"Epicentro" : Cuba vu comme jamais par le réalisateur du "Cauchemar de Darwin"
Le documentariste Hubert Sauper nous emmène à Cuba raconté par des enfants à la perspicacité étonnante.
Révélé par Le Cauchemar de Darwin (2005) sur le trafic d’armes en Tanzanie et après Nous venons en amis (2015), sur le colonialisme sino-américain au Soudan, le documentariste Hubert Sauper emmène sa caméra à La Havane où il interroge des enfants sur Cuba. Sans clichés, il parle de la colonisation, de l’impérialisme, de la révolution et du futur, par la voix d’enfants à la clairvoyance singulière.
Témoignages et mythologie
En 1898, l’explosion du destroyer américain USS Maine dans le port de La Havane, rompt l’emprise coloniale espagnole sur Cuba. Victimes, les Etats-Unis prennent le relais sur l'île, jusqu’à la révolution castriste (1953-59). L’embargo américain inhérent au nouveau pouvoir communiste, le protectorat soviétique et sa fin en 1990, la complexité contemporaine, sont expliqués par "les jeunes prophètes", comme les appelle Hubert Sauper. Des enfants de La Havane, garants d’un avenir pour un pays, épicentre des rapports est-ouest, et qu’ils aiment.Hubert Sauper double son propos d’une analyse des mythes nés de l’histoire, dans la propagande filmée, américaine, puis castriste. Il met au centre de son propos la manipulation d’un peuple qui ne demande qu’à se fier à une parole de confiance. En filmant des enfants et en leur faisant raconter l’histoire de Cuba, le documentariste les identifie aux Cubains dans leur ensemble, et à nous, récepteurs de l’histoire forgée par ceux qui l’on faite, et commanditaires des "versions officielles". Des contes. Mais par la voix lucide des enfants, Hubert Sauper lance aussi un message d’avenir avec une puissante énergie.
Marketing politique
De telles manipulations ont toujours été de mise. L’inventeur en est Edward Bernays, double neuveu (par père et mère) de Freud, qui a théorisé le marketing aux Etats-Unis dès les années 1920. Une technique récupérée par la politique et notamment Joseph Goebbels, ministre de la propagande nazie, et d’autres dictateurs sud-américains. Il n’y est pas fait référence dans le film. Mais des images américaines truquées de l’explosion de l’USS Maine en 1898, s'avèrent prémonitoires d'une propagande à venir. Elles sont à l'origine de la fin de la présence espagnole, et de l’installation d’un système pervers de manipulation massive, au bénéfice des USA.
Hubert Sauper enchaîne sur la réception de ce "mythe" jusqu’à aujourd’hui pour justifier la présence américaine, puis son rejet. Avec au centre, toujours une manipulation politique. L’histoire se répète. De la bouche des enfants, elle reflète l’emprise du discours officiel dès le plus jeune âge, et ses répercutions sur leurs aînés, qu’ils deviendront eux-mêmes plus tard. Mais en même temps, Hubert Sauper reflète leur acuité à comprendre et transmettre ce qu’on leur a appris.
Tous, âgés d’une dizaine d’années, nous apprennent l’histoire cubaine, telle qu’on leur a inculquée. On ne l’a jamais entendue comme cela. Demeure une lueur d’espoir, malgré l'impact pérenne d'un discours officiel bien ancré. Elle réside dans la perspicacité de ces enfants, qui les mènera peut-être à en séparer le grain de l’ivraie, pour s'en émanciper et forger un monde nouveau. C’est ce qui transparaît dans leur indépendance de vie, face à un monde dont le futur est entre leurs mains.
La fiche
Genre : Documentaire
Réalisateur : Hubert Sauper
Pays : Autriche, France, Etats-Unis
Durée : 1h47
Sortie : 19 août 2020
Distributeur : Les Films du Losange
Synopsis : Le cinéaste Hubert Sauper — réalisateur de Nous venons en amis et du Cauchemar de Darwin, nommé aux Oscars — a réalisé Epicentro, portrait immersif et métaphorique de Cuba, utopiste et postcolonial, où résonne encore l’explosion de l’USS Maine en 1898. Ce Big Bang a mis fin à la domination coloniale espagnole sur le continent américain et inauguré l’ère de l’Empire américain. Au même endroit et au même moment est né un puissant outil de conquête : le cinéma de propagande. Dans Epicentro, Hubert Sauper explore un siècle d’interventionnisme et de fabrication de mythes avec le peuple extraordinaire de La Havane — en particulier ses enfants, qu’il appelle “ les jeunes prophètes ” — pour interroger le temps, l’impérialisme et le cinéma lui-même.
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