"Gimme Danger" : le rock des Stooges sous l'objectif de Jim Jarmusch
Jarmusch cinéaste rock ?
Jim Jarmusch entretient des affinités profondes avec la musique et le rock en particulier. Mais pas seulement. Son très remarqué "Stranger Than Paradise" (Caméra d’or à Cannes en 1984, prix remis à un premier film) avait pour interprète principal John Lurie, saxophoniste de jazz. Une autre référence essentielle à Jarmusch qui renvoie à la Beat Generation, identifiée à Jack Kerouac, Allen Ginsberg et William Burroughs, porte-parole du Free Jazz, le Punk des années 50-60. La dégaine de Jarmusch – perfecto, lunettes noires, cheveux peroxydés – l’identifie toutefois à une icône rock et, comme par contamination, qualifie abusivement tout son cinéma. L’identification n’en reste pas moins pertinente. Ce n’est pas "Only Lovers Left Alive" (2013), aux références rock très présentes, et ce "Gimme Danger" qui le contrediront.Si Jarmusch réalise un documentaire sur les Stooges, ce n’est pas hasard. Il prend comme sujet un groupe, comme lui, américain (originaire de Ann Arbor près de Detroit), tenu pour être précurseur du mouvement Punk de 1976, alors que la formation remonte à 1967. Ce qui l’intéresse, c’est la révolution musicale qu’incarne le groupe, dans une mouvance assez confidentielle, underground, qui va contaminer toute la musique populaire. Sa part provocatrice, avec un Iggy Pop exubérant qui prend le relais d’un Jim Morrison, après sa mort en 1971, participe du phénomène. Mais Jarmusch ne privilégie pas Iggy, son film est sur une expérience collective, même si le leader reste le principal intervenant du film.
Histoires
Jarmusch met aussi au centre de sa filmographie l’Amérique, et l’ADN profondément américaine des Stooges est un autre de ses sujets. Tout comme il est fasciné par la Beat Generation, le cinéaste transmet l’énergie avant-gardiste, génératrice de chaos, au sein d’une société balisée, sage, consumériste, telle que pouvait l’être celle des Etats-Unis des années 50-60. Les influences tels que l'humour "camp" distilléées au cinéma, la télévision et dans la culture populaire en général, participent du groupe. Aussi The Stooges seront au Flower Power des 60’s, ce que le Free Jazz fut à un Jazz mainstream des 50’s : une destructuration des schémas établis. "Gimme Danger" dépasse ainsi le seul champ musical en s’étendant au cursus socio-culturel. Le documentaire reconstitue ce parcours en retraçant l’histoire du groupe aux vicissitudes diverses, traversées par la drogue, les egos, les rencontres avec Lou Reed et David Bowie, une séparation douloureuse et une résurrection miraculeuse.
S’il reste assez conventionnel dans la forme, "Gimme Danger" transmet l’énergie du groupe et du mouvement de fond qui le porte. Le montage alterne interviews, documents filmiques et photographiques, passe de l’image animée à l’image fixe, du reportage à l’animation, du noir et blanc à la couleur, avec des grains et des formats différents qui participent d’une dynamique en phase avec le sujet; Sans jamais mollir, sur les près de deux heures du film. Si "Gimme Danger" raconte avant tout les Stooges, il témoigne d’une histoire de la musique, du rock, de la culture, donc de l’Histoire.
LA FICHE
Documentaire de Jim Jarmusch (Etats-Unis), Avec : Iggy Pop, Ron Asheton, Scott Asheton, James A. Williamson, Steve Mackay, Mike Watt, Danny Fields, Kathy Asheton - Durée : 1h48 - Sortie : 1er février 2017
Synopsis : Apparu pour la première fois à Ann Arbor, Michigan, au cours d’une révolution contre-culturelle, le style de rock’n’roll puissant et agressif des Stooges a fait l’effet d’une bombe dans le paysage musical de la fin des années 60. Soufflant le public avec un mélange de rock, de blues, de R&B et de free jazz, le groupe au sein duquel débute Iggy Pop posa les fondations de ce que l’on appellerait plus tard le punk et le rock alternatif. Gimme Danger retrace l’épopée des Stooges, l’un des plus grands groupes qui ont fait l'histoire du rock. Comment les Stooges ont émergé musicalement, culturellement, politiquement, historiquement ; leurs aventures et mésaventures, leurs inspirations et les raisons de leurs premiers défis commerciaux, jusqu’à leur arrivée au Panthéon du rock.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.