"L'Affaire Nevenka" : la cinéaste espagnole Icíar Bollaín signe un film méthodique sur l'emprise et le harcèlement sexuel

Icíar Bollaín ainsi que ses comédiens Mireia Oriol et Urko Olazabal réussissent avec brio à retranscrire des mécanismes pernicieux, toujours difficiles à rendre tangibles.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
Les comédiens Mireia Oriol, à droite, et Urko Olazabal dans une scène du film "L'Affaire Nevenka". (EPICENTRE FILMS)

Le harcèlement sexuel est une question de pouvoir. La réalisatrice espagnole Icíar Bollaín le démontre encore une fois dans L'Affaire Nevenka, en salles le 6 novembre 2024. Le film est inspiré du drame vécu par l'Espagnole Nevenka Fernández qui finira par intenter un procès retentissant à son bourreau, Ismael Alvarez, le maire de Ponferrada, en Espagne. C'est le premier cas de #MeToo politique dans ce pays, rappelle l'affiche du film.

À la fin des années 1990, une belle carrière s'annonce pour la jeune Nevenka Fernández (Mireia Oriol) quand elle est contactée par le charismatique et populaire Ismael Alvarez (Urko Olazabal), pour rejoindre son conseil municipal. La jeune femme de 25 ans est appréciée par l'édile qui finit par succomber au charme de sa jeune recrue. Le coup de foudre n'est pas mutuel, mais Nevenka cède à Ismael qui est pressant. Cependant, la jeune femme met très vite un terme à leur nouvelle relation. C'est le début de son calvaire. La cinéaste Icíar Bollaín reconstitue le parcours éprouvant de la jeune conseillère municipale avec des images du passé qui s'entrechoquent avec celles du présent.

Une mécanique implacable s'abat sur Nevenka quand elle décide de ne plus faire les quatre volontés de son ex-amant. Il l'humilie devant ses collègues, la traite d'"hystérique" – le terme est lâché –, va même jusqu'à la frapper avec des documents qu'il tient à la main lors d'un conseil municipal.

Nevenka est acculée, mais surtout très seule. Ses parents, qui font des affaires avec la mairie, font la sourde oreille. Quand elle finit par avouer qu'elle est sortie avec Ismael Alvarez à sa mère, cette dernière lui lance qu'elle l'avait prévenu : Ismael est "un coureur de jupons".

Franchir le mur de la solitude

Icíar Bollaín signe une mise en scène minutieuse pour montrer l'évolution du verbe d'Ismael qui se fait de plus en plus violent envers Nevenka. Elle filme les "non" de la jeune femme à des moments charnière de son récit. À l'écran, on voit Nevenka dépérir. Le regard de la jeune femme se fait hagard, fuyant : la caméra s'appesantit sur son attitude corporelle, sur ses mains qu'elle triture ou quand elle tente de disparaître au milieu d'une pièce. Elle se retrouve bientôt aux portes de la folie, persuadée qu'elle n'a aucune chance de convaincre les autres qu'elle est harcelée par son puissant ex-amant.

La réalisatrice espagnole illustre, par petites touches, les stratagèmes du maire, forcément manipulateur, mais surtout très conscient de l'emprise qu'il a sur sa victime. Les comédiens Mireia Oriol et Urko Olazabal livrent avec virtuosité leur partition quand la cinéaste espagnole rend perceptible, de façon graduelle, les mécanismes souvent indicibles et indescriptibles d'un drame, devenu cas d'école. En Espagne, ce type d'affaire est désormais pris au sérieux, contrairement au vécu de Nevenka Fernández. Le sexisme dont l'accusation fera preuve lors du procès de la jeune femme ne saurait être aujourd'hui toléré dans le pays.

Témoignage salvateur

"Je suis Nevenka", clame la jeune femme face à son agresseur, et d'une certaine manière face à la société. Pour préserver sa "dignité", Nevenka Fernández rendra son affaire publique et la portera en justice pour qu'on ne lui fasse pas, à elle, un procès en "incompétence". Les conséquences seront lourdes pour la jeune femme, forcée à l'exil pour retrouver une vie professionnelle.

Le film que lui consacre Icíar Bollaín est une nouvelle preuve de la nécessité d'un témoignage salvateur. À l'instar d'autres, encore aujourd'hui, l'Espagnole a pris la parole pour dire sa vérité et surtout riposter.

L'affiche du film "L'Affaire Nevenka", en salles le 6 novembre 2024. (EPICENTRE FILMS)

La fiche

Genre : Drame, Biopic
Cinéaste : Icíar Bollaín
Distribution : Mireia Oriol, Urko Olazabal et Ricardo Gómez
Pays : Espagne
Durée : 1h57
Sortie : 6 novembre 2024
Distributeur : Epicentre Films

Synopsis : À la fin des années 1990, Nevenka Fernández, est élue à 25 ans conseillère municipale auprès du maire de Ponferrada, le charismatique et populaire Ismael Alvarez. C'est le début d'une descente aux enfers pour Nevenka, manipulée et harcelée pendant des mois par le maire. Pour s'en sortir, elle décide de dénoncer ses agissements et lui intente un procès. Inspiré de faits réels, L'Affaire Nevenka révèle le premier cas de #MeToo politique en Espagne.

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