Cet article date de plus de cinq ans.

"Grâce à Dieu" : François Ozon fait le procès de l'Eglise face à la pédophilie

Après deux procès, "Grâce à Dieu", Ours d'argent à la Berlinale, sort en salles à la date prévue. En adaptant au plus près le scandale pédophile dans le diocèse de Lyon en 2016, objet de deux instances à venir, François Ozon brise un tabou en des termes militants. Une libération de la parole que recoupe l’angle qu’il a choisi : l’histoire de l’association La Parole libérée, destinée aux victimes.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
 Denis Ménochet, Eric Caravaca, Swann Arlaud et Melvil Poupaud dans "Grâce à Dieu" de François Ozon
 (Mars Films )

L’affaire

François Ozon ("8 Femmes", "Frantz") a été bouleversé quand il s’est emparé du sujet de la pédophilie dans l’Eglise catholique pour son nouveau film. La révélation de cette dernière le mène à enquêter minutieusement sur l’affaire Preynat/Barbarin, devenue l’affaire Barbarin. Le cardinal de Lyon est accusé de ne pas avoir dénoncé à l’Eglise la pédophilie du père Preynat, lui infligeant une pénitence, puis lui redonnant des missions auprès d’enfants.
Père de famille catholique pratiquant à Lyon, Alexandre (Melvil Poupaud) découvre que le prêtre qui a abusé de lui dans sa jeunesse officie toujours auprès des enfants. Il contacte l’Eglise pour l’inciter à le démettre de ses fonctions. Face à un mur, il recherche d’anciennes victimes comme lui, pour former l’association La Parole libérée qui a révélé l’affaire.

Par amour pour l’Eglise

Ozon garde le nom des accusés, du côté de l’Eglise, et change celui des victimes civiles, pour les protéger. Les victimes sont le cœur du film. Son angle est similaire à celui de "120 Battements par minute" (Robin Campillo, 2017), qui dénonçait l’indifférence sociétale face au sida en racontant l’histoire de l’association Act up, composée de malades condamnés. Qu’il s’agisse de pédophilie ou de sida, c’est le travail des victimes qui permet de révéler au monde une détresse et une injustice, pour protéger leurs prochains. Un engagement au cœur des deux films.
Dans les deux cas, pédophilie ou sida, ce qui aurait pu faire l’objet d’un documentaire est revendiqué comme une "fiction inspirée de faits réels". Car le romanesque, en dramatisant le sujet, ouvre à l’émotion, l’identification, l’empathie et la compassion. François Ozon dit avoir réalisé "Grâce à Dieu" par amour pour l’Eglise, afin d’abolir la condamnation bienveillante, sinon laxiste, de la pédophilie en son sein. Y parviendra-t-il ? Ozon apporte du moins sa part, tel le colibri contribuant à l’extinction de l’incendie, goutte d’eau, par goutte d’eau.

Casting parfait

Sur un sujet semblable, "Spotlight" (Tom McCarthy, 2015) traitait également de la révélation médiatique d’un scandale pédophile au cœur de l’Eglise catholique américaine. Deux histoires vraies. La réussite de "Grâce à Dieu" repose sur un respect des faits dans une adaptation poétisée, comme toujours chez le cinéaste. Ozon, signataire du script, sait raconter les histoires, inspirées de faits réels ou non. C’est d’ailleurs la première fois qu’il s’attaque à une histoire vraie. De plus il filme bien, puisqu’il cadre l'image aussi.
François Ozon et François Marthouret sur le tournage de "Grâce à Dieu" de François Ozon
 (Mars Films)
Melvil Poupaud ("Une jeunesse dorée") est identifié au rôle de "celui par qui le scandale arrive". Ceux qu’il entraîne avec lui, Denis Menochet ("Jusqu’à la garde"), Swann Arlaud ("Petit paysan") confirment un renouvellement des acteurs français, doués d'un très grand talent. Bernard Verney (Victor Hugo dans "Rodin") est habité par la culpabilité du père Preynat. Josiane Balasko transpire la culpabilité en mère d’une des victimes. Quant à François Marthouret ("Vénus noire"), il campe un cardinal Barbarin époustouflant de vérité. Coup de génie de Ozon de lui confier un tel rôle, auquel il apporte toute la subtilité de l’homme d’Eglise déstabilisé par un scandale annoncé. Marthouret est un des acteurs les plus honteusement sous-employés du cinéma français.

"Grâce à Dieu", titre issu des mots de Barbarin qui soulignait ainsi la prescription des faits de pédophilie énoncés, touche droit au but. François Ozon démontre de film en film qu’il est un des meilleurs cinéastes français par son art de s’emparer d’un sujet dont il est souvent l’auteur. Il est dans la lignée d’un Chabrol, d’un Truffaut, d’un Sautet, quand ils donnent le meilleur d’eux-mêmes, comme c’est le cas ici. Grâce à Dieu.
L'affiche du film "Grâce à Dieu" de François Ozon.
 (Mars Films)

LA FICHE

Drame de François Ozon
Pays : France
Avec : Melvil Poupaud, Denis Ménochet, Swann Arlaud, Eric Caravaca, Bernard Verney, François Marthouret, Josiane Balasko, Hélène Vincent, Frédéric Pierrot
Durée : 2h17
Sortie : 20 février 2019

Synopsis : Alexandre vit à Lyon avec sa femme et ses enfants. Un jour, il découvre par hasard que le prêtre qui a abusé de lui aux scouts officie toujours auprès d’enfants. Il se lance alors dans un combat, très vite rejoint par François et Emmanuel, également victimes du prêtre, pour « libérer leur parole » sur ce qu’ils ont subi. Mais les répercussions et conséquences de ces aveux ne laisseront personne indemne. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.