"Je voulais que ce soit un parcours de résilience lumineux" : six questions à Alice Winocour, réalisatrice de "Revoir Paris"
Ce film dramatique, inspiré des attentats du 13 novembre 2015, suit la reconstruction du personnage de Mia dans un Paris meurtri. Rencontre avec la réalisatrice, Alice Winocour.
Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs lors du dernier Festival de Cannes, le film Revoir Paris, inspiré des attentats du 13 novembre 2015, avec dans les premiers rôles Virginie Efira et Benoît Magimel, sort mercredi 7 septembre dans les salles. Nous avons rencontré sa réalisatrice Alice Winocour, qui nous fait part de sa conception du film.
Franceinfo Culture : Comment est née l’idée de ce film ?
Alice Winocour : Il s’inspire des souvenirs que j’ai de cette nuit particulière : celle du 13 novembre 2015, des attentats du Bataclan et des terrasses. Il se trouve que cette nuit était très spéciale pour moi parce que mon petit frère était dans le Bataclan... Il a survécu. J’ai observé comment la mémoire construisait et déconstruisait les événements. Et après, ça s’est imposé tout de suite à moi que le film ne devait pas représenter vraiment ces attentats, qu’il y a quelque chose d’irreprésentable dans un attentat. L’objectif était de décaler les choses dans la fiction et de raconter l’histoire d’un attentat qui n’a pas existé. Il y a eu ce travail d’enquête aussi que j’ai fait parce que grâce à mon frère, j’ai pu rencontrer beaucoup de survivants, beaucoup de psychiatres du post-trauma. C’était une sorte d’allers-retours entre ces témoignages et l’histoire que j’ai construite, celle de cette femme qui cherche la main de l’homme qu’elle a perdu, en tout cas de celui qui lui a tenu la main pendant l’attaque.
Pourquoi ce titre : “Revoir Paris” ?
Paris, c’est vraiment un personnage du film parce que j’ai l’impression que cette ville est blessée dans sa chair. On l’a tous senti en tant que Parisien. On n'a pas besoin d’avoir quelqu’un dans sa famille pour avoir été touché par ces attaques. Pour moi, il y a ce lieu et il y a ce personnage qui se promène dans la ville, qui reconfigure sa vie à son insu et qui voit la ville avec de nouveaux yeux parce que c’est une nouvelle personne. Ce qui m’intéressait c’était vraiment les traces que laisse un évènement traumatique et à quel point on regarde les choses différemment ensuite.
Comment décririez-vous votre film ?
C’est un film de rencontres. Je voulais que cela soit un parcours de résilience lumineux, que le film soit paradoxalement très doux sur cette femme qui se reconstruit. Mais aussi montrer à quel point c’est compliqué et long de se reconstruire. C’est aussi un film d’enquête où elle cherche cette personne qui l’a aidée à survivre. Ce n’est pas simplement un récit d’une destinée personnelle, c’est aussi un film choral où il y a la mémoire de ce personnage joué par Virginie Efira, mais aussi beaucoup d’autres mémoires, celles de tous les gens qu’elle rencontre, qui racontent chacun sa nuit, comment ils l’ont vécue.
Pour moi, c’était important que le film soit choral parce que je voulais aussi rendre hommage à ce qui m’a vraiment fasciné en découvrant les forums de victimes, les témoignages... C’était le fait qu’il y avait une communauté extrêmement soudée, des gens qui voulaient se reconstruire, avec cette idée qu’on ne peut pas se reconstruire tout seul. Je trouvais ça assez fascinant ces gens qui cherchaient les personnes qui leur avaient souri une fraction de seconde pendant l’attaque ou qu’ils avaient croisés. Ils voulaient prendre des nouvelles d'eux et savoir s’ils allaient bien. Ils voulaient même, pour certains, retourner sur les lieux des attaques.
Il y a beaucoup d’humanité dans ce long-métrage...
Je voulais raconter une histoire romanesque et qu’exalte justement cette chaleur humaine. Dans les situations de barbarie ou de terrorisme, il y a des choses abominables et en même temps il y a des regards, des mains tendues, des choses extrêmement fragiles qui maintiennent à la communauté humaine. Il y a cette idée qu’on fait malgré tout société et c’est ça qu’exaltait le film. Dans un climat justement où les terroristes veulent semer la peur, c’est vraiment un film sur le lien et la chaleur humaine, ce que les terroristes veulent détruire et qui n’ont pas détruit et qui ne détruiront jamais. C’est ça qui m’a touché dans ces parcours. Ce n’est pas qu’il y a une obligation au parcours de résilience mais en tout cas moi je voulais regarder ça comme ce qu’on appelle le diamant dans le trauma dont on parle dans le film.
C’est-à-dire derrière un événement traumatique quelqu’il soit – il se trouve que dans le film c’est un attentat - il y a des histoires d’amitié, des histoires d’amour, des gens qui ne se seraient pas rencontrés sans cet évènement abominable. Ça met en contact des gens qui viennent de mondes et de classes sociales extrêmement différents. Alors qu’on est tous emprisonnés dans nos classes et dans nos mondes, ça écrase les barrières sociales. On est tous égaux devant la mort et quand on a fait cette expérience de la mort à côté de quelqu’un, on est liés à vie.
Les personnages principaux de Mia et Thomas se rapprochent “grâce” à leurs blessures...
Pour moi, l’essence de l’amour, c’est la reconnaissance de blessures communes et le fait de soigner ensemble. J’ai eu beaucoup de chance de travailler avec Virginie Efira et Benoît Magimel qui sont des acteurs qui provoquent énormément d’empathie, qui sont très humains. Il y a quelque chose de très fort d’organiser leur rencontre parce qu’ils n'avaient jamais tourné ensemble.
Mia devient une nouvelle personne après cette attaque...
Indépendamment de la reconstitution de ce puzzle, de cette nuit traumatique, elle reconfigure complètement sa vie sans s’en rendre compte. Toute proportion gardée, c’est quelque chose qu’on a pu expérimenter aussi pendant le Covid. Quand on prend de la distance avec sa vie, on se demande si on a fait les bons choix. Et encore une fois, les gens qui ont frôlé la mort se posent beaucoup la question du bonheur. Pour moi c’était important de montrer que c’est une femme libre et qu’elle a aussi des attributs qu’on pourrait qualifier de masculins où elle est sur sa moto, elle sillonne la ville, une forme de grande liberté. C’est ça que j’aimais bien chez la comédienne Virginie Efira, qu’elle porte cette liberté en elle et cette force. Moi j’aime bien les personnages féminins forts.
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