ENTRETIEN. Pierre Arditi et Yvan Attal sont de concert dans "Maestro(s)" : "on s’est trouvés tout de suite"
Pierre Arditi et Yvan Attal nous confient comment ils ont joué ensemble un père et un fils, tous deux chefs d’orchestre, dans le nouveau film de Bruno Chiche.
Réunir Pierre Arditi et Yvan Attal devant la caméra semble une évidence. C’est pourtant une première dans Maestro(s) de Bruno Chiche, qui sort mercredi 7 décembre. François Dumar (Pierre Arditi) est un grand chef d'orchestre en fin de carrière quand il apprend sa nomination comme directeur artistique à la Scala de Milan, son Graal. Mais c'est une erreur, c'est en fait son fils Denis (Yvan Attal) qui a décroché la timbale. Une situation qui met en porte-à-faux des rapports père-fils déjà un peu distants.
Bruno Chiche reprend l’intrigue du film israélien Footnote (2011) de Joseph Cedar en remplaçant un père et un fils théologiens, par des musiciens. Une bonne idée qui nous introduit dans le monde très fermé de la musique classique à Paris. Ils sont notamment accompagnés de Miou Miou et Caroline Anglade dans le rôle de leurs épouses Pierre Arditi et Yvan Attal nous racontent leur collaboration avec le réalisateur autour d’un sujet délicat, et d’un milieu professionnel peu représenté au cinéma.
Franceinfo Culture : Vous vous êtes retrouvés sur le tournage des "Choses humaines", que vous avez dirigé Yvan Attal, mais vous n’aviez jamais joué ensemble. Comment avez-vous été impliqués dans ce film ?
Yvan Attal : Bruno Chiche m’a donné le scénario, je l’ai lu et apprécié, avec deux ou trois choses à redire parce que je ne peux pas m’en empêcher. Mais je lui ai dit que ça m’intéressait et qu’il fallait qu’on se voit, qu’on en parle, et que j’avais envie de faire le film.
Pierre Arditi : Ca s’est fait comme ça… Je connaissais Bruno depuis longtemps, je sortais du film d’Yvan (Les Choses humaines), et on semblait d’accord pour que je fasse ce père, et ça m’a évidemment intéressé ces rapports père-fils, une histoire universelle, le père, le fils qu’on doit, comme on dit, assassiner, qu’on doit assassiner ou pas d’ailleurs… Et puis ça m’intéressait de retrouver cet individu (il désigne Yvan Attal) qui venait de me diriger, et là au moins, on pouvait s’amuser au chat.
A ce propos des rapports père-fils au cœur du film, le sujet est-il la compétition entre l’aîné et le cadet ?
Pierre Arditi : A mon avis non. Le rapport filial est le sujet central du film, mais ce n’est pas la compétition. On a chacun vécu cette situation avec nos pères, ou avec nos fils d’ailleurs. Moi je n’ai jamais été en compétition avec mon père, je n’ai jamais dit que le but de ma vie était de dépasser mon père. Mon père était peintre, j’aurais été incapable de faire ce qu’il faisait. Quelqu’un qui dans une première partie de la vie éclaire la vôtre, petit à petit, devient important, mais on a besoin aussi de s’en séparer momentanément pour aller voir ailleurs qui on est. Il n’y a pas de compétition là-dedans, simplement une recherche d’identité, que le père peut donner en partie, mais pas entièrement. Il y a simplement une recherche pour l’un et une blessure pour l’autre, parce que la recherche correspond à l’éloignement de l’autre, pour ne pas dire son extinction quand ça finit, ou finit encore plus mal. Ca à l’air d’une compétition dans le film, mais c’est un prétexte.
Oui, mais le milieu musical dans lequel se déroule le film est, lui, assez compétitif.
Pierre Arditi : Oui, mais ça n’empêche pas cela, le milieu des acteurs est lui aussi compétitif, c’est compétitif partout, mais simplement, là, ce père se heurte à une sorte de dénis dans son esprit. Cette nomination à la Scala qu’il décroche, c’est une sorte de médaille en chocolat. La vérité, c’est le public, et ce père le dit très bien d’ailleurs. Mais le fils cherche quelque-chose d’autre. Et c’est normal qu’il le cherche, donc ils se blesseront mutuellement, dans la mesure on ne tue pas le père, mais on finit par jouer avec lui.
Est-ce que jouer des rôles de grands chefs d’orchestre vous a attiré ? C’est un univers peu vu au cinéma.
Yvan Attal : Quand j’ai lu le scénario, ce n’était pas le chef d’orchestre qui me touchait, mais ce père et les rapports qu’il entretient avec son fils. Toutefois, il se trouve qu’en plus, c’est un chef d’orchestre et que c’est un monde qui m’intéresse. J’ai tout de suite vu que ce film pouvait avoir de l’ampleur grâce à la musique. C’est euphorisant de jouer un chef d’orchestre, c’est très amusant, ludique, difficile aussi, parce qu’on a peur d’être un peu grotesque, avec cette baguette dans la main. Mais on s’est vite affranchi de cette histoire, parce qu’on a travaillé avec des chefs d’orchestre et qu’on s’est rendus compte qu’il y avait mille façons de diriger un orchestre. On a découvert que souvent, ce qui faisait les qualités d’un chef d’orchestre, c’est qu’il soit lui-même. On s’est dit que le chef que j’interprète allait diriger comme il est, et moi comme je suis. Oui c’est excitant de jouer un personnage issu de ce monde, d’ailleurs si je me mettais à la place du spectateur, je viendrais voir l’histoire d’un père et de son fils, mais je viendrais aussi découvrir cet univers fascinant et magnifique. On va dans des studios d’enregistrement, on va à la Scala, On est baladé dans des endroits où on n’a pas l’habitude d’aller.
C’est la première fois que vous tournez avec Bruno Chiche qui a déjà dirigé Depardieu ou Luchini, quel directeur d’acteurs est-il ?
Pierre Arditi : Il regarde beaucoup et quand il voit quelque-chose qui l’intéresse, il appuie sur le bouton de ce quelque-chose qu’il voudrait développer. Il y a deux catégories de metteurs en scène dans la vie, les violeurs et les voleurs. Les violeurs, ce sont ceux qui ont décidé de vous arracher de grès ou de force ce qu’ils veulent, et quand ils vous l’ont pris, ils vous jettent à la poubelle parce que ça ne les intéresse plus. Les voleurs, sont des gens qui vous font toucher du doigt des choses que vous ne connaissiez pas forcément en vous, ou dont vous ne vous étiez pas servis. Et quand ils s’en servent, ou s’en sont servis, ils vous le rendent dans votre valise à vous et ça vous appartient. Alors Bruno Chiche, c’est plutôt la seconde catégorie, il est toujours bienveillant, pas béni-oui-oui, mais formidablement attentif.
Honnêtement quand on est acteur, c’est vraiment le regard du metteur en scène qui compte, on ne vit qu’à travers ça et son partenaire. Nous, avec Yvan, on s’est trouvés tout de suite. Il y avait donc ce troisième regard qui nous regardait comme des objets précieux, comme à une certaine époque Alain Resnais m’a regardé comme un objet précieux. Je suis donc devenu précieux, je n’ai jamais ressenti avoir été regardé sans que cela intéresse, je crois en cela profondément. Tu le vois comment, toi, Yvan ? Il regarde, il a un œil, il voit, mais il n’est pas directif.
Yvan Attal : Oui, il n’est pas directif, mais attentif. Mais comme tout metteur en scène, il s’adapte aux acteurs, à une situation, à un film, on n’a pas à faire au même metteur en scène d’un film à l’autre, on avance, on progresse, on comprend des choses, mais elles sont remises en cause à, chaque fois, à chaque, film, ce sont d’autres partenaires, d’autres partitions. Et effectivement, comme dit Pierre, je n’avais pas l’impression d’avoir un metteur en scène dans les pattes, ou d’être orphelin.
Il était ouvert aux propositions que vous pouviez lui faire ?
Pierre Arditi. : Bien sûr, au contraire, il dit "Ah oui, c’est bien, t’as fait un truc là, oui, c’est bien", il a un point de vue, c’est très rare. Il est quelque part, là, présent et il regarde ce qu’on raconte.
Vous avez suivi une formation pour la conduite d’orchestre ?
Yvan Attal : Oui absolument, on a travaillé avec des chefs d’orchestre.
Pierre Arditi : Ils nous ont coachés, plus ou moins montré des choses qu’il fallait respecter techniquement, et puis après on s’est affranchis et on a fait ce qu’on a voulu.
Yvan Attal : Enfin, jusqu’à un certain point. Ils nous ont accompagnés jusqu’au bout. On a fait des répétitions ensemble, avec eux, et on a fait le boulot, comme on dit (rire). Mais, comme dit Pierre, ce n’était pas une chose essentielle pour nous. Je ne me suis pas dit, "oh, la, la, la grande difficulté c’est de devenir un chef d’orchestre".
Pierre Arditi : La grande difficulté, c’est le reste. C’est pas mal d’avoir à incarner quelque-chose comme ça, c’est difficile. Le rôle des femmes est aussi important, le film finit comme sorte de thérapie de groupe, c’est marrant.
Vous êtes-vous renseigné, ou avez-vous enquêté sur le milieu musical du film ? Ou peut-être le connaissez-vous ?
Pierre Arditi Oui pour ma part, je connaissais un peu ce milieu car mes parents étaient assez liés avec la famille Casadesus (dynastie de musiciens), donc je suis tombé dedans quand j’étais petit. Je n’ai pas vraiment connu Robert Casadesus, mais Jean, son fils, qui était un merveilleux pianiste qui est mort dans un accident en avion alors qu’il faisait carrière en Amérique. Et puis il y a Jean-Claude qui est un ami et qu’on me donnait comme exemple adolescent, moi qui ne foutait rien au lycée (il imite son père) : "Tu vois, tu fous rien, tu lis pas, mais Jean-Claude Casadesus, il est un peu plus vieux que toi d'accord, mais quand-même… et là il devient chef d’orchestre, c’est magnifique…" C’est vrai qu’il a beaucoup travaillé et je me suis dit, merde qu’est-ce que je vais devenir, et on est restés très liés. C’est un milieu que je n’ai pas fréquenté assidument, mais quand-même.
C’est un milieu assez bourgeois, les chefs d'orchestre ne sont pas forcément aussi flamboyants que ce qu’ils jouent. Donc ça m’avait un peu frappé cette distance, et puis peu importe, je n’ai pas à les juger. C’est un monde que je trouve assez hermétique et en tout cas très replié sur lui-même, et pas du tout iconoclaste, à part quelques-uns. Je les regardais avec fascination, quand on est capable de jouer comme ça... Tant pis si on est bourgeois, on s’en fout, on oubli ça et on écoute la musique.
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