"How to save a dead friend" un documentaire choc sur la jeunesse post-soviétique dans une "Russie de la déprime"
Pendant une douzaine d'années, Marusya Syroechkovskaya a filmé son quotidien avec Kimi, l'amour de sa vie. Recomposé à postériori avec des images captées pendant toutes ces années, de la musique, et des images glanées ici et là, le film retrace le parcours chaotique de ce couple au bord du gouffre, jusqu'à la chute, avec en toile de fond ce que la réalisatrice appelle la "Russie de la déprime". Le film, projeté dans plus de 60 festivals et récompensé par de nombreux prix, sort en salles en France le 28 juin.
En 2005, l'année de ses seize ans, Marusya décide que cette année sera la dernière année de sa vie. Elle compte mettre fin à ses jours avant ses 17 ans. Mais elle rencontre Kimi, un garçon aussi désespéré qu'elle. Pour elle, Kimi, est, pense-t-elle, "la personne parfaite", son "âme sœur de rêve". Par sa simple présence, il l'aide à surmonter les moments difficiles dans cette Russie "pour les gens tristes". Ils s'installent ensemble, et se marient.
Dès leurs premiers moments, la jeune fille filme leur quotidien. Les fêtes, l'alcool, la drogue, les moments heureux, et les moments de désespoir, les discours de Nouvel an du président, qui s'égrènent et promettent sans que jamais rien ne change, les manifestations, l'euphorie nationale d'une victoire de foot… Elle filme aussi la plongée de plus en plus profonde de Kimi dans les addictions, d'abord à la drogue, puis aux médicaments, qu'il se fait prescrire à l'hôpital, où il effectue de plus en plus de séjours. Le temps passe sous la caméra de Marusya, qui capte, impuissante la dégradation lente et inéluctable de Kimi, jusqu'au jour fatal du 4 novembre 2016.
Cri de colère
Chronique d'une mort annoncée, peinture sombre de la Russie de Poutine, ce documentaire est constitué des images captées par la réalisatrice pendant près de douze ans, qu'elle a montées après la mort de Kimi, et qu'elle commente à postériori.
Marusya Syroechkovskaya travaille sa matière comme une plasticienne, enrichissant de musique, de textes, de travail sur la couleur, la lumière, ces images d'archives capturées dans l'instant, sur le vif, sans dessein préétabli, si ce n'est peut-être, inconsciemment, celui de se sauver elle-même. "Marusya, a un but au moins, c'est de filmer toute la journée" lâche Kimi alors que lui-même semble définitivement perdu.
Histoire intime, mais aussi collective, How to save a dead friend dépeint cette génération post-soviétique née juste avant la fin de l'URSS, et dont la vie a commencé dans la noirceur de la terrible crise qui a suivi, puis grandi dans le régime autoritaire et répressif mis en place par Poutine. Nombre de ces enfants post-soviétiques sont morts, leurs noms, et la cause de leur décès, souvent des suicides, (overdose, accident, chute d'un pont…) sont énoncés au fil du documentaire.
Crise politique, misère sociale, désillusions, le film de Marusya Syroechkovskaya sonne comme le cri de colère d'une génération qui paie cher le prix d'une transition impossible. Mais il est aussi un cri d'amour, et une démonstration fulgurante de liberté. Celle que s'est autorisée cette jeune réalisatrice en consignant caméra au poing, jour après jour, le journal de sa vie, de son amour, et de son pays, pour en faire un film d'une force exceptionnelle.
La fiche
Genre : documentaire
Réalisateur : Marusya Syroechkovskaya
Pays : Russie
Durée : 1h 43min
Sortie : 28 juin 2023
Distributeur : La Vingt-Cinquième Heure
Synopsis :
À seize ans, Marusya est déterminée à en finir avec la vie, comme beaucoup d’adolescent·e·s russes. Puis, elle rencontre l’âme sœur chez un autre millénial du nom de Kimi. Pendant dix années, ils filment l’euphorie et l’anxiété, le bonheur et la misère de leur jeunesse muselée par un régime violent et autocratique au sein d’une "Russie de la Déprime". Un cri du cœur, un hommage à toute une génération réduite au silence. (Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs)
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