"Ibrahim" : Samir Guesmi touche en plein cœur avec ce portrait d’un fils et son père
Sélectionné à Cannes en 2020 et Valois d’or du Festival du film d’Angoulême, le film de Samir Guesmi touche en plein coeur.
C’est la deuxième fois que Samir Guesmi filme les rapports père fils, après son court métrage C’est dimanche il y a onze ans. Le temps a passé, de petits boulots à la petite délinquance, Ibrahim prend la vie en pleine figure, face à un père qu’il trahit. Dans les salles mercredi 16 juin, Ibrahim évoque les frères Dardenne, mais troque les Flandres pour un Paris des mieux filmés.
Observateur
Ibrahim vit avec son père Ahmed (Samir Guesmi), écailler dans une grande brasserie parisienne. Adolescent, il traîne avec Achille, tête brûlée de tous les mauvais coups. Celui-ci l’entraîne dans un larcin raté qui oblige le père d’Ibrahim à payer une grosse somme. Les rapports entre Ahmed et son fils se tendent, mais l’ado est prêt à tout pour effacer sa dette.
Derrière et devant la caméra, Samir Guesmi montre talent et rigueur dans ce premier long métrage. Son Ibrahim évoque un Antoine Doinel entre Les 400 coups et L’Amour à vingt ans de François Truffaut, projeté 65 ans plus tard. Si le propos est plus social que romantique, l’écriture n’en est pas moins romanesque, tant ce père et ce fils touchent juste. Observatrice, la caméra est en retrait pour mieux capter les sentiments, c’est leur épaisseur qui prime.
Les rôles sont l’action
Le film aurait pu se situer en banlieue, mais non, Ibrahim et son père vivent dans une HLM parisienne, et Ahmed a une belle place à Opéra et doit évoluer dans sa fonction. La dignité et la droiture sont ses valeurs cardinales. Quand il doit rembourser un vol de son fils, il pourrait "péter les plombs". C'est tout le contraire. Samir Guesmi filme la tension, les silences du film grondent et tonnent plus que des éclats de voix.
Les ambiances parisiennes rappellent Claude Sautet, même si ce ne sont pas, loin s'en faut, les même lieux, exceptée la brasserie de la place de l'Opéra. Sautet filmait les bourgeois, Guesmi filme les prolos. Achille (Rabah Naït Oufella), qui entraîne Ibrahim dans ses mauvais coups, campe une petite frappe maligne. Débrouillard, sans se mouiller, on croirait le Grand Coquin de Pinocchio. Ahmed et Ibrahim, forment d’ailleurs à leur façon le duo Geppetto et le pantin.
Les rebondissements s’enchaînent avec rythme, servis par des acteurs formidables, dont Samir Guesmi, taiseux et remarquable de dignité. Ses regards fusillent. Philippe Rebbot, dans un rôle trop court mais inattendu, est toujours formidable. L’attention sur les gestes rappelle celle qu'avait Robert Bresson, dans L’Argent (1982) notamment. La précision du cadre et du son les rapproche aussi, avec cette écriture où l’émotion émane des personnages et non de l’action. Sobre et digne, Ibrahim avait fait craquer les sélectionneurs cannois en 2020, il mérite d’avoir les suffrages du public de 2021.
La fiche
Genre : Drame
Réalisateur : Samir Guesmi
Acteurs : Abdel Bendaher, Samir Guesmi, Rabah Naït Oufella, Luàna Bajrami, Philippe Rebbot
Pays : France
Durée : 2h00
Sortie : 23 juin 2021
Distributeur : Le Pacte
Synopsis : La vie du jeune Ibrahim se partage entre son père, Ahmed, écailler à la brasserie du Royal Opéra, sérieux et réservé, et son ami du lycée technique, Achille, plus âgé que lui et spécialiste des mauvais coups. C’est précisément à cause de l’un d’eux que le rêve d’Ahmed de retrouver une dignité se brise lorsqu’il doit régler la note d’un vol commis par son fils et qui a mal tourné. Les rapports se tendent mais Ibrahim décide alors de prendre tous les risques pour réparer sa faute.
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