La photographe Lee Miller au cinéma : "J'étais douée pour le sexe, l'alcool et les photos"

Kate Winslet incarne Lee Miller, une photographe qui décide que rien ne doit lui résister pour capturer l'histoire en photographie. L'actrice incarne cette artiste intransigeante et assume les traces du temps qui passe. Le destin tragique d'une femme libre et d'une artiste frondeuse face à l'horreur du monde.
Article rédigé par Christophe Airaud
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
Kate Winslet interprète la photographe Lee Miller. (SKY UK)

Elles ou ils sont peu parmi les photographes à pouvoir être l'objet d'un biopic. Il faut, au-delà de l'œil et de l'œuvre, avoir un destin romanesque. Capa, Man Ray ou Vivian Maier pourraient y prétendre, et que ceux que j'oublie m'en excusent.

Mais c'est bien Lee Miller, la plus emblématique et énigmatique des photographes du XXe siècle, qui crève l'écran, interprétée par une Kate Winslet rageuse. En salle le 9 octobre 2024.

À la guerre comme à la guerre

Le film débute sur un champ de bataille, assourdissant et périlleux. Un air d'Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg. Lee Miller est à Saint-Malo, en août 1944. Photographe de guerre, elle suit les troupes de libération qui avancent face à des Allemands déboussolés. Les combats font rage, le mur de l'Atlantique doit céder au prix de lourdes pertes. La peur se lit sur son visage.

Flash-back et quelques mois auparavant, c'est une partie de campagne dans un Mougins baigné de la lumière de Méditerranée. Cette fois-ci, un air de film de Jean Renoir. Lee Miller est belle, plantureuse et terriblement sexy. Elle dévore la vie. C'est l'avant-guerre et l'insouciance rime avec vin rouge et pique-nique sur nappe en tissu. L'alcool et le rire coulent à flots, les bons mots aussi. Les convives sont artistes, Paul Éluard en est. Il écrira plus tard Liberté en 1942 durant l'Occupation.

Mais l'inquiétude rode. L'Allemagne nazie guette."Un beau matin, l'Europe était en guerre", dit Lee Miller.

Une partie de campagne, à Mougins, dans "Lee Miller" interprétée par Kate Winslet. (SKY UK)

Troisième époque, Lee Miller est vieille, ravagée par l'alcool et la cigarette, son visage est marqué par la désillusion et la rancœur. Elle se raconte, elle, le mannequin, solaire et belle qui partit en guerre pour libérer la femme qui est en elle. En près de deux heures, la vie chaotique, le combat féministe de Lee Miller défilent.

Dans la baignoire de Hitler

Jusqu'à la photographie qui pourrait résumer sa vie. Elle nue dans la baignoire d'Adolf Hitler. Elle arrive de Buchenwald et Dachau, elle est l'une des rares à témoigner en image des horreurs des camps. Des corps décharnés, des tas de cadavres puants, des regards dans lesquels la mort est cristallisée. Lee Miller photographie sans relâche malgré l'envie de vomir. Personne ne peut sortir intacte de ces visions. Elle poursuit sa route vers le 16 Prinzregentenplatz, le domicile d'Adolf Hitler qui vient de se suicider à Berlin. Et elle veut prendre un bain...

Lee Miller ne provoque pas, mais met en scène la barbarie de cette époque. David Sherman, reporter pour le magazine Life prend la photo. Elle se lave "de la boue de Dachau dans la baignoire de Hitler". Puis, elle n'en parlera plus jamais.

Kate Winslet s'est emparée de Lee. Elle parle ainsi de son personnage. "Les gens adoraient Lee, elle rendait les hommes dingues, et sans maquillage et les cheveux en bataille, elle était tout simplement fidèle à elle-même et irrésistible. C'est ce que j'ai cherché à restituer en incarnant cette femme désorganisée, difficile à suivre, et parfois même catastrophique, qui était farouchement indépendante et qui s'assumait telle qu'elle était."

Qui pourrait aussi se résumer par cette réplique de Lee : "J'étais douée pour le sexe, l'alcool et les photos."

À son retour de la guerre, Lee Miller s'aperçoit avec stupeur que ses photos ne sont pas publiées. Andrea Riseborough qui incarne merveilleusement bien la so British rédactrice en chef du Vogue britannique Audrey Withers aura cette réponse qui sonne si juste aujourd'hui : "Les gens ont besoin d'aller mieux." Lee Miller ne sait pas ce que les gens pensent contrairement à d'autres. Kate Winslet semble avoir compris Lee, préférant rendre hommage à ses dons pour plaire et déplaire.

Alexander Skarsgård qui interprète le peintre, photographe et poète anglais Roland Penrose qui fut le mari de Lee Miller, révèle : "La passion [de Kate Winslet] pour le sujet du film était contagieuse. On voyait bien qu'elle connaissait chaque personnage sur le bout des doigts, qu'elle s'y était attachée, et c'est aussi cela qui m'a donné envie – et à plusieurs de mes partenaires – de participer au projet."

Kate Winslet interprète la photographe Lee Miller. (KIMBERLEY FRENCH)

Lee Miller abandonnera la photographie de guerre, minée par la dépression et les secrets de famille enfouis, pour se tourner vers la cuisine. Un refuge. Dans le biopic, ses confessions, un verre de scotch à la main et une cigarette blonde aux lèvres, à la fin de sa vie, entre mauvaise humeur légendaire et tristesse profonde lui rendent hommage. Kate Winslet s'expose alors sans fard, rides et traits tirés.

Grâce à elle, ce biopic devrait permettre de découvrir cette immense photographe et cette femme qui s'est battue pour son indépendance. Elle a préféré disparaître que d'être invisibilisée.

Affiche du film "Lee Miller" d'Ellen Kuras avec Kate Winslet. (DR)

La fiche

Genre : Biopic, Drame, Guerre
Réalisateur : Ellen Kuras
Acteurs : Kate Winslet, Andy Samberg, Alexander Skarsgård, Marion Cotillard
Durée : 1h57
Sortie : 9 octobre 2024
Distributeur : SND M6

Synopsis : L'incroyable vie de Lee Miller, ex-modèle pour Vogue et muse de Man Ray devenue l'une des premières femmes photographes de guerre. Partie sur le front et prête à tout pour témoigner des horreurs de la Seconde Guerre mondiale, elle a, par son courage et son refus des conventions, changé la façon de voir le monde.

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