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"Le Repenti" : thriller algérien bressonien

Exilé d’Algérie en France de 1993 à 1999, pour sa sécurité personnelle, Merzak Allouache est un des rares réalisateurs algériens à tourner, en passant de la comédie (« Chouchou « ) au drame (« Harragas »). Avec « Le Repenti », il s’attaque à la loi de « Concorde civile », ce qui n’a pas plu à tous le monde… au bled.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 3min
Nabil Asli dans "Le Repenti" de Merzak Allouache
 (Sophie Dulac Distribution)

De Merzak Allouache (Algérie/France), avec : Nabil Asli, Adila Bendimered, Khaled Benaissa - 1h27 - Sortie : 10 avril

Synopsis : Algérie. Rachid est un islamiste maquisard qui regagne son village grâce à la loi de "Concorde civile". Entrée en vigueur en 2000, elle est censée mettre fin à la "décennie noire", qui a coûté la vie à environ 200 000 personnes. La loi promet à tout islamiste repentant qui rendrait ses armes en promettant n’avoir pas de sang sur les mains, une quasi amnistie et la réinstallation dans la société. Mais la loi n’efface pas les crimes et Rachid s’engage dans un voyage sans issue où s’entremêlent la violence, le secret et la manipulation.

Silence assourdissant
Pas une note de musique, peu de dialogue, beaucoup d’ellipses, des plans précis, Merzak Allouache fait preuve d’une ascèse toute bressonienne dans « Le Repenti ». Le film n’en gagne que plus en force, tout en maintenant un suspens savamment distillé, par l’économie dosée des informations lâchées au rythme d’un script évolutif, tout en suscitant, motivant l’attention. Allouache s’affirme ainsi comme un dramaturge implacable.

Une mise en scène et une narration toute en épure qui sied parfaitement à un récit désenchanté sur l’état d’un pays déchiré par une guerre civile qui, si elle est terminée, continue à faire des victimes collatérales, avec des blessures non cicatrisées au sein d’une population divisée. L’Etat en a fait un tabou et les silences du film sont comme les échos de cette guerre étouffée dans le mutisme.

"Le Repenti" de Merzak Allouache
 (Sophie Dulac Distribution)

Ambiguë
Rachid (Nabil Asli), le repenti du film, est nimbé de mystère. Taiseux, on ne sait trop s’il a du sang sur les mains, si sa démarche est sincère, alors que les dessous de la machination mise en place pour faire chanter un couple traumatisé par le meurtre de leur fille restent dans le flou. Son visage candide, son ton affable, ses difficultés à se réinsérer dans la société, inspirent la sympathie, alors que Rachid est abject dans les actes quand il n’est pas lâche. Cherche-t-il une rédemption, ou est-il d’un profond cynisme ?

Projeté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en mais 2012, où il a reçu le Prix Europa Cinéma, « Le Repenti » s’est également vu récompensé d’un double Prix d’interprétation au Festival du film francophone d’Angoulême. Rugueux, âpre, « Le Repenti » n’est pas exempt de sentiments, loin de là, sans pour autant tomber dans le lyrisme. Film militant qui appuie là où ça fait mal, il a été totalement ignoré par la presse algérienne, après avoir subi le  rejet de la commission de lecture du ministère de la Culture algérien. Un mauvais accueil qui reflète de la persistance de feux mal éteints.

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