"Le Ravissement" d’Iris Kaltenbäck, subtile chronique du déraillement d'une femme en mal d'amour
"Le Ravissement", c'est l'histoire de Lydia (Hafsia Herzi). Elle commence par une course périlleuse. Elle tient d'une main son téléphone et de l'autre un gâteau, celui qu’elle a commandé pour l’anniversaire de sa meilleure amie, Salomé (Nina Meurisse). En arrivant chez elle, son compagnon lui annonce qu’il l’a trompée. Mais pas question de ne pas faire la fête avec Salomé, sa"famille". Durant cette soirée, Lydia apprend d'ailleurs que son amie attend un heureux évènement, un domaine qu'elle connaît bien : elle est maïeuticienne, sage-femme pour le commun des mortels.
Elle marche seule
Le décor du premier film de la cinéaste française Iris Kaltenbäck, qui sort en salles le 11 octobre, est ainsi planté. La succession des événements n’est pas anodine dans le récit de Milos (Alexis Manenti), le narrateur du film et amant de Lydia. Il dépeint une femme dévouée à son travail et marquée par sa rupture amoureuse.
Cette séparation la maintient loin de l'appartement qu'elle partageait avec son ex. La nuit, après l'hôpital, elle erre jusqu'au jour où elle s'endort dans un bus. Elle finira par tomber dans les bras du machiniste (conducteur) qui n'est autre que Milos. Leur histoire est brève mais ils se recroisent, dans l'hôpital où elle travaille, alors qu'elle tient le bébé de Salomé dans ses bras.
Inexorablement, par petites touches, Iris Kaltenbäck nous conduit vers la catastrophe annoncée dès les premières minutes du film. Sa mise en scène pointe tous les signes avant-coureurs que l'on voit tout en les ignorant, dans l'espoir que le pire peut-être encore évité. L'épure du jeu d'Hafsia Herzi – la caméra captant au plus près chacune de ses expressions, chaque regard et mouvement corporel – rend parfaitement compte de la psyché de Lydia, personnage qui ne perd jamais sa lucidité en dépit de ses égarements. L'exposé des motivations de cette femme est si clair, alors même qu'il n'en est pas fait étalage, que la qualité du jeu de Hafsia Herzi et la mise en images d'Iris Kaltenbäck ne peuvent qu'être soulignés.
Qui l'aimera encore ?
Lydia mentira parce qu'elle est en mal d'amour et que finalement personne, y compris ses proches, ne fait vraiment attention à elle. Elle ment parce qu'elle souffre mais continue de faire bonne figure à l'hôpital où toutes ces parturientes comptent sur elle, surtout sur son professionnalisme, pour que leur délivrance se passe bien. Pour rendre compte au mieux du métier de Lydia, Iris Kaltenbäck a choisi de filmer la réalité de la pratique de la sage-femme. Le documentaire côtoie ainsi habilement la fiction dans le même espace.
Dans une ambiance où les couleurs sont quelques fois un peu saturées de bleu et l'image savamment floue en écho au chaos mental de Lydia, Le Ravissement interroge les priorités qui peuvent être celles d'une femme. La réalisatrice s'est inspirée d'une situation vécue où la maternité vient comme envahir le terrain de l'amitié. Lydia se pose la question de l'évolution de leur relation quand le bébé de Salomé arrive.
Le film questionne aussi les injonctions autour de cette maternité réputée épanouissante (alors que l'accouchement peut être traumatisant et la dépression post-partum en embuscade) ou qui sert, pour certains, d'unique cadre de définition des femmes. Alors même que la chute est connue, au propre comme au figuré, Le Ravisemment reste une expérience surprenante et un film d'une justesse inouïe parce qu'il décrit – presque comme on l'imagine –, la complexité de l'âme humaine et confirme qu'un mot, une phrase ou encore un regard peut constituer un point de bascule. Le premier film d'Iris Kaltenbäck, qui a remporté le prix SACD de la Semaine de la critique 2023 en mai dernier, est d'une finesse rare. À voir absolument.
La fiche
Genre : drame
Réalisatrice : Iris Kaltenbäck
Distribution : Hafsia Herzi, Alexis Manenti et Nina Meurisse
Pays : France
Durée : 1h37
Sortie : 11 octobre 2023
Distributeur : Diaphana
Synopsis : Comment la vie de Lydia, sage-femme très investie dans son travail, a-t-elle déraillé ? Est-ce sa rupture amoureuse, la grossesse de sa meilleure amie Salomé, ou la rencontre de Milos, un possible nouvel amour ? Lydia s’enferme dans une spirale de mensonges et leur vie à tous bascule...
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