"J'avais envie de faire ce film comme je voulais, sans attendre des années" : Yohann Charrin, réalisateur de "Mise au vert", un premier long-métrage produit hors des circuits traditionnels
Déjà un pied dans le cinéma puisqu'il y travaille depuis vingt ans comme chef opérateur, Yohann Charrin réalise un rêve d'enfant : son premier long-métrage, Mise au vert, une comédie sociale et familiale rafraîchissante campée dans les magnifiques paysages du Vercors, sort dans les salles le 20 septembre. I
Nous le rencontrons dans les locaux Kap films, son distributeur indépendant, à l'image de ce film qui a vu le jour sans passer par les créneaux classiques de la production cinématographique française. Chemise blanche, sourire radieux, un brin fébrile quand même à quelques jours de la sortie du film, il confie à franceinfo Culture les coulisses de cette comédie qu'il a voulu "légère et populaire", tournée en trois semaines avec un petit budget. Un film qu'il a réussi à porter jusque dans les salles grâce à son savoir-faire et à une bonne dose de persévérance, mais aussi grâce à l'aide de tous les passionnés, techniciens, acteurs, distributeur, qui se sont engagés avec lui dans cette joyeuse aventure.
Franceinfo Culture : comment est née l'idée de cette "Mise au vert" ?
Yohann Charrin : ma famille est originaire de Saint-Julien-En-Vercors. Il y a une dizaine d'années, ma mère a hérité d'une petite maison, une bergerie perdue dans la forêt, sans eau, sans électricité et sans personne. Quand elle a hérité, toute la famille a décidé d'y aller en vacances. Elle-même n'y avait pas mis les pieds depuis des années. Quand on est arrivés sur place, il y avait un type, une espèce de marginal, qui avait élu domicile dans la bergerie. Il avait fait un potager, installé des récupérateurs d'eau, bref, il considérait qu'il était chez lui. On a débarqué et on lui a dit, maintenant tu n'es plus chez toi puisque c'est chez nous.
Et donc je me suis dit là, il y a peut-être une histoire à raconter, notamment sur la question de la propriété. Parce qu'en fait, cet homme, il se sentait vraiment chez lui, et ce n'était pas totalement illégitime de sa part. D'autant que nous, on le mettait dehors pour quoi finalement ? Y aller deux fois par an pour faire des pique-niques ? Voilà, c'est ainsi que l'idée du scénario est née.
À l'origine, il y a aussi ce lieu, le Vercors, qui offre des décors magnifiques ?
Oui, le décor est vraiment sympa. C'est une région que je connais bien, j'y passais toutes mes vacances, et encore maintenant, j'y vais avec ma famille. C'est une région où j'ai toujours rêvé de tourner un film, et qui a rarement été montrée au cinéma, sauf pour parler de la Résistance. Mais il me fallait un axe. J'ai donc imaginé cette famille de Parisiens qui arrive dans cette maison et découvre à son arrivée non pas une personne, mais carrément tout un groupe… C'était ça le point de départ du scénario. Et puis j'habite en banlieue parisienne, je suis aussi un peu déraciné, j'ai des enfants ados, donc je me suis pas mal inspiré de mon quotidien.
Mais il y a aussi dans le film une peinture sociale de la ruralité non ?
C'est un endroit où il y a un vrai clivage entre les gens entre guillemets "du cru" et les "néoruraux". Les vieux paysans voient un petit peu d'un mauvais œil tous ces néoruraux qui débarquent, s'installent, cuisinent bio et leur disent comment il faut cultiver sans engrais, alors qu'ils y connaissent rien du tout. Donc ce clivage existe vraiment, et avec ces trois éléments – les Parisiens, les néoruraux et les villageois du cru — j'avais une bonne base pour imaginer des situations drôles et pour faire une comédie. Donc je me suis lancé il y a six ou sept ans déjà dans l'écriture du scénario.
Il aura fallu tout ce temps pour enfin arriver aujourd'hui à ce que le film sorte dans les salles, c'est long non ?
Dans un premier temps, j'ai essayé de produire le film en mode traditionnel, comme on m'avait dit qu'il fallait faire. C'est-à-dire avec des acteurs connus qui permettent d'avoir des financements des chaînes de télévision. Et ça a failli marcher ! J'avais trouvé un producteur, j'avais un casting "bankable", autrement dit des acteurs connus qui s'étaient engagés, bref le film était budgété à 3 millions d'euros et intéressait des gros distributeurs... Mais c'était mon premier film, le producteur n'était pas non plus très expérimenté et donc ça n'a pas suffi à convaincre les chaînes de télévision. Le scénario était jugé pas assez "comédie" ou pas assez "film d'auteur". Ça ne rentrait pas dans les cases.
"En France, les films d'auteur sont rarement des comédies. La production du cinéma, c'est vraiment une machine très verrouillée et je voyais bien que pour que ça se fasse, il allait falloir écrire, réécrire, que ça allait prendre des années avant que je puisse commencer à tourner, et qu'en plus le film ne ressemblerait plus à ce que je voulais faire…"
Yohann CharrinÀ franceinfo Culture
Et moi, justement ce qui m'intéressait, c'était de faire une comédie populaire mais pas non plus un film à gags… Une comédie qui aborde des questions sur le couple, sur la famille, mais aussi des questions sociales, écologiques, en mettant en scène des personnages qui ont des points de vue divergents, avec les préjugés des uns sur les autres, mais tout ça sur un ton léger.
Comment vous y êtes-vous pris pour réussir à mener le projet à bien ?
Je n'avais pas envie de dénaturer mon idée première. J'avais envie de faire ce film comme je voulais, sans attendre des années. Je me suis dit que j'avais des atouts. J'avais le décor, déjà. Ensuite, en tant que chef opérateur, j'avais plein d'amis techniciens, donc j'avais mon équipe technique. J'avais aussi des amis comédiens qui sont très bons, et qui étaient prêts à me suivre. C'était l'occasion de leur offrir un premier rôle. Alors voilà, j'ai créé ma société et je me suis lancé dans la production du film. Ensuite j'ai trouvé un associé, Yohann Zweig, qui a beaucoup investi sur le film, et qui est aussi le compositeur de la bande originale.
"À défaut d'avoir le budget des autres films, je me suis entouré de gens passionnés, comédiens et techniciens, investis à chaque poste."
Yohann Charrinà franceinfo Culture
Vous avez tourné en un temps record, entre deux confinements, pendant l'été 2020, ça n'a pas été trop compliqué ?
Non, au contraire. Comme ils étaient enfermés depuis des semaines, quand je leur ai dit vous allez être mal payés mais je vous propose de passer un mois dans le Vercors, au vert, pour tourner le film, ils étaient trop contents de venir !
C'était un tournage court, serré. On a tout tourné en 18 jours. Il se trouve que je sais tourner comme ça parce que j'ai fait beaucoup de courts-métrages en tant que technicien, et que je n'ai jamais vraiment fait des films dans le confort. Donc je sais travailler avec peu de moyens, et ça s'est hyper bien passé. Et puis c'est aussi le décor qui nous a permis de faire le film dans cette économie-là. Si j'avais dû tourner à Paris, avec plusieurs décors, ça aurait été beaucoup plus compliqué. Ce huis clos dans le Vercors, c'était parfait. J'avais d'autres scénarios dans mes cartons, mais j'ai été un peu opportuniste sur ce coup-là !
Mais le parcours du combattant n'était pas encore terminé…
Non parce que c'est après que c'est devenu plus compliqué, pour la postproduction et pour trouver un distributeur. Le film a été projeté dans des festivals et il plaisait bien, mais c'était en 2021, les cinémas avaient été fermés pendant 6, 8 mois, et donc tous les distributeurs étaient acculés. Ils avaient je ne sais combien de films dans sur les étagères à sortir et ils n'avaient pas vraiment envie de prendre des risques…
Mais vous en avez trouvé un ?
Oui, KapFilms. Je dois remercier Arnaud Kerneguez, qui est un distributeur indépendant, amoureux du cinéma, qui a l'habitude de prendre des risques.
"Pour moi c'était primordial que le film sorte en salles. J'ai voulu réaliser un film populaire et familial dans le bon sens du terme. C'est un film qui s'adresse aux enfants, aux ados, aux adultes, un film à voir en famille, dans un moment de partage. Et ça, c'est au cinéma que cela peut se faire."
Yohann Charrinà franceinfo Culture
Et puis j'ai quand même filmé pour le grand écran, avec des plans très larges pour montrer les paysages du Vercors, et aussi quelques plans réalisés au drone, sans excès parce que je trouve qu'on en voit un peu trop un peu partout maintenant. Et donc c'est quand même mieux de voir tout ça dans une salle sur un écran panoramique. Mais attention ce n'est pas un documentaire sur le Vercors non plus ! Cela ne m'empêche pas d'espérer que le film sera acheté par la télévision et qu'il aura une seconde vie.
Le film sort mercredi dans les salles, qu'est-ce que vous ressentez, qu'est-ce que vous allez faire le jour de la sortie ?
C'est un peu angoissant quand même. On ne sait pas jusqu'à trois jours avant la sortie dans combien de salles le film sera projeté, et on ne sait pas non plus pour combien de temps, tout se joue la première semaine… Donc le 20 septembre je crois que je ne résisterai pas à l'envie d'aller me faufiler dans une salle pour voir la réaction des spectateurs. Et comme tous ceux qui réalisent des films j'attendrai avec anxiété le soir pour connaître les chiffres. Mais quoi qu'il arrive, je suis content parce que je suis arrivé au but que je m'étais fixé. Le film sort en salles. Pour moi c'est un rêve d'enfant qui se réalise, et c'est une belle histoire pour tout le monde, qui finit bien !
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