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"L'Echiquier du vent", étrange film iranien interdit depuis 1979, entre Satyajit Ray et Luis Buñuel : sublime

La résurrection de cet étonnant film de Mohammad Reza Aslani, cinéaste documentariste, expérimental et poète, est une perle noire et venimeuse sortie enfin de son cercueil : une révélation.

Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 3min
Fakhri Khorvash dans "L'Echiquier du vent" de Mohammad Reza Aslani (1976). (CARLOTTA FILMS)

Retrouvé aux fins fonds d’un gourbi, puis restauré méticuleusement, L'Echiquier du vent arrive sur les écrans mercredi 18 août dans une version somptueuse. Étonnant film de genre pour Mohammad Reza Aslani, cinéaste documentariste expérimental et poète, qui signe une perle noire. Gothique, il évoque les Gialli (thrillers italiens) de Mario Bava et de Riccardo Fredda des années 60, dans une veine contemplative. Interdit en 1979 par les mollahs pour irrévérence religieuse, L'Echiquier du vent balaye tout sur son passage.

Gothique

Dans les années 1920, riche orfèvre iranien, Haji Amou, traditionaliste, ne pense qu’à l’héritage de son épouse qui vient de mourir. Mais ce dernier est légué à sa belle-fille, qu'il préférerait voir morte. Ses deux neveux qu'il héberge, ne sont pas mieux lotis, dans cette grande maison bourgeoise où l’héritière se déplace en fauteuil roulant, aidée d’une servante qui la complaît dans un monde surnaturel. Rancune et vengeance vont fomenter une série de crimes violents, avec comme dénominateur commun l'appât du gain.

Gothique, L'Echiquier du vent en a toutes les vertus avec des images splendides, aux décors somptueux, et interprété par des acteurs qui semblent jouer un cérémonial nocturne. On se croirait chez Ann Radcliffe, qui collabora au roman noir, dit terrifiant, de la fin du XVIIIe siècle anglais. Un surnaturel rationalisé qui donne la priorité aux ambiances lugubres et à l'outrance des sentiments, dans un délire macabre dont les surréalistes étaient grands amateurs.

Charia

La mort hante L’Echiquier du vent, qui commence comme un film de Satyajit Ray (Le Salon de musique), verse dans le mélodrame (Grifith), puis le fantastique (Bava). Les atmosphères ténébreuses sont traversées d'harmonies colorées dignes d'une toile. La dernière partie du film se déroule dans des tons orange (vitalité) et violet (mort), des couleurs complémentaires au rare impact visuel. Des myriades d'ampoules et de bougies baignent tout le film d'ambre mystique. Splendide.

Shohreh Aghdashloo dans "L'Exhiquier du vent" de Mohammad Reza Aslani (1976). (CARLOTTA FILMS)

A la réalisation, Reza Aslani prend le temps de chaque geste, et compose sa bande-son avec le soin d'un Robert Bresson, qu'accompagne une musique étrange et dérangeante. Le choeur antique des lavandières ponctue et commente l'histoire. Conte, dont la morale coranique est donnée dès l'introduction, L'Echiquier du vent a été interdit en 1979 en Iran et dans le monde. L'hypocrisie qu'il dénonce chez un homme pieu et prêt à tuer pour faire fortune, est inacceptable aux yeux d'un nouveau régime qui applique la charia (loi coranique). Les retrouvailles inespérées avec L'Echiquier du vent comblent un grand vide dans la connaissance d'un cinéma iranien plein de surprises. Un joyau !

L'affiche de "L'Echiquier du vent" de Mohammad Reza Aslani (1976). (CARLOTTA FILMS)

La fiche

Genre : Drame 
Réalisateur : Mohammad Reza Aslani
Acteurs : Fakhri Khorvash, Mohamad Ali Keshavarz, Akbar Zanjanpour
Pays : Iran
Durée : 1h55
Sortie : 18 août 2021
Distributeur : Carlotta Films

Synopsis : Suite à la mort de son épouse, Haji Amou, un commerçant traditionaliste, patriarcal et corrompu, projette de se débarrasser de sa belle-fille, Petite Dame, héritière en titre de la fortune et de la belle maison luxueuse dans laquelle ils vivent. Cette femme émancipée et moderne est paralysée et ne peut se déplacer qu’en fauteuil roulant. Pour faire face au complot formenté par son beau-père, elle se fait aider par sa servante, ignorant que celle-ci joue sur les deux tableaux... 

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