"L'Autre côté de l'espoir" : Aki Kaurismaki filme pour la 2e fois les migrants
Au charbon
Rares sont les cinéastes finlandais. Aki Kaurismaki est parvenu depuis les années 1980 à imposer dans le paysage cinématographique mondial une singularité de ton, tant dans le choix de ses sujets, à dominante sociale, et de traitement, tout en référence à Chaplin et à son héritier Tati. S’il se retire des écrans comme il l’a annoncé à la dernière berlinale, où il a obtenu l’Ours d’argent du meilleur réalisateur pour "L'Autre côté de l'espoir", cela serait non seulement paradoxal par rapport à une telle reconnaissance, mais une grande perte. Espérons que cela soit une décision impulsive, sans lendemain. Il y en a eu d’autres.D’autant que "L'Autre côté de l'espoir" s’annonçait comme la deuxième partie d’un triptyque consacrée à la question migratoire en Europe, après "Le Havre" (2011), qui risque de ne jamais avoir de conclusion. Et que Kaurismaki est le seul à traiter à chaud un sujet majeur de la politique européenne, une question humanitaire prioritaire. Comme son film précédent, "L'Autre côté de l'espoir" s’ouvre sur une rencontre, ici celle d’un jeune syrien qui émerge d’un tas de charbon dans un bateau amarré à Helsinki, avec un cinquantenaire qui décide de donner un nouveau tournant à sa vie. Deux films, deux ports, deux personnalités en rupture de ban. Dans un Helsinki nocturne, dont Kaurismaki n’hésite pas à dire qu’il faut vraiment être acculé aux dernières extrémités pour la choisir comme destination. Mais, comme dans "Le Havre", à mauvaise fortune, bon cœur.
Rythme musical
Le cinéaste finlandais réitère son discours humaniste en prônant les valeurs de solidarité, sans jamais tenir un discours pontifiant, militant, ou en se positionnant en donneur de leçon. Il fait appel au bon sens, en revenant aux fondamentaux, à travers une fable, un style dans lequel il est passé maître. Avec des rôles emblématiques, sans être des archétypes, projetés dans une problématique contemporaine, son humour bienveillant, tendre, valorise ses personnages confrontés à des situations désespérées. Si l’humour est la politesse du désespoir, le cinéma de Kaurusmaki est celle qui dénonce le cynisme des puissants à l’égard des plus démunis, en l’occurrence des réfugiés expulsés de leurs pays par l’oppression, la famine et la guerre. Il est ainsi le digne continuateur du réalisateur du "Kid" et des "Lumières de la ville", dont le cheval de bataille était la pauvreté et la misère.Kaurismaki fait usage d’un humour subversif, dénonciateur des usages en vigueur dans les politiques occidentales, de plus en plus repliées sur elles-mêmes, comme le démontre la résurgence des nationalismes de tous bords, en Europe, en Russie et aux Etats-Unis. Des relents liés aux plus sombres pages de l’histoire du XXe siècle, et dont on ne retient décidément pas les leçons. En choisissant le cinéma pour le rappeler, il opte pour une forme bien à lui, où l’image renvoie à un réalisme poétique, un onirisme réaliste. Son rythme prend le temps, en rupture avec la frénésie en vogue, plaqué sur une musique aux frontières floues du blues, du jazz, de la country et du rock qui évoque un improbable Johnny Cash européen. On verrait bien à ce titre Aki Kaurismaki à la tête d’une comédie musicale. Une idée pour lui donner envie de ne pas quitter une caméra qui lui va si bien ?
LA FICHE
Comédie dramatique d'Aki Kaurusmaki (Finlande) - Avec : Sherwan Haji, Sakari Kuosmanen, Ilkka Koivula, Janne Hyytiäinen, Nuppu Koivu, Simon Al-Bazoon, Tommi Korpela, Kati Outinen - Durée : 1h38 - Sortie: 15 mars 2017
Synopsis : Helsinki. Deux destins qui se croisent. Wikhström, la cinquantaine, décide de changer de vie en quittant sa femme alcoolique et son travail de représentant de commerce pour ouvrir un restaurant. Khaled est quant à lui un jeune réfugié syrien, échoué dans la capitale par accident. Il voit sa demande d’asile rejetée mais décide de rester malgré tout. Un soir, Wikhström le trouve dans la cour de son restaurant. Touché par le jeune homme, il décide de le prendre sous son aile.
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