"Irréversible - Inversion intégrale" : Gaspar Noé remonte son film à l'endroit et le transcende
Attention : il ne s'agit pas d'une reprise, mais d'une version totalement remontée qui raconte l'histoire chronologiquement, au lieu de l'exposer à rebours comme à son origine : un autre film, imprévisible.
En compétition à Cannes en 2002, Irréversible avait fait scandale. Monica Bellucci et Vincent Cassel, alors couple iconique du cinéma, y jouaient la victime d’un viol filmé en temps réel, et son vengeur, assisté d’Albert Dupontel. Gaspar Noé avait alors choisi de raconter cette histoire en commençant par la fin pour remonter jusqu’au début. Le réalisateur ressort mercredi 26 août son film dans l’ordre inverse, du début à la fin. Terrible.
Trauma
Au centre du film : le viol. Centre du sujet, il intervient au juste milieu du film. Scène insoutenable, d’un quart d’heure, en plan fixe, caméra face à Monica Bellucci qui, à terre, subit les pires outrages d’une violence inouïe. Accusé de complaisance, voire de voyeurisme, Gaspar Noé montre mieux que tous les discours et témoignages l’horreur d’un acte qui a lieu justement tous les quarts d’heure en France. Il nous met face à lui. Scandaleux ? Non, il inflige au spectateur une prise de conscience. Brutale, sans concession et cinématographique.
Mais il va plus loin. Il développe son récit en montrant le compagnon de la victime prêt à tout pour la venger, au cours d’une nuit qui va le conduire, avec son meilleur ami, à une faute irréparable. Tous subiront les conséquences d’un acte irréversible, sauf le coupable.En remontant son film, Gaspar Noé le rend, non seulement plus explicite, mais aussi plus puissant. Il est désormais focalisé sur le personnage d’Alex (Monica Bellucci), alors que c’était précédemment Marcus (Vincent Cassel) le centre du récit, et ça change tout.
Les pendules à l’heure
Ce revirement, de l'achonologique au chronologique, n’enlève rien aux qualités de la version précédente. Cette nouvelle mouture a simplement le mérite d’être différente, en accord avec la recherche sur le cinéma à laquelle s’est destiné son réalisateur. Il est en cela le digne succésseur d’un Abel Gance qui, dès les débuts du cinéma, s’est consacré à innover pour exploiter toutes les possibilités offertes par ce qui était encore le Cinématographe Lumière. Dans sa version 2002, Gaspar Noé construisait son récit comme Citizen Kane, d’Orson Wells, de la mort d’un homme à sa naissance : à rebours. Cette forme, ambitieuse, obscurcissait son propos, et une remise des pendules à l’heure s’imposait. Comme le scande son réalisateur : "Le temps révèle tout".
Ce temps est celui, enfin, de la reconnaissance des violences faites aux femmes qui occupent l’actualité, et dont Irréversible s’avère le film le plus dénonciateur jamais réalisé. Le propos de Noé n’est pas de provoquer, mais de dénoncer. Il est en cela moral et non moralisateur. Mais ce n’est pas le seul sujet du film. Il se consacre aussi à celui inflexible du désir de se faire justice soi-même, qui va conduire Marcus, le compagnon de la victime, et son meilleur ami Pierre, à tuer un innocent sous l’œil goguenard du coupable. Atroce. Un message lancé par Noé sur une tendance ancestrale et contemporaine, l’auto-justice, assimilable au lynchage, source d’injustice.
Ce n’est pas divulgâcher le film que de le dire, tant l'oeuvre surprend toujours, dans son incroyable actualité, dans ses deux versions, que Carlotta/StudioCanal sort en salles, avant une future double édition DVD/Blu-ray. Un film dur, dont on ressort perturbé, tremblant, mais indispensable.
La fiche
Genre : Drame
Réalisateur : Gaspar Noé
Acteurs : Monica Bellucci, Vincent Cassel, Albert Dupontel, Jo Prestia, Philippe Nahon
Pays : France
Durée : 1h26
Sortie : 26 août 2020
Distributeur : Carlotta Films
Interdit aux moins de 16 ans avec avertissement
Synopsis : Une jeune femme, Alex, se fait violer par un inconnu dans un tunnel. Son compagnon Marcus et son ex-petit ami Pierre décident de faire justice eux-mêmes. La version remontée par Gaspar Noé de son film de 2002.
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