“Emily Dickinson, A Quiet Passion”, biopic feutré d’une poétesse effacée
Agnosticisme
Tout le paradoxe d’Emilie Dickinson est dans le titre. “A Quiet Passion” : une calme passion. Personnalité émotive, habitée de sentiments puissants, voire violents, la poétesse n’est pratiquement jamais sortie de la maison familiale du Massachussetts où elle naquit. Elle refusa toute visite dans la dernière partie de sa vie, hors du cercle familial, à l’exception de son mentor qui publia au compte- gouttes ses poèmes. Le portrait qu’en donne Terence Davies n’en demeure pas moins d’une grande cohérence, tant chez son “héroïne” que dans son film.Le cinéaste ouvre sa reconstitution sur une Emily Dickinson adolescente au séminaire du Mont Hoyoke, où elle tient un discours agnostique (qui repose sur le doute du lien à Dieu, sans le nier). Une position très provocatrice dans le Massachussetts (Nouvelle-Angleterre) qui vit l’arrivée les premiers puritains au XVIIe siècle, dont faisaient partie ses aïeux. Rebelle aux conventions, elle apparaîtra pourtant inflexible sur des points de morale pointilleux, comme lors de la faiblesse de son frère, marié, envers les charmes d’une tentatrice.
La recluse d’Amherst
Amoureuse de la nature, Emily Dickinson se cloîtra cependant dans la maison d’Amherst, se limitant au seul jardin familial qu’elle entretenait avec soin en privilégiant les fleurs. Cette réclusion toute dévouée aux tâches domestiques et à sa création littéraire rappelle celle d’un autre littérateur de Nouvelle-Angleterre, Howard Phillips Lovecraft, surnommé le reclus de Providence (Rhode Island). Très différentes dans leur nature, leurs créations ont en commun la poésie et une intense vie intérieure compensatrice de la fermeture vers l’extérieur. Terence Davies traduit cette intériorité lors d’une magnifique scène où Emily, bouleversée par une émotion refoulée, refuse d’accompagner sa sœur et son compagnon dans le jardin. Prise d’un malaise, elle visualise sur un mur un splendide bouquet de fleurs vénéneuses, telle la projection de son monde intérieur.
Fasciné par la poésie et la personnalité d’Emily Dickinson, Terence Davies participe à une réhabilitation tardive. Incomprise en son temps, voyant seulement publiée de son vivant une douzaine de ses mille-huit-cent poèmes, tous remaniés par leur éditeur, elle ne fit l’objet d’un recueil fidèle à sa prose qu’en 1955. Le cinéaste a trouvé en Cynthia Nixon (Miranda Hobbes dans “Sex & the City”) l’actrice idéale pour incarner la poétesse, bien au-delà de la ressemblance physique. Respectant une temporalité du passé, détachée de la frénésie contemporaine, reconstituant les intérieurs et les toilettes sobres de l’Amérique puritaine, tout en l’illuminant d’une lumière dorée, “Emily Dickinson, A Quiet Passion” extériorise les secrets d’une intériorité foisonnante.
LA FICHE
Drame/Biopic de Terence Davies (Grande-Bretagne/Belgique) - Avec : Cynthia Nixon, Jennifer Ehle, Jodhi May, Keith Carradine, Emma Bell - Durée : 2h05- Sortie : 3 mai 2017
Synopsis : Nouvelle-Angleterre, XIXème siècle. Dans son pensionnat de jeunes filles de bonne famille, la jeune Emily Dickinson ne cesse de se rebeller contre les discours évangéliques qui y sont professés. Son père se voit contraint de la ramener au domicile familial, pour le plus grand bonheur de sa soeur Vinnie et de son frère Austin. Passionnée de poésie, Emily écrit nuit et jour dans l’espoir d’être publiée.
Les années passent, Emily poursuit sa recherche de la quintessence poétique. La rencontre avec une jeune mondaine indépendante et réfractaire aux conventions sociales ravive sa rébellion. Dès lors, elle n’hésite plus à s’opposer à quiconque voudrait lui dicter sa conduite.
Personnage mystérieux devenu mythique, Emily Dickinson est considérée comme l’un des plus grands poètes américains.
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