Toujours détenu en Iran, Jafar Panahi sort "Aucun ours", son nouveau film où il fustige la théocratie
Alors que la révolution monte en Iran dans une explosion de manifestations soumises à une répression brutale, un des cinéastes iraniens majeurs sort un brûlot d’une vivacité étonnante, où il joue son propre rôle.
Tout est dans le titre : Aucun ours, qui sort mercredi 23 novembre, est un film sur la peur. Celle de voir "l’ours" comme un danger pour sa vie, selon l'expression populaire. Jafar Panahi, en prison à Téhéran depuis juillet dernier, affirme qu’il n’y en a "aucun". Il agite dans cette métaphore le chiffon des traditions manipulatrices et du pouvoir répressif, dans une œuvre qui lui a valu un prix spécial du jury à la Mostra de Venise. Formidable.
La créativité contre la peur
Jafar Panahi tourne à distance son nouveau film sur un amour contrarié par l'interdiction d'obtenir un passeport. Dans le village à la frontière de l’Iran et de la Turquie depuis lequel il dirige son film via Internet, Jafar Panahi est le témoin d’une seconde histoire d’amour empêché. La belle Gozal et le rebel Solduz s’aiment, mais la communauté s’y oppose, la jeune femme ayant été promise à Jacob depuis sa naissance. Jusqu'à ce que Panahi soit pris à partie dans le conflit... D'un côté comme de l'autre, politique et tradition s'opposent au bonheur.
S’ouvrant sur une scène urbaine que dirige, par choix, le réalisateur depuis un village isolé à des kilomètres de là, Aucun ours est d’une richesse thématique et formelle inépuisable, une mise en abyme imparable. Panahi filme ses propres moyens de production, tout en dénonçant les raisons qui l’obligent à tourner par écran interposé. A l'époque du tournage, encore libre de mouvement dans son pays mais interdit de filmer, Panahi effectue ce choix pour démontrer qu'il est capable de faire des films en usant d'une parade avant même qu'on la lui impose. C'est lui qui décide. Les traditions, sur lesquelles repose pour beaucoup le discours religieux en Iran, et la politique coercitive exercée dans le pays, sont fondées sur la peur. Jafar Panahi démontre comment il la surmonte dans la créativité.
La chasse aux ours
Pour le réalisateur, le cinéma est une arme contre le pouvoir. La preuve est que l’Etat iranien le combat. Le génie de Panahi vient de l’élégance et de l'humour avec lesquels il réplique à ces attaques. Les deux histoires d’amour qui s’entrelacent dans Aucun ours sont d’un romanesque achevé. Il y adjoint sa flamme pour le cinéma, et elle n’est pas prête de s'éteindre vu son film. Lui n’a pas peur. L’incroyable maîtrise visuelle d’une stupéfiante beauté démontre que les contraintes de tournage elles-mêmes sont aussi des "ours", mais qu'ils peuvent être contournés. Il délivre ainsi un puissant message d'espoir.
Au cœur de la filmographie exceptionnelle de Jafar Panahi, on se souvient entre autres du Cercle (2000) et de Taxi Téhéran (2015), tous deux Ours d’or à Berlin. Le cinéaste fait preuve d’une même exigence dramatique et formelle dans son nouveau film d’un courage méritoire. D’une beauté époustouflante, au moment où le peuple iranien est lui-même parti à la chasse à ces "ours" qu'il dénonce, Aucun ours est un film d'un actualité brûlante, à voir absolument.
La fiche
Genre : Drame
Réalisateur : Jafar Panahi
Acteurs : Jafar Panahi, Naser Hashemi, Vahid Mobasheri
Pays : Iran
Durée : 1h47
Sortie : 23 novembre 2022
Distributeur : ARP Sélection
Synopsis : Dans un village iranien proche de la frontière, un metteur en scène est témoin d’une histoire d’amour tandis qu’il en filme une autre. La tradition et la politique auront-elles raison des deux ?
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