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Grand entretien "Ce film, de manière déguisée, est très proche d'un journal intime", confie Robert Guédiguian, réalisateur de "Et la fête continue !"

"Et la fête continue !", 23e film de Robert Guédiguian, est un hymne à l'amour et à l'engagement. Pour franceinfo Culture, le réalisateur marseillais dévoile les coulisses de ce réconfortant long-métrage.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 25min
Portrait du réalisateur Robert Guédiguian le 13 novembre 2023. (LAURENCE HOUOT / FRANCEINFO CULTURE)

Une rétrospective consacrée à ses films l'été dernier au Mucem, une exposition à La Friche la Belle de mai à Marseille depuis le 20 octobre, et un 23e long-métrage, sorti en salles le 15 novembre, l'année 2023 consacre un réalisateur majeur du cinéma Français, Robert Guédiguian, plus de quatre décennies de cinéma engagé, et bientôt 70 ans. Gilet camel et espadrilles aux pieds malgré la pluie, regard perçant et sourire en coin, il nous accueille chez lui, dans sa maison, simple et baignée de lumière, pour parler avec son accent plein de soleil de tout ce qui a porté ce nouveau long-métrage très intime, qui renoue avec l'émerveillement et la foi en l'humanité.

Votre précédent film, tourné à Marseille, "Gloria Mundi", était particulièrement sombre. Celui-ci est beaucoup plus optimiste. Vous avez retrouvé le moral ?

On pourrait dire que ce film est le repentir du précédent. Dans l'idéal, j'aurais bien aimé alterner toute ma vie une tragédie avec une comédie. Une tragédie, une comédie, une tragédie, une comédie, etc. Alterner en permanence ces deux grandes formes de cinéma. C’est ce que j’avais fait par exemple avec Marius et Jeannette et La ville est tranquille. Voilà, j'ai essayé de faire ça souvent, mais je ne peux pas alterner avec autant de régularité que ce que je souhaiterais.

Mais la réalité, elle est plutôt du côté de Gloria Mundi ou bien du côté de Et la fête continue ! ?

La réalité, elle est des deux côtés. Pour dire la réalité de Marseille, il faudrait mélanger les deux films, mais pour le cinéma, je crois qu'il faut les séparer. Je crois que le cinéma doit être excessif dans le constat. Excessivement dur, rude, pour montrer ce qui ne va pas. Ou excessivement optimiste, pour montrer tout ce qui pourrait aller. Et ça correspond aussi à des humeurs. Je suis de mauvaise humeur, ou pas. Voilà.

Et cette fois, le film est né de quelle humeur ?

Là, le film est né à partir du titre. Le titre a précédé l’écriture le film. J’en ai parlé à Serge Valletti (le coscénariste NDLR). Je lui ai dit : Et la fête continue ! Et on va en faire un film. Grosso modo, l’idée c’était : la catastrophe est imminente, et la fête continue... Tout va mal, et la fête continue... On ne met pas le début de la phrase, chacun peut l’imaginer, mais elle a toujours à voir avec le désastre général actuel. Et la fête continue ! avec le point d’exclamation, parce qu’il y a des endroits où elle continue, et des endroits où elle ne continue pas. Et puis aussi parce que c’est nous, auteurs, qui disons qu’elle doit continuer.

Pourquoi ?

Parce que la fête, c'est le combat, c'est les luttes. La fête, c'est la vie. Ce n’est pas étonnant si toutes les dictatures s'en prennent à la fête. La fête, c'est la liberté. C’est ce que raconte aussi mon film Twist à Bamako, qui parle de l’interdiction de la fête. Le Hamas s’attaque à la fête. Au Bataclan, c’est aussi la fête qui est visée. La fête gêne la dictature. La fête, c’est une liberté, une inversion des valeurs, donc c’est dangereux pour le pouvoir. Et puis, il y a eu le drame de la rue d’Aubagne à Marseille. C’est arrivé pendant le tournage de Gloria Mundi, à 500 m de là où on se trouvait. On a été très choqués, et on a essayé d’intervenir comme on a pu. Mais c’est aussi comme ça qu’est née cette idée de l’effondrement.

Cet effondrement, qu’est-ce qu’il évoque ?

On s’est dit que cet effondrement, c’était l'effondrement de nos modes de vie aujourd'hui, et aussi ce constat que l’on vit tous de manière un peu trop ancienne, et en particulier sur le collectif. Le rapport au travail a changé, le rapport à la politique a changé, le rapport à l'amour, au couple, au mariage, a changé. Sur toutes ces questions-là, le rapport à la durée a changé. Le temps de travail qu'on passe aujourd'hui dans une entreprise, le temps de la vie qu'on passe avec un compagnon ou une compagne. Enfin bon, ça bouge quoi. Le télétravail, on n'imagine pas la manière dont ça agit sur la société, mais il y a aussi évidemment la proximité du désastre écologique, etc. Donc pour moi, l'effondrement, symboliquement, c'est l'effondrement de tout ça.

Comment faire un film optimiste avec cette idée ?

Cet effondrement généralisé, il fallait le montrer. Donc on part de cet effondrement, c’est le générique, et après on n’en parle plus. Après, on ne montre que des gens qui sont engagés, malgré tout, dans une action collective. Je me suis même dit que je ne voulais montrer que des Justes. On dit des "Justes devant les nations", je dirais des "Justes devant l'humanité". Moi, je trouve que Rosa, c'est une Juste. Elle a comme une aura autour d'elle, qui fait que tout ce qu'elle fait, tout ce dont elle s'occupe, s'améliore. Que ce soit à l'hôpital ou que ce soit dans la vie. Elle essaie des choses en permanence, elle est fatiguée, d'ailleurs, et elle le dit, parce que c'est fatigant tout ça. Et les enfants de Rosa sont, eux aussi, préoccupés, les fiancés de ses enfants sont aussi préoccupés, font des choses.

"L’idée, c’était que face à cet effondrement, il ne faut surtout pas avoir la tentation du repli. Il ne faut surtout pas être dans la résignation, dans le renoncement. Et au contraire, qu’il est plus urgent que jamais de faire quelque chose."

Robert Guédiguian

à franceinfo Culture

Dans ce film, comme dans tous vos films, il est évidemment question de politique, mais ici, on a l’impression que vous avez choisi d’en parler avec humour, comme s’il y avait une distance, c’est le cas ?

Le discours politique de ce film, c'est un discours, je le dis, que je partage à 100%. J’ai glissé dans le film deux ou trois scènes où c’est moi qui parle à travers Rosa. C’est un peu comme si j’étais dans le film, et que je me tournais vers la caméra et que je m’adressais directement au public, et que je disais : les gars, je pense ça, voilà. Et donc, j’y vais carrément. Les communistes qui veulent ressusciter et qui ne croient pas à la résurrection... c'est un mot de l'auteur (sourire). Il y a des choses qu'on ne peut pas dire comme ça. Je crois que comme Henri qui dit à sa fille qu’elle doit trouver une forme spectaculaire à son discours, il faut trouver une forme. Une forme qui fasse rire ou qui intrigue. Et c'est ce qu'on a essayé de faire. On a cherché des formes pour faire passer directement ces idées.

En fait, c'est comme si vous preniez le microcosme marseillais pour parler plus généralement de la gauche aujourd'hui en France. Qu’est-ce que vous aviez envie de dire là-dessus ?

Je pense que le "Printemps marseillais" (mouvement politique d'union de la gauche, vainqueur des élections municipales en 2020, NDLR) est exemplaire. J'espère que l'expérience va durer, qu'elle va fonctionner, que les gens vont voter pour eux et que ça va se développer. Et j'aimerais bien qu'il y ait un "Printemps français" maintenant, parce que j'ai du mal à imaginer un pays où il n'y ait pas en permanence un débat entre des visions différentes du monde.

"Un pays sans forces de gauche, ça ne me plaît pas. Ce n'est même pas pour qu’elle gagne, mais parce que tout pouvoir doit avoir un contre-pouvoir. C'est comme ça depuis Montesquieu. Il faut qu'il y ait de la dialectique, il faut qu'il y ait du dialogue, il faut qu'il y ait du conflit. Pas de la violence, mais du conflit, qui peut passer par le langage, qui peut être le débat."

Robert Guédiguian

à franceinfo Culture

J’aimerais par exemple qu’il y ait des forces de gauches qui défendent le RSA, qui défendent l’AME (Aide médicale d'État, dispositif permettant aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d'un accès aux soins, remis en cause par le Projet de loi immigration voté au sénat le 14 novembre, NDLR). Et d'ailleurs, les médecins ont appelé à désobéir. Je crois que c'est très grave. Que cette union de la gauche, qui a refonctionné pendant quelque temps après la période électorale, soit aujourd’hui très mise à mal, me désole. Et j'en veux beaucoup aux dirigeants de tous ces partis-là aujourd'hui, et je dis bien de tous ces partis qui commettent cette erreur dingue, cette erreur folle et tragique, de penser davantage à renforcer leur position dans l'union, qu’à l'union.

Il leur manque une belle tête de liste ?

Il leur manque Rosa (sourire).

On fait de la politique autrement aujourd'hui ? Les modes d’action ont changé ?

L’idée, c’est de faire quelque chose. Et aujourd’hui, cela se fait sous des manières très très différentes de celles que l’on a connues. Avant, il y avait très classiquement l'élection, le parti, le syndicat. Maintenant il y a les associations, multiples et variées, les comités de quartier, les zones à défendre. Et que sais-je encore. Il y a des milliers de manières d'intervenir. On peut même intervenir par l'entreprise, en montant des entreprises solidaires, qui vont créer des choses nécessaires, dont la société manque. Tout ça, ce sont des formes d'engagement. C'est là où le film est optimiste. Même si tout s’effondre, il faut être d’autant plus combattant. Comme disait Gramsci, qui a donné son prénom au personnage d’Antoine : "Il faut allier le pessimisme de l'intelligence à l'optimisme de la volonté". Le film est une illustration parfaite de cette pensée de Gramsci.

Il y a dans ce film aussi, très fortement, l'idée de la filiation, de la transmission. C'est une histoire de passage de relais ?

Oui, cela me tient à cœur. Et il faut insister. Le risque que l’on court, que l’on a couru, et que l’on court encore, c'est effectivement de rompre le fil avec ce qu’ont accompli les générations précédentes, qui ont mené des grands combats. Les grands combats syndicaux, les grandes luttes ouvrières depuis la fin du XIXe jusqu'à aujourd'hui. Le fil s’est un peu rompu. On s'est laissé un peu berner, pendant une génération. Comme si les choses étaient naturelles, comme s'il n'y avait plus rien à faire. Le monde était administré à peu près correctement. Oui, il y avait peu de pauvreté par-ci par-là, mais la réussite individuelle était à son apogée comme principe de vie. Et tout ça est en train de changer à la vitesse grand V, et c’est tant mieux. Et c’est aussi pour ça que je cite Rosa Luxembourg, Antonio Gramsci, et que j’aurais pu citer Jaurès. Parce que ces trois figures théoriques du mouvement ouvrier, qui avaient un peu entrevu, qui avaient pressenti ce qui nous arrive aujourd'hui, peuvent nous aider à comprendre.

La littérature a une grande place aussi dans le film. C’est important pour vous ?

C’est essentiel. Le personnage d'Henri, incarné par Jean-Pierre Darroussin, par exemple, n’était pas un père très présent pour sa fille, on sent qu’il y a eu un divorce compliqué derrière tout ça, et qu’il s’était un peu éloigné de sa fille. Mais enfin, il a toujours veillé à lui envoyer des cartes postales avec des citations. Voilà, c'est un beau rapport quand même, c'est joli qu'il ait fait ça. Et de cette manière, il a quand même maintenu un lien. Sa fille finit par se jeter dans ses bras et elle lui dit qu'elle en fera peut-être un livre un jour, de toutes ces citations qu'il lui a envoyées. Cette transmission de la littérature, de la poésie, dont parle cette scène, c’est tout à fait essentiel.

"Je donnais à mes filles un livre à lire chaque semaine, et je leur disais qu'elles avaient le droit d’abandonner au bout de vingt pages si ça ne leur plaisait pas, et je leur proposais un autre livre. Il y a tellement de livres..."

Robert Guédiguian

à franceinfo Culture

Pour l’anecdote, les citations envoyées par Henri à sa fille sont des citations que j'avais notées sur mon livre de philo, quand j'avais 18 ans. C'est pour ça que c'est très varié. Je me suis amusé à dire merci à Shakespeare, à Beckett... et à tous les gens que j'ai lu toute ma vie et que je donnais à lire à mes filles tous les dimanches.

Il y a aussi cette idée de chorale, qui chante en chœur la chanson "Emmenez-moi" d'Aznavour. Il y a un message ?

Le chœur, c'est le peuple qui chante ensemble, côte à côte. Ça marchait bien de résumer nos sociétés par une chorale. C'était une bonne idée. Ensuite, on s’est demandé ce que ce chœur allait bien pouvoir chanter. On a réfléchi à des chants révolutionnaires. Mais bon, on s'est dit qu'ils n'allaient quand même pas chanter Bella Ciao. Et ce qui est venu, c’est Aznavour, l'Arménie. C'est une chanson qu'on aime évidemment énormément. En fait, j'avais failli la mettre dans un autre film, il y a il y a 30 ans et puis finalement, je ne l’avais pas fait. Et évidemment, il y a aussi ce rapport au soleil, la misère, Marseille... Et puis, c’est une chanson extrêmement populaire, c'est même un tube international !

C’est un film sur la famille aussi, mais la famille au sens large ?

C’est ma conception de la famille. Je n’aime pas la famille au sens bourgeois du XIXe siècle. Pour moi, une famille, c’est élargi, forcément. Il y a évidemment des gens avec qui on a des liens de sang. Oui, les frères et sœurs, ça compte bien sûr, mais on a aussi des liens très forts avec des gens qu'on rencontre. Ils peuvent entrer.

"Et la fête continue !" de Robert Guédiguian, sortie le 15 novembre 2023. (AGAT FILMS - BIBI FILM - FRANCE 3 CINEMA)

Une famille, c'est ouvert, ce n’est pas replié sur soi, ce n’est pas fermé. La famille peut s’élargir avec les amis, les amis des amis, la famille du conjoint, et aussi bien évidemment des rencontres politiques, des rencontres de quartier, de voisinage, etc. J’ai toujours été un faiseur de groupes, j'ai toujours fabriqué du collectif. Mes amis arméniens, mes amis d’enfance, la famille, les voisins... Je les invite chez moi, on mange tous ensemble et éventuellement des liens se créent, qui d’ailleurs ensuite ne passent plus forcément par moi. C’est une manière de faire société, de fabriquer une société, une microsociété. Et je trouve ça beau.

Et c’est la même chose dans votre cinéma, il y a une famille cinéma Guédiguian, avec les mêmes acteurs, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, bien sûr Arianne Ascaride, et puis la famille s’élargit avec Alice Da Luz Gomes, Lola Neymark, Robinson Stevenin...

Oui, j’ai une tendance à faire groupe en permanence, pour tout... Mais c’est aussi parce que je pense que c’est comme ça qu’on transmet, qu’on élève, au sens d’apprentissage. Alice Da Luz Gomes avait 18 ans quand on a fait Twist à Bamako, et hop, voilà, elle est entrée dans la famille. Et depuis, elle est au conservatoire. Sur ce dernier film, j’ai aussi fait un petit renouvellement dans l’équipe technique. On a fait travailler des jeunes techniciens, trois jeunes femmes. On savait que certaines choses prendraient un peu plus de temps, parce qu’il allait falloir leur apprendre deux trois trucs, mais qu’est-ce que ça change, dix ou quinze minutes ici et là ? Ces jeunes femmes ont appris des choses et c’est tant mieux. Je crois qu’il faut cultiver ce souci de la transmission, du partage.

C’est aussi un film sur l’amour, sous toutes ses formes, et à tous les âges.

Dans les films, il faut toujours une histoire d’amour. Il y a très peu de films sans histoires d’amour, parce que c’est évidemment une des choses essentielles dans nos vies. Je ne suis pas philosophe ou historien des relations amoureuses, mais c'est le premier rapport qu'on a aux autres quand même. Et c'est vrai qu’il faut essayer toujours, je crois, là aussi, d'être libre par rapport à ça. Quand je dis "être libre", c'est par exemple cette scène du film que j’adore, une scène classique de comédie, celle où Rosa annonce à son fils qu'elle a fait l'amour. Pourquoi c'est drôle ? Parce que tout le monde s'attend à ce que le fils réagisse mal, qu'il ait une position morale rigide, psychorigide, bête, méchante, même. Mais il sourit, et il lui répond "Ça t'a plu ?" C'est ce que j'avais fait aussi avec mon film Marie-Jo et ses deux amours. Je dis souvent, sous forme de boutade avec un peu de provocation, que c'est un de mes films les plus politiques. Tout simplement parce que j'y montre une femme avec deux hommes, alors qu'en général, c'est toujours un homme avec deux femmes. Et donc, déjà dans ce sens-là, le film était puissamment politique parce qu'il renversait un des grands stéréotypes de nos sociétés.

"Là, je montre l’amour à cet âge. Ce n’est pas si fréquent, mais bien sûr que ça arrive."

Robert Guédiguian

à franceinfo Culture

Une autre chose que j'aime bien dans une histoire d'amour, c'est quand ça vient se relier à une question d'identité. Rosa dit à son fils que les enfants qu'ils auront ensemble, s'ils les adoptent, seront arméniens par la culture. On n’est pas arménien par le sang. Bien sûr que non. Contrairement à ce que disent Erdogan et les extrémistes et fascistes turcs !

Tous les personnages dans ce film sont tolérants, ouverts d’esprit, c’est l’amour qui les rend comme ça ?

C'est un rêve un peu éveillé que j'ai toujours fait. Mais c’est aussi parce que c'est ce qui m'arrive. Je rencontre des gens exceptionnels. J'en rencontre tous les jours. C’est étrange de penser que c'est moins spectaculaire à montrer que des gens horribles. Au cinéma, on ne nous parle que de gens horribles. Alors que je pense que ça peut être très réjouissant de voir des gens généreux, intelligents, solidaires, qui réfléchissent bien, qui ont un grand esprit d'ouverture... C'est important de les montrer aussi, parce qu’évidemment, il y a des messages qui sont transmis à travers ces personnages.

Ça sert aussi à ça, le cinéma ?

Oui, je pense que les messages se transmettent souvent mieux comme ça qu'à travers un discours plus rationnel. Quand une idée se transmet par de l’émotion, je pense qu'elle a plus de force de pénétration. On est ému, et sur le moment, on ne va même pas voir qu’il y avait une idée derrière. Et puis, c’est trois jours après que l’on va se dire mais oui, c'est vrai que là j'étais bouleversé à ce moment-là, mais en fait j'étais bouleversé parce que le fils est très content que sa mère soit amoureuse. D’abord, il y a l’émotion, et après, on se dit que cette émotion provient d’un point de vue, et cette idée, ce point de vue, on peut peut-être y adhérer, on peut la faire nôtre.

Ariane Ascaride et Jean-Pierre Darroussin dans "Et la fête continue !" de Robert Guédiguian, sortie le 15 novembre 2023. (AGAT FILMS - BIBI FILM - FRANCE 3 CINEMA)

C'est un film aussi avec beaucoup de rêveries, que vous avez vraiment traduites avec l'image et avec le son. C’était dans le projet ?

Ces rêveries, comme vous dites, servent à mieux définir le personnage principal. On est vraiment parti sur la construction d'un personnage, donc on a choisi d'emblée cette voix off où Rosa se parle à elle-même. On est dans le journal intime. Donc on est allé convoquer toutes les possibilités pour être au plus près, et le plus rapidement possible, dans la biographie. Pour aider à comprendre pourquoi Rosa est comme elle est. Et c'est vrai qu'elle est comme ça, parce qu'il y a cette influence du père. Il y a ce militantisme, déjà avec le père, cette morale enseignée par lui et ce rapport au texte. Le texte qu'elle dit dans le théâtre, en fait, c'est un texte de Rosa Luxemburg, c'est une lettre de prison de Rosa Luxemburg.

"Ce rapport à la rêverie, ce monologue intérieur permettent de définir plus précisément pourquoi ces personnages-là sont comme ça. Et justement, s’ils sont comme ça, c’est parce qu'on leur a transmis des choses."

Robert Guédiguian

à franceinfo Culture

Et la transmission, c'était avant, donc c'était de l'ordre du rêve, ou du souvenir en tout cas.

Comment le cinéma peut-il exprimer cela ?

Ce sont des choix esthétiques. Il y avait l’idée de reconstituer un peu les choses, c’est-à-dire ne pas être naturaliste. Pour les scènes de nuit, par exemple, on a éteint toutes les lumières de la ville, et on a refait la lumière nous-mêmes, donc ça donne une lumière particulière qui n'est pas une lumière réaliste. Le plan avec le drone, où on voit Rosa et Henri danser. La caméra est loin, ils dansent... Cela évoque une comédie musicale américaine. On peut penser à New York, New York. Ce n'est pas Vincente Minelli mais ce sont des références à cet univers. Avec l’équipe de la déco, avec le chef opérateur, on a vraiment fait un travail de recherche esthétique un peu plus forte que sur d'autres films. Sur le tournage, souvent, j'ai pris le temps de réfléchir. 

"On s'est un peu acharnés à chercher, pour rendre tout ça beau, pour essayer de montrer la beauté de ces choses-là, de ces engagements-là, de ces souvenirs-là, pour les montrer dans toute leur beauté. Il n’y a pas d’autre mot."

Robert Guédiguian

à franceinfo Culture

Ce film parle beaucoup de vous-même en fait. C’est peut-être celui qui est le plus intime de tous vos films, non ?

C’est vrai que ce film, de manière très déguisée, est très proche d'un journal intime. Mais incarné par d'autres personnages, donc évidemment, ça ne se voit pas trop. Ça a été un gros travail pour l’écriture du scénario. Il fallait rentrer de toute force des choses qui me concernent très directement. C’était un exercice parfois un peu difficile de dire le personnage va penser ça, ça et ça, parce que moi, je le pense. Et puis, il fallait répartir ce journal intime entre les sept personnages principaux. Ça peut être compliqué ensuite de trouver la cohérence. Mais nous avons réussi, et pour finir, je peux dire que je suis d'accord avec chacun des personnages !

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