"L'Infirmière" : thriller chirurgical sur une femme brisée par la tempête médiatique
Le réalisateur japonais Kôji Fukada poursuit son art de l'ambiguïté dans un thriller feutré dont il a le secret.
A l’heure d'une reconnaissance accrue des professionnels de santé suite à la crise du coronavirus, L'Infirmière de Kôji Fukada rencontre involontairement l’actualité, le film ayant été réalisé avant la pandémie. On peut ainsi l’interpréter à posteriori comme une parabole sur les persécutions dont ont été victimes plusieurs soignants au pic de l'épidémie.
Le réalisateur du formidable Harmonium (2016) est proche de son compatriote Kiyoshi Kurosawa (Kairo, Shokuzaï, Creepy) : leurs films, entre rationalité et surnaturel, objectivité et subjectivité, sont habités de protagonistes aux personnalités ambivalentes, prêtant à interprétations.
Thriller subtil
A la quarantaine, Ichiko est une infirmière à domicile dévouée et appréciée. Quand la fille d’une de ses clientes est enlevée, elle se voit soupçonnée de complicité, et harcelée par les médias. Elle reconstitue l’engrenage des situations l'ayant menée à subir cette discrimination. Partagée entre le désir de révéler des secrets nuisibles à son entourage, et le besoin de se disculbaliser, elle n'en devient que plus suspecte.Ce court résumé suggère seulement la subtilité de l’intrigue qu’écrit et filme Kôji Fukada. Avec lui, pas besoin de six épisodes d’une quelconque série pour prouver que le cinéma, en 1h44, sait creuser la psychologie des personnages et maintenir en haleine jusqu’à la fin. Si l’on peut qualifier L’Infirmière de thriller, pas de poursuites tonitruantes, ni de fusillades pour pimenter le récit. Seulement l’histoire d’une femme bouleversée par des circonstances navrantes.
Mystères
Histoire de vengeances à tiroirs, pas question de donner les détails du récit, au risque de divulguer les mystères et zones d’ombre de L’Infirmière. Mariko Tsuitsui, dans le rôle-titre, est remarquable de sobriété. Construit tout en flashs backs, l'infirmière Ichiko revient sur le drame de sa vie, après s'être changée de tête chez le coiffeur, en s'inpirant de la coupe de cheveux de la jeune femme qui a fait basculer sa vie dans un cauchemar. Cette identification entretient l’ambiguïté au coeur du personnage. Une ressemblance inventée qui reprend un thème récurrent chez Fukada, que l'on peut interpréter ici comme sa culpabilité retournée contre sa rivale. De manipulée, elle devient manipulatrice, mais est-elle coupable ou victime ?
Comme dans ses films précédents, Kôji Fukada nous entraîne sur des pistes multiples aux différents niveaux de lecture, du simple thriller au portrait psychologique. Le film noir, dont relève L'Infirmière, repose sur le mystère, et des personnages lambda projetés dans des circonstances exceptionnelles qui les révèlent à eux-mêmes. L’Infirmière répond à ce schéma en l’adaptant à un quotidien trompeur qui estompe l'action, mais exalte les émotions.
L'attachante et dévouée Ichiko devient de plus en plus opaque, suggère la paranoïa, voire la schizophrénie, dans un film à l’apparente simplicité, mais aux prolongements complexes. L’Infirmière confirme que Kôji Fukada est un cinéaste majeur, d’une discrétion vertigineuse, toute nippone.
La fiche
Genre : Thriller
Réalisateur : Kôji Fukada
Acteurs : Mariko Tsutsui, Mikako Ichikawa, Sosuke Ikematsu
Pays : Japon
Durée : 1h44
Sortie : 5 août 2020
Distributeur : Art House
Synopsis : Ichiko est infirmière à domicile. Elle travaille au sein d'une famille qui la considère depuis toujours comme un membre à part entière. Mais lorsque la cadette de la famille disparaît, Ichiko se trouve suspectée de complicité d'enlèvement. En retraçant la chaîne des événements, un trouble grandit : est-elle coupable ? Qui est-elle vraiment ?
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