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"Je ne suis pas un salaud" : Nicolas Duvauchelle sur un fil

Pour son troisième long métrage, Emmmanuel Finkiel nous conte l'histoire d'un mec qui perd pied, prix de la mise en scène et du meilleur acteur au festival du film d'Angoulême. Un drame d'une intensité rare.
Article rédigé par franceinfo
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Nicolas Duvauchelle dans "Je ne suis pa sun salaud"
 (Bac Films)

C’est l’histoire d’un mec qui vacille. Qui dérive. L’histoire d’un mec qui déraille. Celle d’Eddie (Nicolas Duvauchelle). Un mec comme un autre, qui galère un peu. Il vient de traverser une période difficile. N’a plus de boulot. S’est séparé de sa compagne, Karine (Mélanie Thierry), qui vit seul avec le petit. Eddie veut s’en sortir, se réinsérer et les retrouver. Mais les vieux démons reviennent. Inlassablement. Les femmes. La boisson. Sa fureur.
 
Un soir, alors qu’il quitte un bar miteux accompagné d’une très jeune femme, il croise un groupe de jeunes. La situation dégénère. Il est frappé. Tombe. Reçoit les injures, les crachats. Se relève une première fois. Refuse de calmer le jeu. Et puis, des coups de tournevis. Eddie tombe encore. Pour ne se relever, cette fois, que quelques jours plus tard, à l’hôpital.

Coupable idéal

C’est Karine et Noam, son fils, qui viendront l’y chercher. C’est avec eux, chez eux, qu’il passera sa convalescence. Il va même retrouver un petit boulot et accepte de témoigner pour la police. Au cours de l’identification, il désigne Ahmed, un jeune homme qu’il avait aperçu quelques jours avant son agression. Le coupable idéal.
  (Bac Films)

Mais celui-ci affirme qu’il n’a rien à voir avec cette affaire. En CDI depuis quelque temps, c’est plutôt le gamin sans histoire. Eddie s’est sans doute trompé mais a bien du mal à le reconnaître. Pourtant, il suffirait d’un mot pour que tout ça cesse. Un geste pour stopper la spirale infernale dans laquelle il s’est embarqué. Mais ce mot, Eddie ne le prononcera jamais. Ce geste, il ne le fera jamais. Et ce n’est sans doute pas un hasard si Eddie désigne Ahmed. Il est son exact opposé. S'il a connu au départ des difficultés similaires, lui, s’en est sorti.

Frustation

Eddie est un homme frustré, désespéré par sa condition sociale. Qui aspire à mieux que ce petit job offert par un type qui ne veut rien d’autre en réalité que sa compagne. Et devant les vitrines, les miroirs de son domicile ou les vitres de sa cité, il ne cessera de croiser son reflet. D’être confronté à sa propre condition et à ce carcan social qui l’enferme. C’est une glaçante chronique d’un malaise bien plus large que celui d’Eddie que film en réalité Emmanuel Finkiel. Un malaise français presque.
 
Simplement le troisième long métrage du réalisateur après "Voyages" en 1999, sur une survivante de la Shoah et "Nulle part, terre promise" (2009), pamphlet sur l’Europe néolibérale. Avec ce drame social, inspiré d’une histoire vraie arrivée à un de ses potes, le réalisateur signe surtout une réflexion sans concession sur notre société. Ces cités. Ces petites gens "qui rament pour un salaire minable et qui font leur courses le dimanche comme des blaireaux".
Nicolas Duvauchelle, "Je ne suis pas un salaud"
 (Bac Films)

Parce que de toute façon, ils n’ont pas grand-chose à faire d’autres. Et comme ses précédentes réalisations, en prenant le soin de tirer plusieurs fils à la fois, le cinéaste parle surtout de l'identité, par rapport à l'autre. Celle d'un Nicolas Duvauchelle, éblouissant, à la limite de l'implosion et perpétuellement contrarié. Ce "cercle du désir", comme l'écrivait Lucrèce, dans lequel est enfermé Eddie. Cette insatisfaction qui le constitue. Il retrouve sa famille, un boulot, comme il le souhaitait mais s'ennuie et ne vas pas tarder à sombrer à nouveau. Une chute que Finkiel filme à la façon documentaire.

Animal

Ce que cherche le cinéaste, c'est l'impression de vérité. Cette épaisseur que l'on retrouve dans la réalité de nos vies. Et c'est une réussite. Pas de maquilleurs ou de coiffeurs sur un tournage qui s'est fait à la vitesse de la lumière. Mais simplement des acteurs qui se livrent entièrement. Mélanie Thierry est sublime. Sublime de sincérité. De générosité.
Mélanie Thierry dans "Je ne suis pas un salaud"
 (Bac Films)

Quant à Nicolas Duvauchelle, il livre sans doute là l'une de ses meilleures prestations. Animal, instinctif, les yeux cerclés, la mine cafardeuse, toujours sur un fil. Il fait peine à voir. Un pauvre type sur qui le réalisateur ne porte jamais de regard condescendant. Il le filme. Simplement. À hauteur d'homme. À hauteur d'âme. Comment ne pas alors penser à "La Loi du marché" où Stéphane Brizé ne quittait pas la nuque de Lindon, pour une œuvre aux thématiques similaires ?
 
L'image est pleine. Pleine de matière. Pleine du visage de Duvauchelle qui devient le vrai décor du film. Les gros plans remplacent les dialogues. Les rendent parfois même superflus. Et on sent ce personnage, totalement détaché du reste du monde, resté dans le flou. Tout ça enrobé par l'électro anxiogène composée par Chloé Thévenin. De plus en plus présente à mesure que le héros perd pied. Un héros qui glisse mais qui reste fier, jusqu'au bout. 

LA FICHE

Drame d'Emmanuel Finkiel - Avec Nicolas Duvauchelle, Mélanie Thierry et Maryne Cayon. Durée : 1h51. Sortie le 24 février 2016.
Synopsis : Lorsqu’il est violemment agressé dans la rue, Eddie désigne à tort Ahmed, coupable idéal qu’il avait aperçu quelques jours avant son agression. Alors que la machine judiciaire s’emballe pour Ahmed, Eddie tente de se relever auprès de sa femme et de son fils et grâce à un nouveau travail. Mais bientôt conscient de la gravité de son geste, Eddie va tout faire pour rétablir sa vérité. Quitte à tout perdre…



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