comme un personnage ambigu aux yeux de la communauté tzigane et pour le spectateur aussi, pourtant, il dégage beaucoup d’empathie. Comment avez-vous abordé cette complexité du personnage ?
C. de F. : J’étais heureuse qu’un réalisateur me propose un personnage ambigu, parce que l’on me propose la plupart du temps des personnages natures, sains, bien dans leur peau, solide, sur lesquels on peut compter, mais c’est peut-être aussi un peu de ma faute. Et voilà qu’on m’offre un personnage avec une part d’ombre, avec quelque chose d’insaisissable, une faille, un trouble, un secret, un grand mystère. Alors évidemment, ça m’intéresse, parce que j’aime bien varier les plaisirs et ne pas toujours interpréter les mêmes choses. Mais en même temps c’est un personnage finalement très bienveillant, puisqu’elle sauve la vie de son artiste préféré, mais aussi celle de sa femme et de sa mère. Donc c’est finalement une héroïne. Mais c’est aussi intéressant, comme disait Etienne, qu’à un moment on ne sache plus très bien où on en est, qu’un trouble s’installe, un malaise, et qu’on pense que je suis du côté de l’ennemi. Cela amène une intrigue, du suspense, dans la construction dramatique et narrative.
Culturebox : Vous êtes vraiment lumineuse dans le film, vous avez une image glamour qui ne correspond pas à votre image habituelle, plutôt naturelle, on pense effectivement à Lauren Bacall que vous évoquiez tout à l’heure, à Ingrid Bergman, à Véronica Lake… Ce n’est pas un peu difficile de prendre sur soi de telles références, et comment on s’en libère ?
C. de F. : Je suis déjà embarrassée de pas mal de choses de moi, dont je ne peux pas me débarrasser, donc il y a toujours trop de moi dans mes rôles. Si je pouvais être complètement vierge, comme une page blanche, je le ferais. Ensuite, c’est un vrai plaisir de s’éloigner de soi, un plaisir assez enfantin et ludique de se transformer, de se mettre dans la peau d’une icône de cette époque-là.
Culturebox : Les costumes magnifiques et la reconstitution ont dû aider.
E. C. : J’étais très entouré de beaucoup de personnes de talent qui m’ont justement permis de peaufiner la reconstitution, pour qu’elle corresponde à ma vision, tout en me débarrassant d’un certain trop plein. Mais en restant fidèle à l’époque, qu’on la reconnaisse de façon universelle dans les formes et dans les couleurs.
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