"La Petite" de Guillaume Nicloux : Fabrice Luchini à contre-emploi dans un rôle de grand-père attendrissant sur fond de GPA
Après Gérard Depardieu et Michel Houellebecq, Guillaume Nicloux s'attaque à un autre monument indomptable, Fabrice Luchini, qu'il parvient à faire sortir de sa zone de confort dans un rôle de grand-père persévérant, attentionné et touchant. La Petite sort dans les salles le 20 septembre.
Joseph (Fabrice Luchini) met un dernier coup de polish à un meuble qu'il vient de terminer quand un coup de téléphone lui annonce la mort de son fils dans un accident d'avion. À l'aéroport, où il se rend avec sa fille (Maud Wyler), il croise les parents du compagnon de son fils, prêts à en découdre pour demander réparation pour la perte de leur fils.
Joseph n'en a cure. Il n'a jamais beaucoup apprécié ni son gendre ni ses parents. Sous le choc, il n'a qu'une préoccupation : le bébé que le couple a mis en route via la GPA, et qui est en train de grandir quelque part en Belgique dans le ventre d'une jeune mère porteuse. Dès lors, le sexagénaire, veuf, met tout en œuvre pour s'assurer que cet enfant ne sera pas abandonné…
Gestation pour autrui
Sans doute pour surmonter deux deuils, celui de sa femme, puis celui de son fils, qu'il n'a pas su aimer comme il aurait voulu, Joseph considère l'enfant à venir comme sa descendance, et il en fait une obsession. Quelle que soit la manière dont il a été conçu, et dont il va naître, il est prêt à tout pour le récupérer (y compris à danser la chenille dans un bal belge).
Joseph se rapproche de la jeune mère porteuse, Rita (Mara Taquin) et à force de persévérance, parvient à amadouer cette jeune femme au tempérament fougueux, à tisser des liens avec elle et avec sa fille qu'elle élève seule.
Après l'ovni Thalasso (2019), Guillaume Nicloux revient avec un long-métrage de facture plus classique, un drame familial qui aborde avec sérieux le sujet de la filiation dans le contexte d'une GPA (gestation pour autrui) mise en œuvre par un couple d'homosexuels.
À travers ce drame, le réalisateur met en scène toutes les questions soulevées par cette pratique, interdite en France, tolérée en Belgique dans certaines conditions, mais souvent pratiquée de manière illégale, comme c'est le cas pour les deux personnages du film.
"Qu'est-ce qu'on fait ?"
Avec cette adaptation libre du roman de l'écrivaine et scénariste Fanny Chesnel, Le Berceau (Flammarion, 2018), Guillaume Nicloux s'empare du sujet non pas comme une question technique, ou morale — et c'est tout l'intérêt du film — mais par le prisme de l'humain, à l'échelle d'une famille. "C'est trop tard pour se poser ce genre de questions, maintenant qu'il est là, qu'est-ce qu'on fait ?" demande Joseph au père du compagnon de son fils, hostile à la démarche engagée par les deux garçons avant leur décès, et hermétique à celle d'un Joseph obsédé par ce bébé.
La jeune femme embauchée par le couple, elle, s'est lancée dans cette aventure pour financer ses études, et son indépendance. Elle n'a pas l'intention de rendre service à Joseph dans sa quête, d'autant que la disparition des parents la prive d'une partie du salaire promis.
Mais elle est évidemment autre chose qu'un ventre, et les sentiments que lui inspire cette grossesse ne sont pas si simples. La persévérance de Joseph, la puissance de son désir et la relation qui se noue avec la jeune femme finissent par donner à cette transaction si particulière une dimension humaine, qui va permettre à la jeune femme de conduire cette grossesse à terme dans le respect d'elle-même, et à Joseph de retrouver un sens à sa vie.
Luchini hors les clous
Dans une mise en scène classique et sans surprise, La Petite parvient à nous émouvoir grâce à un juste équilibre entre drame et drôlerie, et surtout grâce à un duo de comédiens qui portent cette histoire avec conviction. Le réalisateur de L'enlèvement de Michel Houellebecq (2014) creuse ses sujets de prédilections - la filiation, la disparition, le deuil - dans un registre nouveau, celui du drame et de l'émotion.
Une tonalité qui permet à Guillaume Nicloux d'offrir à Fabrice Luchini un rôle hors des clous. Le comédien, inattendu, propose une interprétation tout en nuances de ce personnage paradoxal, oubliant tout bonnement de nous servir son numéro. “Le personnage m’a un peu cueilli. Je ne pensais pas qu’il prendrait une partie comme ça de ce que je suis", a confié l'acteur dans une interview sur France 2.
En face de lui, la jeune comédienne belge de 25 ans, Mara Taquin, aperçue dans La Syndicaliste, incarne avec une force qui crève l'écran cette jeune mère porteuse, personnage fort et fragile à la fois, jamais en posture de victime, mais déchirée par des sentiments contradictoires.
La Petite est un film tendre et émouvant, sur un sujet de société traité hors des sentiers battus.
La Fiche
Genre : Drame
Réalisateur : Guillaume Nicloux
Acteurs : Fabrice Luchini, Mara Taquin, Maud Wyler
Pays : France, Belgique
Durée : 1h 33min
Sortie : 2023
Distributeur : SND
Synopsis : Joseph apprend que son fils et le compagnon de celui-ci viennent de périr dans un accident. Ils attendaient un enfant via une mère porteuse en Belgique. Que va devenir leur futur bébé ? Joseph en est-il le grand-père légitime ? Porté par la promesse de cette naissance qui va prolonger l’existence de son fils, le sexagénaire part à la rencontre de la jeune flamande au caractère farouche et indomptable…
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