"La Source" : la désolation des parents de jihadistes portée à l'écran par Meryam Joobeur

La réalisatrice canado-tunisienne plonge dans les eaux troubles des traumas et de leurs séquelles par le biais de l'embrigadement terroriste.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4min
Photo du film "La Source" de Meryam Joobeur. (TANIT FILMS)

Meryam Joobeur explore dans La Source, en salles le mercredi 1er janvier, l'inextinguible douleur de parents dont les fils ont choisi de rejoindre les rangs du mouvement terroriste Daech, en Syrie. La cinéaste s'intéresse à ceux qui restent, pétrifiés par l'incompréhension et des interrogations sans réponse. La Source est la version longue du court-métrage Brotherhood de la réalisatrice canado-tunisienne. Elle y évoquait le mystérieux retour d'un jeune jihadiste dans sa famille en Tunisie. Le film avait permis au cinéma tunisien de concourir pour la première fois aux Oscars en 2020.

Des trois garçons de la fratrie, il ne reste que le petit dernier dans La Source. Les deux autres sont partis, laissant Brahim (Mohamed Grayaa), leur papa, et surtout Aicha (Salha Nasraoui), leur maman, comme hébétés. Le chef de famille se rend régulièrement au poste de police pour avoir des nouvelles. Si les jihadistes revenaient, ils iraient directement en prison.

À la maison, le berger a une cible de choix : sa compagne aurait fait, selon lui, des garçons des enfants gâtés. La faute des femmes toujours. En écoutant la dernière salve de reproches de son mari, Aicha se blesse. Son désarroi est désormais apparent. Comme sa plaie, la douleur ne guérit pas vraiment, même quand Mehdi, l'un des fils jihadistes, est de retour. Elle mue tout simplement.

Le fils prodigue est rentré à la maison avec une femme. Reem est totalement voilée. On ne voit d'elle que son regard aux reflets violets et Mehdi la présente comme sa compagne. Dans cette famille de bergers, ce retour espéré n'a pourtant rien d'apaisant. D'autant que l'arrivée du couple coïncide avec des événements suspects. Bilal (Adam Bessa), un policier que Brahim et Aicha considèrent comme un fils, va chercher à comprendre ce qu'il se passe.

"Les grandes douleurs sont muettes"

Dans cette campagne tunisienne au décor à la fois verdoyant et lunaire, Meryam Joobeur a réuni une galerie de personnages taiseux dont certains ont un point commun notable et qui a inspiré la cinéaste : de magnifiques cheveux roux que les enfants ont hérités de leur mère Aicha. Ces taches rousses sont les rares points lumineux qui traversent l'écran, avec les cris de joie du benjamin quand on joue avec lui. La Source est un film émotionnellement aride. Et si les femmes ne sont pas les seules à être malheureuses, leur part de malheur demeure la plus importante. D'Aicha à Reem, la douleur va crescendo et aucune d'elles n'a le loisir ni l'espace pour en faire étalage.

Dans une mise en scène spartiate où la caméra s'attarde sur le visage et les yeux, reflets de l'âme, Joobeur livre un récit chapitré, mais hors du temps, lancinant et vertigineux comme la douleur qu'il matérialise. On se perd un peu dans les visions d'Aicha, les rêves ou plutôt les cauchemars de certains, les souvenirs qui auraient mieux fait de s'effacer... Mais toute cette mémoire brumeuse renforce le sentiment d'être dans un état second quand le corps et l'esprit ne peuvent plus encaisser les chocs. La Source est justement celle de tous les traumatismes, la description d'une mécanique de la violence physique et émotionnelle dont il est difficile de sortir indemne ou tout simplement vivant. Meryam Joobeur offre avec son premier film une expérience cinématographique pesante, mais qui vaut la peine d'être vécue.

Affiche du film "La Source" de Meryam Joobeur. (TANIT FILMS)

La fiche

Genre : Drame
Réalisatrice: Meryam Joobeur
Distribution : Salha Nasraoui, Mohamed Grayaa, Malek Mechergui, Adam Bessa
Pays : Tunisie, France
Durée : 1h46
Sortie : 1er janvier 2025
Distributeur : KMBO
Synopsis : Dans un village reculé de Tunisie, Aicha et Brahim sont dévastés par le départ inexpliqué de leurs fils, partis pour une guerre indicible. Quand l'un d'eux revient avec une mystérieuse fiancée voilée et muette, les parents décident de taire ce retour. Mais Bilal, un policier et ami de longue date, enquête sur des événements inquiétants. Ses suspicions ne tardent pas à le mettre sur la piste de la famille.

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