"Léviathan" : LE chef-d'oeuvre du 67e Festival de Cannes
5 / 5 ★★★★★
De Andreï Zvyagintsev (Russie), avec Vladimir Vdovichenkov, Elena Liadova, Alexei Serebraikov - 2h20 - Sortie : 24 septembre 2014
Synopsis : Kolia habite une petite ville au bord de la mer de Barents, au nord de la Russie. Il tient un garage qui jouxte la maison où il vit avec sa jeune femme Lylia et son fils Romka qu’il a eu d’un précédent mariage.Fresque intimiste
Dès les premiers plans l'envoûtement opère. Avec ces vues d'une baie de la mer de Barents, au nord de la Russie, sur une musique de Philip Glass, aux dominantes de cordes profondes. La suite enchaîne sur une dramaturgie parfaitement maîtrisée, dans l'aube opaline d'un paysage non moins chaotique. A l'image d'un pays, d'un semi continent, la Russie, gangrénée par la corruption. A travers l'histoire de ce garagiste exproprié par une municipalité mafieuse, c'est tout un pays que stigmatise Andreï Zvyagintsev. Mais combien d'autres ? Et au-delà, la condition humaine mise à la solde d'Etats qui n'en ont plus que le nom.
Sur un scénario original d'Andreï Zvyagintsev et de son complice Oleg Negin, le cinéaste concocte une œuvre majeure du cinéma contemporain, à l'instar d'un Orson Wells en son temps. Une fresque épique sur un destin emblématique de notre époque, avec des fulgurances de la mise en scène rares et constamment renouvelées. Dieu sait si ce 67e Festival a été ponctué de films longs (3h16, 2h35, plus de 2h00…). Tous, même le très beau film de Xavier Nolan, "Mommy", avaient quelque chose de trop, facilement 20 à 30 minutes à élaguer. Sur ses 2h21, "Léviathan" tient constamment la route et pour dire vrai on en redemande.
Corruption métaphysique
Andreï Zvyagintsev atteint l'accord parfait. Un équilibre entre scénario, dramaturgie, et mise en images d'un niveau exceptionnel qui laisse pantois. Il prend comme sujet la situation d'un personnage lambda, victime d'une corruption "commune", pour en déduire un constat universel sur nos régimes politiques, qui font preuve d'une compétitivité olympique dans cette catégorie. Tous les bulletins d'information en témoignent au quotidien (encore aujourd'hui, l'affaire Isabelle Balkany en France, même si elle est présumée innocente). Tout est corrompu dans le film : les épaves dans la baie, les voitures cabossées, les maisons lépreuses… et bien sûr, les hommes
Cet exposé des plus pessimistes ne laisse pas moins place à un humour des plus jouissifs et ravageurs dans plus d'une scène, notamment celle d'une fête d'anniversaire d'anthologie. Mais le tragique domine. La dramaturgie, toute anecdotique, atteint non seulement l'universel, mais le métaphysique. L'importance du religieux, par l'interaction entre le maire corrompu et le pope de la paroisse, aboutit à un discours final de l'ecclésiastique faisant figure d'oxymore, entre son discours et ce que l'on sait de sa théologie oisive, exposée quelques minutes auparavant. Le titre "Léviathan" renvoie à l'Apocalypse de Saint-Jean et désigne ouvertement la corruption comme la plaie fatale de régimes gangrénés par l'argent qui dominent le monde, au détriment des peuples. Les images puissantes d'un squelette de baleine échoué sur la plage, celle de la bosse d'un de ces Leviathan à la surface de l'eau devant les yeux d'une femme adultérine, culpabilisée, sont des moments de cinéma inoubliables.
Enfin, le destin de Kollia (Alexeï Serebriakov), martyr d'une politique qui n'en est plus une, broyé par une machine étatique devenu financière, égoïste et plénipotentiaire, dénonce un état du monde allant à la dérive. Coup de chapeau final à tous les acteurs du film qui auraient mérité un Prix d'interprétation collectif, tant ils sont tous remarquables. "Leviathan" demeure le chef-d'œuvre inattendu de ce 67e festival de Cannes, à la compétition très disputée.
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