"Les Amants de Caracas" : l'amour contrarié selon Lorenzo Vigas Castes
Un homme de dos. La cinquantaine. Il observe, du haut d'un pont, le défilé des voitures sur l'une des artères principales de Caracas. La caméra est là, juste derrière sa nuque. Ce qu'il voit reste dans le flou. Comme dans le plan suivant, où il arpente les trottoirs. Armando cherche quelque chose. Le trouve. Se dévoile alors le visage d'un jeune garçon. Marcel blanc, visage glabre, cheveux courts et peau moite. Il le suit dans un bus et lui tend quelques billets. Entre les deux, pas un mot échangé. Jusqu'à ce "enlève ton tee-shirt". La lumière aveuglante et blafarde de la ville a laissé place à celle, plus sombre, plus chaude du salon d'Armando. Le jeune homme est encore de dos. "Baisse ton pantalon", lui demande le quinquagénaire.
Une scène perturbante. Rendue presque sordide par les choix de mise en scène. Le jeune garçon, au loin, resté dans le flou. Il ne semble être qu'une chose, un objet posé là pour satisfaire Armando dont on entend les boucles de la ceinture se détacher.
Rapports de force
Et dès les premières scènes, le décor est planté. Celui de la lutte des classes et de la sexualité au Venezuela. Armando, un prothésiste dentaire de la classe moyenne, distrait sa solitude en attirant de jeunes hommes chez lui. Il se masturbe ainsi, implacablement, devant ses silhouettes interchangeables. Jusqu' à sa rencontre avec Elder (Luis Silva). Un petit loubard des quartiers défavorisés de Caracas. Et très vite, la violence de leur rencontre va laisser place à un désir où les rapports de force ne vont cesser de s'inverser.Ce premier essai derrière la caméra est un coup de maître pour Lorenzo Vigas Castes, le réalisateur vénézuélien qui a reçu le Lion d'or du meilleur film à la dernière Mostra de Venise.
Ce que filme surtout le cinéaste est cette relation entre ce petit caïd et ce quinqua moyen. Alors certes, le parti pris de mise en scène peut parfois paraître surprenant. Chaque plan est occupé par un personnage, souvent en gros plan au milieu du cadre. Certes la caméra a quitté la nuque d'Armando. Elder ayant enfin donné un visage, brutal et fougueux, à tous ces jeunes hommes qui n'en avaient pas. Mais l'objectif ne prend jamais de hauteur, jamais de distance. Il se focalise, perpétuellement, à l'aide de gros plans à répétition, sur les deux hommes. Pas une seconde de respiration pour le spectateur qui se voit sans cesse étouffé par l'un ou l'autre des protagonistes. La photographie, oscillant entre froideur malaisante et chaleur assommante, ne fait que renforcer ce sentiment d'emprisonnement.
Et nous voilà, avec eux, à vivre leur passion mutique, étrange, presque malsaine. Mais on se laisse happer, peu à peu, par ces deux acteurs, flamboyants, et même attendrir parfois par leur relation. Jusqu'à ce que l'opprobre de la société ne s'abatte sur eux. Sur nous.
LA FICHE
Drame de Lorenzo Vigas Castes – Avec Alfredo Castro, Luis Silva et Ali Rondon – Sortie le 4 mai. Durée : 1h33.
Synopsis : Armando, la cinquantaine, attire régulièrement des jeunes hommes chez lui. En échange d'une jolie somme d'argent, il leur demande de se déshabiller, mais refuse de les toucher. A la suite sa rencontre avec Elder, une petite frappe des bas quartiers, il développe une fascination dévorante pour le jeune homme qui, attiré par l’argent, lui rend visite fréquemment. Petit à petit, une relation singulière s’installe entre eux.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.